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L’euro : de gauche ou de droite ?

La crise souveraine révèle une réalité qui s’impose de manière de plus en plus limpide : l’euro ne distingue pas seulement les peuples européens du nord à ceux du sud. Il révèle aussi de profondes oppositions idéologiques entre la droite et la gauche.

Pour saisir l’envergure de cette réalité, il faut rappeler que l’euro était un choix libéral d’économie de marché.

Sa formulation était basée sur la théorie des zones monétaires optimales, exigeant une mobilité des facteurs de production. En effet, une monnaie unique ne se justifie que si les facteurs de productions sont plus fluides à l’intérieur de la zone monétaire qu’avec le monde extérieur.

Il y a deux facteurs de production : le travail et le capital

Le capital s’est internationalisé. A titre d’exemple, les Etats ont pu élargir le champ de leur créanciers et les banques ont mêlé (sans doute excessivement) leurs bilans. C’était un des objectifs explicites des autorités européennes, à savoir créer un marché continental des capitaux.

Contrairement au capital, le travail est resté essentiellement domestique, ce qui a contribué à renforcer les Etats-providence européens. Dès la création de l’euro, les réticences se sont d’ailleurs exprimées contre la flexibilisation du travail. Mais les Etats subissent désormais un problème de solvabilité qui est autant lié aux difficultés bancaires qu’aux stabilisateurs économiques activés en période de récession. Au reste, l’endettement public n’a pas été déclenché par la crise de 2007. Il trouve son origine dans les modèles des années 1970, au moment de la mutation (ratée) de nos communautés industrielles vers l’économie de service.

La meilleure illustration du phénomène de cloisonnement national du marché du travail est que la directive Bolkestein, consubstantielle à la création de l’euro, fut rejetée en 2005 par les principaux partis européens de gauche, ce dont ils s’enorgueillissent actuellement. Le refus de cette directive (finalement adoptée en 2006 sous une forme édulcorée), qui aurait permis de stimuler la mobilité internationale du travail, contribua à cristalliser les systèmes sociaux et à aggraver leur coût qui trouve leur contrepartie dans l’endettement public.

Nous sommes donc confrontés à cette réalité percutante : l’euro était un choix d’économie de marché et de libéralisme, alors que le poids des Etats a augmenté dans nos économies depuis 12 ans. En d’autres termes, l’économie européenne a, dans de nombreux pays, lentement dérivé vers l’étatisation et la nationalisation alors que la monnaie unique exigeait exactement l’inverse.

L’euro : récessionnaire ou inflationniste ?

C’est même pire que cela : cette nationalisation croissante de l’économie n’a pas porté sur l’acquisition de moyens de production puisque l’Etat s’est désengagé de la plupart des secteurs marchands. L’étatisation a conduit à augmenter les dépenses publiques courantes, qui se résument à des transferts sociaux, sans constitution de capital correspondant.

A notre intuition, la viabilité de la monnaie unique est désormais en jeu si l’accord idéologique portant sur ses conditions de la survie n’est pas atteint. De manière caricaturale, le choix de l’Europe se situera entre une orientation de droite, qui exige rigueur et récession, et une orientation de gauche qui plaide pour des déficits budgétaires et une création monétaire inflationniste. Exprimé de manière binaire, l’euro sera de droite et récessionnaire ou de gauche et inflationniste.

L’avenir se situera entre ces deux postures extrêmes puisque le facteur social est versatile. Le chemin vers l’harmonie des peuples sera étroit car il est difficile d’imposer à des populations hétérogènes une monnaie qu’on veut “unique” sans consensus politique et surtout sans une volonté inaltérable de coopération, qui est le ciment de l’Europe.

BRUNO COLMANT Prof. Dr. à la Vlerick School of Management et à l’UCL Membre de l’Académie Royale de Belgique

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