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Jackson Hole et le trou de mémoire

L’histoire enseigne qu’il faut en moyenne sept ans aux ménages et aux entreprises pour rééquilibrer leurs finances après une crise un peu sévère.

Quand le département du Commerce annonce, vendredi dernier, que le PIB américain n’a pas progressé de 2,4 % au deuxième trimestre, comme annoncé dans une première estimation, mais bien de 1,6 %, les investisseurs se montrent soulagés et Wall Street gagne 1,66 %. Cela représente pourtant un tiers de moins, comprendrait toute tête blonde aux neurones un tant soit peu réactivés par la rentrée scolaire. C’est vrai, mais on craignait une révision plus sévère, à 1,4 %. C’est donc un tiers de moins seulement. Voilà qui en dit long sur le niveau proprement indigent de ce qu’on présente aujourd’hui comme une “bonne nouvelle” sur la scène économique et financière !

Suivant la méthodologie locale, ce malheureux 1,6 % s’entend en base annualisée, tout comme le 1,5 % déjà avancé par la banque JP Morgan pour le 3e trimestre. Ce sont là de très modestes progressions, que les Américains imaginaient jusqu’il y a peu réservées à la pauvre Europe. L’Allemagne s’en écarte en réalité avec éclat : les forçats de l’exportation ont signé une croissance de 2,2 % au 2e trimestre. Or, en Europe, on calcule le chiffre d’un trimestre à l’autre. Présentée à l’américaine, la croissance du PIB allemand s’inscrit dès lors à quelque 9 % au 2e trimestre, un niveau carrément chinois ! Avec +1 % sur le trimestre, la zone euro peut se targuer d’un bon 4 % en base annuelle.

L’Europe ne fera probablement pas aussi bien durant les trimestres à venir, mais les Etats-Unis ne sont pas certains du tout de faire mieux. Résultat : ils ont le moral dans les talons. Comment diable réactiver la croissance ? Ben Bernanke, le président de la banque centrale, a-t-il une botte secrète ? Non, semble-t-il. Lors du séminaire annuel de la Federal Reserve, tenu en fin de semaine dernière à Jackson Hole, dans le Wyoming, il s’est contenté d’assurer qu’il “fera tout ce qu’il pourra” pour soutenir la poursuite du redressement économique. Précisant que la Fed était prête à prendre d’autres mesures “non conventionnelles” si la situation se détériorait, un jargon qui désigne en principe le rachat d’obligations. Ces propos n’ont ni déçu ni enthousiasmé…

C’est que les banques centrales ne peuvent, seules, résoudre tous les problèmes du monde, a par ailleurs souligné Ben Bernanke : les leaders politiques doivent également les saisir à bras le corps. Laura Tyson, une conseillère du président Obama, a précisément lancé un appel en ce sens : il faut relancer la stimulation budgétaire et fiscale, soutenir les pouvoirs locaux défaillants et consacrer 1.000 milliards de dollars aux travaux d’infrastructure. De son côté, Mohamed El-Erian, CEO du fonds obligataire Pimco, insiste sur le fait que l’on vit un réajustement fondamental et planétaire, de sorte qu’il est vain d’y réagir par de classiques mesures de soutien conjoncturel.

C’est un peu cela, finalement, le noeud du problème : la crise de 2008-2009 fut unanimement présentée comme la plus grave depuis les années 1930, mais on s’étonne qu’elle ne s’efface pas en quelques mois. Etrangement rares sont ceux qui admettent qu’après avoir été intensivement dopée pendant une décennie, l’économie américaine puisse avoir besoin d’une longue purge pour retrouver sa vitalité naturelle.

Le symposium de Jackson Hole fut pourtant l’occasion pour Carmen Reinhart de secouer les esprits. Co-auteure l’an dernier, avec Kenneth Rogoff, d’un ouvrage très remarqué sur l’histoire des crises économiques, l’économiste affirme que les Etats-Unis pourraient vivre une croissance molle et un chômage élevé pendant 10 ans au moins. Rien d’étonnant : l’histoire enseigne qu’il faut en moyenne sept ans aux ménages et aux entreprises pour rééquilibrer leurs finances après une crise un peu sévère. Dans la perception que les investisseurs ont de la situation économique, les chiffres ne sont pas seuls en cause. L’autre problème, c’est leur trou de mémoire !

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