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La loi monétaire de Gresham

Après tout, qu’est-ce que la monnaie, sinon une obligation socio-étatique ? La monnaie possède une fonction transactionnelle, mais le bien-fondé de sa valeur réside dans sa fonction d’épargne, qui correspond elle-même à la confiance qu’on peut avoir dans le pouvoir d’achat futur de la monnaie.

Si les agents économiques sont défiants par rapport à la monnaie, ils vont se dépêcher de s’en débarrasser au profit de biens réels, qui deviennent eux-mêmes, le cas échéant, une nouvelle monnaie. C’est une application de la loi de Thomas Gresham (1519-1579) qui constate que “la mauvaise monnaie chasse la bonne”. En effet lorsque deux monnaies (dont des biens réels et de l’or, par exemple) se trouvent simultanément en circulation, les agents économiques préfèrent conserver, thésauriser la bonne monnaie, et par contre utilisent pour payer leurs échanges la mauvaise dans le but de s’en défaire au plus vite.

Si, par contre, les agents économiques ont confiance en la monnaie, ils l’épargnent à long terme.

La confiance dans la monnaie se mesure donc par sa profondeur dans le futur.

C’est pour cette raison qu’une dette publique trop élevée conduit naturellement à un phénomène de défiance monétaire : les agents économiques savent qu’une dette publique excessive ne peut pas être remboursée par des impôts à un rythme acceptable (d’autant que des taux d’intérêt élevés y sont associés) : ils savent que la dette sera remboursée avec “de l’argent qui vaut moins”, c’est-à-dire rogné par l’inflation.

C’est dans cet esprit que l’économiste anglais David Ricardo avait énoncé son paradoxe, à savoir qu’un endettement public excessif se traduit dans une épargne plus élevée pour faire face aux impôts futurs. Aujourd’hui, c’est bien l’euro qui est mis en joue par cette crise. Elle est bien sûr bancaire et étatique, mais son fondement est devenu monétaire et, à notre intuition, l’année 2012 sera peut-être l’année des ajustements monétaires.

Noeud gordien

Cet élément entre d’ailleurs en résonance avec une autre réalité, à savoir le droit régalien (c’est-à-dire le privilège du Roi) de battre monnaie. En effet, ce privilège est souvent compris comme le droit exclusif des pouvoirs publics d’imprimer de la monnaie. Mais ce droit régalien possède son versant, à savoir l’obligation, pour les citoyens d’un pays, d’utiliser la monnaie qui leur est imposée. Au reste, de nombreuses transactions doivent obligatoirement s’effectuer dans la devise du pays. Cela conduit d’ailleurs certains économistes à formuler la monnaie comme un emprisonnement étatique, puisque les Etats peuvent modifier le pouvoir d’achat de la monnaie dont ils contraignent l’utilisation domestique.

Que tirer comme enseignement contemporain de la loi de Gresham qui ne s’applique pas dans un pays au sein duquel l’Etat impose une monnaie qui a cours légal ? Sans doute une seule leçon, à savoir que la monnaie est toujours fragile, car fondée sur la confiance prospective en son pouvoir d’achat. En d’autres termes, une monnaie est face à une question existentielle lorsque son épargne devient douteuse, suite, par exemple, à des anticipations d’inflation. C’est pour cette raison qu’une dette publique excessive fragilise toujours la monnaie, puisque son remboursement, dès qu’il est perçu comme dépassant les capacités fiscales des contribuables, doit s’effectuer avec de l’argent déprécié. Une dette publique démesurée conduit donc immanquablement à une monnaie faible. C’est la substance du noeud gordien que les autorités monétaires n’arrivent pas à trancher : elles veulent maintenir, à juste titre, une monnaie saine alors que cette dernière est gangrénée par des dettes périphériques qui exigent des défauts. Dans ce cas, ce n’est pas la dette qui affaiblit la monnaie, c’est le maintien de la monnaie qui fait mettre à terre le genou de certains pays.

Des économistes libéraux ont d’ailleurs suggéré l’émergence de monnaies privées qui seraient échangées entre les agents économiques à des cours qui refléteraient la confiance attribuée à ces monnaies. A ce moment, ce serait la bonne monnaie qui chasserait la mauvaise. Une illustration de ce phénomène réside dans les phénomènes d’incertitude monétaires, telle l’inflation : l’or se substitue à la monnaie suspecte.

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