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La BCE face à Wall Street

Le temps où la BCE pouvait se contenter d’assurer la stabilité des prix est bien loin. On pourrait même dire qu’il s’agit d’un problème mineur actuellement…

Wall Street, c’est l’image emblématique des marchés financiers américains. Mais à la veille des vacances, Wall Street m’évoque également une voie d’escalade en Allemagne, réalisée pour la première fois en 1987 (d’où la référence…) par Wolfgang Güllich. Il s’agit surtout d’une voie parmi les plus difficiles au monde (du 8c pour les connaisseurs…). Outre un jeu de mot facile, c’est pour moi l’image qui correspond le mieux à la montagne de problèmes économiques et financiers qui se dresse devant la Banque centrale européenne.

Triple problématique

Le temps où la BCE pouvait se contenter d’assurer la stabilité des prix est bien loin. On pourrait même dire qu’il s’agit d’un problème mineur actuellement. Mis à part l’influence des prix pétroliers et la dépréciation de l’euro, les forces déflationnistes restent globalement plus importantes que les pressions inflationnistes en 2010. La seule difficulté est finalement de convaincre les marchés financiers que cela durera, pour que les anticipations d’inflation ne remontent pas.

Par contre, depuis 2007, et bien plus encore depuis la faillite de Lehman Brothers, le fonctionnement du marché monétaire, sur lequel les banques se prêtent des liquidités, est devenu LE vrai problème pour la BCE. De simple pourvoyeur de liquidités “à la marge” au profit du système bancaire européen, la BCE est devenue le principal, si pas le seul, animateur du marché monétaire. Ainsi elle octroie toutes les liquidités demandées par les banques (contre des garanties, il ne faut pas l’oublier…) qui aussitôt sont redéposées auprès de la BCE elle-même. Un tel carrousel sert à assurer la liquidité d’un système bancaire qui est encore très loin d’avoir retrouvé confiance.

Pour couronner le tout, le problème des finances publiques s’est invité depuis quelques mois dans les bureaux de la BCE, et s’avérera probablement la plus grosse difficulté à surmonter pour celle-ci. En effet, en la matière, la BCE ne dispose que de très peu d’instruments. Elle s’est bien lancée dans un programme d’achat d’obligations d’Etat mais ceci n’a pas encore permis de redynamiser le marché des emprunts publics. Tout au plus cela permet-il à quelques banques de liquider des positions dangereuses (au point d’ailleurs que les Allemands y voient un complot franco-français… Mais cette histoire serait trop longue à expliquer !).

Réduire les risques et ne pas s’égarer

Pour en revenir au jargon des alpinistes, la première règle lors d’une ascension est de limiter tant que faire se peut le danger subjectif. Celui-ci se définit comme le danger que l’on peut influencer. S’informer de la météo avant son départ ou se munir d’un matériel performant et adéquat réduit par exemple le danger subjectif. S’il faut limiter ce danger au maximum, c’est qu’au-delà de celui-ci se dresse le danger objectif, que l’on ne peut maîtriser. Lorsque la voie d’ascension passe sous une corniche de neige susceptible de s’écrouler à tout moment, on ne peut éviter de prendre ce risque, sauf en restant dans la vallée bien sûr, ce qui est hors de propos ici.

Dans les circonstances actuelles, comment la BCE peut-elle réduire au mieux les risques subjectifs ? La meilleure stratégie consiste selon moi à continuer à adapter en fonction des circonstances les instruments qu’elle maîtrise parfaitement, à savoir les opérations de refinancement en tout genre. Elle a pu en tester l’efficacité au cours des trois dernières années et cette stratégie a donné des résultats encourageants jusqu’au printemps 2010. Je reste plus dubitatif sur les achats récents d’obligations d’Etat, qui d’ailleurs ont été accueillis assez froidement. Dans ce cas précis, je crains que la BCE ait augmenté son risque subjectif, dans la mesure où une banque centrale n’est pas vouée à financer les Etats, même au nom du bon fonctionnement de la politique monétaire. Je pense d’ailleurs que la BCE n’étendra pas cette mesure.

Ne pas s’égarer dans des mesures trop exotiques est important, car il va falloir affronter les dangers objectifs : les mesures d’austérité décidées dans les pays de la zone euro vont ralentir la croissance, l’appétit des gouvernements pour les bénéfices du secteur bancaire encore trop fragile est un danger et la publication des résultats des stress tests risque de créer de nouvelles turbulences financières. Le plus gros danger est encore le risque d’une restructuration de la dette grecque, qui serait un séisme à l’échelle européenne. Mieux vaut dans de telles circonstances bénéficier d’une banque centrale solide.

Tout ceci peut paraître assez technique et théorique, cela n’en demeure pas moins capital à deux égards : d’une part, les prochaines semaines marqueront la fin d’une série de mesures décidées précédemment par la BCE. Il lui faudra alors choisir de les reconduire, de les modifier ou de les abandonner. L’été sera donc riche en rebondissements. D’autre part, je l’ai déjàécrit précédemment, plus de deux tiers du financement de l’économie passe par le secteur bancaire dans la zone euro. Selon moi, il faut maintenir ce mode de financement, qui correspond le mieux au type de capitalisme en vigueur dans la zone euro. Préserver le financement de l’économie, c’est préserver la création d’activité et de richesse.

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