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L’affaire Stavisky

A chaque époque, son Madoff. Aux Etats-Unis, il y avait déjà eu, avant la Seconde Guerre mondiale, l’affaire Charles Ponzi, du nom de l’escroc américain qui a donné son nom aux systèmes de fraudes selon lesquels les derniers investisseurs paient pour les premiers qui quittent le dispositif.

La France a aussi connu un terrible scandale dans les années 1930 : l’affaire Stavisky. Elle fut de ces combinaisons financières qui gangrènent tellement le pouvoir politique qu’elles peuvent précipiter un pays entier dans un renversement de régime. La troisième république fut d’ailleurs sur le point d’être renversée en février 1934 suite à de violentes et meurtrières manifestations antiparlementaires déclenchées par la révélation de la corruption qui avait accompagné le dénouement de l’affaire Stavisky en janvier de la même année. Comme Stavisky était un juif polonais, il n’en fallait pas plus pour renouer avec les démons de l’antisémitisme que l’affaire Dreyfus avait réveillés trois décennies plus tôt.

Le climat de l’époque était, il est vrai, fragilisé par ceux qui revendiquaient un pouvoir autoritaire dont Franco, Salazar, Hitler et Mussolini allaient être les tristes figures. Quelques années plus tard, Degrelle haranguerait les foules de ses suppôts en vilipendant les “banksters” sur le même registre que les refrains populistes du nazisme.

L’affaire commence dans les années 1920. Stavisky est un charmeur mondain au physique agréable qui collectionne les maîtresses. On l’appelle d’ailleurs le beau “Sacha”. Entrepreneur virevoltant, l’homme sait faire miroiter aux yeux avides des épargnants l’enrichissement rapide, d’autant que la crise de 1929 et la dépression assèchent l’épargne nationale.

Sa carrière commence comme celle d’une petite frappe : il vole les prothèses en or de son père dentiste ou encore s’enfuit avec la caisse d’un théâtre. Mais, progressivement, l’homme s’affirme dans la pègre, s’enrichissant au moyen de trafics de drogue et de la prostitution. Désespéré par la déchéance de son fils, son père se donne d’ailleurs la mort.

Puis Stavisky commence à s’intéresser à la Bourse. L’argent facile y circule et le négoce des actions est peu réglementé car les agents de change forment une confrérie opaque qui s’enrichit sur le dos de ses clients. Et c’est bien l’opulence que convoite Stavisky. C’est alors qu’avec la complicité de personnalités politiques troubles, il met au point un coup de 200 millions de francs au détriment du Crédit Municipal de Bayonne. Ce ne sont rien d’autre que de faux bons de caisse sans garantie et dont les intérêts étaient payés grâce au capital des investisseurs.

La supercherie est découverte en 1933 et les accointances de Stavisky avec les milieux politiques – lui-même étant proche du Premier ministre – dévoilent les côtés hideux d’une Troisième République corrompue qui finira par s’échouer dans la collaboration de Vichy. L’affaire Stavisky prend fin avec son suicide en janvier 1934. L’homme finit ses jours dans de troubles circonstances, l’enquête balistique ayant démontré qu’il s’était suicidé de deux balles avec un révolver placé à trois mètres de lui. C’est ce qui conduisit Le Canard enchaîné à titrer que l’escroc avait “le bras long”.

La France financière ne sera plus jamais la même après cette affaire. Aujourd’hui, elle fait référence à un monde financier cynique conduisant à la ruine les épargnants trop crédules. Mais ne nous leurrons pas : le contrôle de la finance est un apprentissage permanent des déviances pour lesquelles les pouvoirs publics ne peuvent jamais baisser la garde.

BRUNO COLMANT Prof. Dr. à la Vlerick School of Management et à l’UCL Membre de l’Académie Royale de Belgique

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