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La décennie perdue et la boussole détraquée

Certains économistes prédisent que l’Europe et les Etats-Unis vont au devant d’une décennie perdue. La réalité est pire : nous avons déjà une décennie perdue derrière nous. Et la boussole utilisée n’est plus fiable.

Certains économistes prédisent que l’Europe et les Etats-Unis vont au devant d’une décennie perdue. La réalité est pire : nous avons déjà une décennie perdue derrière nous. Et la boussole utilisée n’est plus fiable. La réalité est bien plus sombre que les chiffres officiels ne la font apparaître.

Au cours de chacune des décennies écoulées depuis la Seconde Guerre mondiale, on a créé entre 20 et 40 % de nouveaux emplois aux Etats-Unis. Mais pour la décennie qui a débuté en 2000, le compteur est toujours à zéro. Une décennie sans création d’emplois est un signal d’alarme pour l’économie américaine. Dans une économie flexible comme celle d’outre-Atlantique, l’écart important entre la croissance économique et la croissance de l’emploi est étonnant et inquiétant. Cependant, certains écarts peuvent aussi en partie faire apparaître des chiffres erronés.

Fraude comptable à l’échelon macroéconomique

Depuis l’ère Greenspan et dans une mesure croissante depuis 1998, le gouvernement US s’est mis à manipuler de plus en plus les chiffres économiques. C’est ainsi que depuis quelque temps déjà, le taux de l’inflation est atténué via des adaptations techniques qui visent à remplacer des produits chers par des produits bon marché et qui impliquent aussi des aspects qualitatifs.

Ces statistiques tronquées donnent ainsi une autre image de l’inflation américaine. Si l’inflation est supérieure aux chiffres officiels, il s’ensuit que le PIB réel est nettement inférieur. Ces chiffres du PIB sont à leur tour manipulés dans des proportions croissantes. Ils reflètent de moins en moins des statistiques et des mesures mais de plus en plus des estimations de fonctionnaires.

C’est ainsi qu’on a introduit des “corrections hédonistes” qui évaluent arbitrairement la qualité de divers postes du PIB : des voitures plus rapides et plus sûres, des ordinateurs plus puissants et divers nouveaux logiciels ont naturellement une très haute valeur qualitative. Et les brusques ajustements dans le PIB, surtout dans le secteur de l’ICT, ont tellement gonflé les chiffres au cours de la période 1998-2001 que les économistes ont commencé à s’en moquer. Tous les détails ont promptement été gommés dans les rapports officiels et après 2002, on ne peut plus qu’en deviner l’impact.

Il est certain que la croissance a été surestimée au cours de cette période ; dans des proportions que la banque centrale allemande a estimées à 0,25 % par an. Un PIB plus élevé signifie une productivité plus élevée et ce miracle américain est donc aussi partiellement un mirage statistique.

En 2005, la banque centrale américaine a supprimé la publication de M3, un bulletin de l’évolution de la masse monétaire US qui était suivi par bon nombre de gens. Une suppression justifiée par des raisons de coût soi-disant, mais qui n’a dupé personne. Cette falsification insidieuse des données macroéconomiques va chaque fois un peu plus loin. Depuis quelques années, les chiffres de l’emploi sont enjolivés par l’adjonction arbitraire de “Naissances” : les créations d’emplois dans des entreprises débutantes qui ne figurent pas encore dans les documents officiels. Le taux de chômage est aussi embelli “à la mode européenne” en supprimant massivement les “demandeurs d’emploi découragés”, des travailleurs qui sont depuis trop longtemps à la recherche d’un emploi et qui ne savent plus comment en sortir.

Réparer la boussole

Ces manipulations statistiques de chiffres macroéconomiques font penser à la période du début de cette décennie qui fut caractérisée par de grandes fraudes comptables à l’échelon microéconomique. La réalité est présentée sous un jour plus favorable qu’elle ne l’est. Si nous voulons restaurer la confiance et remettre la politique sur la bonne voie, il faut réparer la boussole. La fraude comptable au niveau macroéconomique pratiquée outre-Atlantique, doit donc cesser. Mais en Europe aussi, les chiffres (chômage, réserves pour les pensions, déficits budgétaires) doivent correspondre à la réalité. Si nous persistons à piloter l’économie en nous référant à une boussole détraquée, nous aurons encore au moins une décennie perdue de plus…

Réactions : trends@econopolis.be

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