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Innovation durable par de nouveaux “business models” ?

L’adoption de ces nouveaux BM relève moins du souci éthique de la survie de l’humanité que de l’humilité nécessaire pour se laisser inspirer par l’intelligence de la nature. Nous sera-t-il plus facile d’être humble que d’être éthique ? Pas sûr…

“Vous sentez-vous inspirés et fiers de faire votre travail à cause de ce que votre entreprise apporte pour répondre aux enjeux de demain ?” C’est avec cette question que Maximilien Brabec, directeur de Novatégie et auteur de Business Model vert (Ed. Dunod), a terminé sa présentation lors de la séance inaugurale de notre nouveau cycle de séminaires. Il y a fort à parier que cette question trotte encore dans la tête des participants à cette soirée, comme dans les nôtres. Implicitement, elle évoque le basculement subtil de nombreux patrons quant à la vision qu’ils ont du rôle de leur entreprise face aux enjeux du développement durable et aux nouveaux business models (BM) que cela requiert.

Qu’est-ce qu’un BM ? Ce qui permet à l’entreprise de se développer et de se maintenir de façon pérenne. Pour beaucoup d’entreprises, cela se résume encore souvent à : produire plus et faire consommer plus pour gagner plus. Selon Brabec, cette conception est dépassée : les BM gagnants d’aujourd’hui et de demain sont “verts”, c’est-à-dire centrés sur les enjeux du développement durable, tant sur le plan social qu’environnemental.

Repenser drastiquement le BM

“Rien de nouveau sous le soleil”, direz-vous, “cela fait un bout de temps que l’on parle de responsabilité sociétale des entreprises (RSE)”. Certes, mais jusqu’à présent, pour la plupart des entreprises, la RSE reste périphérique et ne change en rien le core business. Or, ce n’est plus suffisant : si elles ne réussissent pas à repenser drastiquement leur BM, la portée de la RSE sera limitée (greenwashing) et la viabilité de ces entreprises sera compromise.

Prenons par exemple le secteur automobile : si de nombreux progrès ont été apportés pour rendre les voitures moins polluantes, le BM des constructeurs n’a pas ou peu bougé. En témoigne le rythme de renouvellement des modèles qui s’accélère (faire consommer plus). Or, ce n’est pas tant l’utilisation d’une voiture qui pollue, mais sa fabrication et sa destruction. Ces dernières années sont donc apparus des acteurs, tels Zipcar, dont le BM est centré sur le partage des voitures plutôt que sur leur acquisition, ce qui va radicalement à l’encontre du BM actuel des constructeurs. Une “Zipcar” est partagée en moyenne entre 19 utilisateurs, avec plus d’1 million d’utilisateurs actuels aux USA. La progression fulgurante de Zipcar veut-elle dire que les constructeurs feront et vendront 19 fois moins de voitures à terme ? Ne doivent-ils pas repenser rapidement leur BM ?

En prenant un peu de recul, comme il sied au philosophe, il semble que de tels nouveaux BM peuvent s’inspirer du fonctionnement des écosystèmes naturels, et ce d’au moins trois façons.

1. Dans la nature, tous les éléments sont en reliance les uns par rapport aux autres. De façon analogique, un BM est “vert” s’il permet de mieux faire collaborer l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur et de leur apporter ainsi plus de valeur.

2. En l’espace de quelques siècles nous avons dilapidé certaines ressources qui avaient été accumulées et “gérées” efficacement par d’autres espèces depuis 4 milliards d’années. Comment y sont-elles arrivées ? En privilégiant l’usage parcimonieux et partagé des ressources (et non pas leur propriété). De même, les BM “verts” se refocalisent sur la vente de “valeurs d’usage” plutôt que sur la vente de “produits” et favorisent toutes les opportunités de partage dans la chaîne de valeur.

3. Les cellules souches ont ceci d’exceptionnel qu’elles sont pluripotentes : elles peuvent endosser différents rôles selon les circonstances et collaborer d’autant plus efficacement. Similairement, les BM “verts” jouent sur la pluripotence des acteurs de la chaîne de valeur : un client peut devenir fournisseur de l’entreprise, son financier, ou encore le coach d’un de ses fournisseurs (exemple d’un fabricant de yaourt qui propose au consommateur de parrainer une vache et donc de soutenir le fermier).

On le voit, ces approches vont bien plus loin qu’une gestion des parties prenantes dont le but serait avant tout de réduire les risques liés à la poursuite de BM existants : elles induisent des remises en cause profondes de ceux-ci – et ce n’est pas simple, tant pour les producteurs que les consommateurs. Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment de grandes entreprises offrent encore à leurs employés des voitures “de société”, plutôt que de conclure des partenariats avec les équivalents européens de Zipcar, alors même que cela permettrait d’assurer l’essor de ces services. Peut-être seraient-elles plus à même d’éviter de tels écueils si leurs dirigeants gardaient constamment à l’esprit la question de Brabec évoquée plus haut.

Y a-t-il une “morale” à tout ceci ? Peut-être que l’adoption de ces nouveaux BM relève moins du souci éthique de la survie de l’humanité que de l’humilité nécessaire pour se laisser inspirer par l’intelligence de la nature. Nous sera-t-il plus facile d’être humble que d’être éthique ? Pas sûr…

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