Un moratoire de cinq ans ? “Une solution kamikaze !”

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Face à la montée du taux de vacance, le courtier CBRE lançait, juste avant Noël, l’idée d’un arrêt momentané des constructions neuves. Jones Lang LaSalle bottait en touche dès le lendemain, suivi par le secteur et le monde politique.

Un fameux pétard de saison. Mouillé dès le lendemain. Que CBRE s’empresse de noyer depuis. L’idée d’un moratoire de cinq ans minimum, lancée un peu précipitamment par le courtier lors de son habituel bilan de fin d’année et directement gonflé par la presse quotidienne, a semblé bien cavalière au sein de la profession. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la sortie en force de CBRE a fait des vagues. Salées et gelées. Quelques jours plus tard, Nicolas Orts, à la tête du département letting chez CBRE, mettait un sérieux bémol et parlait de “réflexion à avoir”, voire de “question ouverte”. Sans plus.

“Les journaux en ont fait leur gros titres en disant que CBRE était pour le moratoire. Ce n’est pas ce qu’on a dit. On s’est juste demandé comment régler le problème préoccupant de la vacance structurelle et émis l’idée d’un gel momentané des développements. Notre conclusion – et elle rejoint notamment celle du ministre-président Charles Picqué – est qu’il faudrait être proactif face à l’évolution du stock de bureaux et freiner certains nouveaux permis qui ne se justifient pas, car ne répondant pas à un certain nombre de critères. Parmi ceux-ci, le taux de vacance dans la zone, la proximité des moyens de transport et la durabilité des immeubles (PEB). Prenons l’espace Nord : si, demain, un permis venait àêtre demandé pour construire deux tours de 100.000 m2, ce serait une ineptie de l’accorder alors que quatre tours vides attendent occupant.”

Pas de développement à blanc

De la part d’un opérateur qui joue quotidiennement le couplet de la libre concurrence, le raccourci a de quoi surprendre. L’administrateur délégué de CBRE soutient au passage qu’à aucun moment il n’a visé la zone de Tour & Taxis, contrairement à ce que… Michel de Bièvre, le CEO de Project T&T, a pu lire dans son quotidien. “J’ai eu Nicolas Orts en ligne après sa conférence de presse et il m’a confirmé qu’il n’avait jamais voulu cibler Tour & Taxis, puisque les permis y avaient déjàété accordés.” On sait effectivement que le collège de la Ville de Bruxelles a délivré, mi-décembre, un permis pour une première phase de quelque 220.000 m2, dans une zone constructible qui pourrait, selon la volonté de Project T&T, abriter à terme jusqu’à 370.000 m2, dont 100.000 m2 environ de bureaux.

Vu la fourchette entre l’acquis et le possible à négocier avec le politique, on comprend le stress de Michel de Bièvre… “Le marché est autorégulateur, commente-t-il. Aucun investisseur ne mettra son argent dans un projet entièrement à risque pour l’instant. De notre côté, vu la crise, il est clair que nous sommes plus prudents que nous l’aurions été il y a cinq ans. Sans des clients de 10.000 ou 20.000 m2, nous ne nous lancerons pas”, commente-t-il.

Dans les bureaux du développeur Codic, on tient un discours relativement similaire. “Les développeurs bruxellois sont capables de s’adapter au marché et de s’autoréguler, sans prendre encore le risque de développer à blanc, estime le directeur général pour la Belgique Philippe Weicker. Il y a, aujourd’hui, très peu de nouvelles mises en chantier : ce n’est pas parce que les permis sont là qu’il y a forcément construction. Pour preuve, dans le quartier Nord, le projet d’Immobel (TBR).”

Durabilité des bureaux

A la Ville de Bruxelles non plus, l’idée d’un moratoire n’a guère la cote. L’échevin de l’Urbanisme, Christian Ceux (cdH), jouait fin 2009 la carte de l’autorégulation lui aussi. “Je ne suis pas preneur d’un moratoire ; je trouve plutôt qu’on devrait soutenir la construction de bureaux durables. Par contre, je suis favorable à un inventaire détaillé des bureaux vides qui ne pourront plus jamais, raisonnablement, être loués à des fins tertiaires et qu’il faudrait reconvertir en logements.” Quitte à envisager des démolitions/reconstructions dans certains cas désespérés…

L’argument de la durabilité des bureaux, qu’un moratoire ne doit absolument pas freiner, fut également évoqué chez Jones Lang LaSalle (JLL), bombardé de questions au lendemain de la sortie de CBRE. “Surtout pas de moratoire ! lançait Vincent Querton dès la mi-décembre. Ce serait très mauvais pour Bruxelles. La part du régulateur public y est déjà importante ; qu’on laisse au privé l’opportunité de créer de la valeur adaptée.” Autre argument lancé par JLL pour clouer au pilori la mauvaise bonne idée de son concurrent : “Nous sommes à l’aube de la mise en place de nouveaux concepts écologiques dans la construction des immeubles de bureaux. Il serait dommageable que la mise à niveau du parc de bureaux bruxellois prenne du retard sur la concurrence européenne, voire régionale, sous l’effet pervers d’un moratoire limitéà l’espace bruxellois. Il est vrai qu’un mètre carré sur deux disponibles dans le Central Business District est catalogué comme neuf. Mais il ne fait aucun doute que par la compétitivité des prix du neuf, ce stock diminuera rapidement au détriment des immeubles de seconde main”, estime encore Pierre Bondelé (JLL).

Travailler sur la fiscalité

Chez Jones Lang LaSalle, on dit encore préférer la jouer moins “déclarations tapageuses”. Tout au plus Vincent Querton émet-il l’idée d’une réduction ciblée de la TVA pour les entreprises créatrices de richesse qui prendraient le risque de se développer en période difficile. “La TVA n’est pas souvent payée – voire jamais – quand l’Union européenne ou ses satellites rentrent dans un bâtiment. Pourquoi ne pas donner du lest également aux entreprises qui créent de l’emploi ? Plutôt qu’un moratoire, on préférerait une intervention proactive sur la fiscalité”, lance-t-il.

Pierre Bondelé précise la pensée de son patron : “Le pouvoir public pourrait intervenir, soit en baissant le taux de la TVA sur les travaux d’adaptation des immeubles aux nouvelles normes écologiques, soit en attribuant une qualification automatique de ces opérations au régime TVA réduit même si le coût des travaux n’atteignait pas la barre fatidique imposée des 60 % du prix de revente hors terrain.” Chez Codic, Philippe Weicker abonde dans ce sens : “Il faudrait assouplir les conditions selon lesquelles un immeuble est considéré comme neuf au sens de la TVA : aujourd’hui, ces conditions sont très difficiles à remplir. C’est une des pistes constructives à soutenir sans tarder.”

Rendez-vous est d’ores et déjà pris pour en reparler entre acteurs privés et publics bruxellois lors du prochain séminaire immobilier de Laurence de Hemptinne, programmé le 10 février à l’auditoire Jacques Thierry (ING Marnix), rue du Trône à 1000 Bruxelles.

Ph. C. et G.V.

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