Les eBay de l’immobilier

Après des sites privés d’enchères en ligne, c’est au tour des notaires de se lancer dans la vente de biens immobiliers sur l’Internet. Plus que jamais, le Web rebat les cartes entre opérateurs de la distribution immobilière. Qui en tire avantage ?

C’était comment, l’immobilier avant Internet ? Difficile de l’imaginer tant le Web a bouleversé en 10 ans à peine ce secteur ô combien traditionnel, segmenté et détenu par les principaux réseaux (Century 21, Trevi, Era). Pourtant, les professionnels de l’immobilier font de plus en plus face à des enjeux et des mutations rapides semblables à ceux qui ont transformé les secteurs de la finance et du voyage.

Devenue un facteur de différenciation majeur en termes d’image et d’économies d’échelle, l’activité en ligne – essentiellement maîtrisée par des plates-formes intermédiaires – avait déjà déclaré la guerre des prix avec les agences traditionnelles en proposant un taux de commission inférieur en contrepartie d’une prestation simplifiée. Bousculés, les agents immobiliers ont ainsi vu leur portefeuille de biens atterrir sur le site de leur propre agence ou sur des sites d’annonces en ligne, de plus en plus interactifs, tels ImmoVlan ou ImmoWeb. Ensuite, plusieurs plates-formes ont développé de nouvelles fonctionnalités accessibles en ligne comme la visite virtuelle d’un bien, la simulation d’un prêt, la géolocalisation des écoles ou crèches à proximité…

Ces nouveaux outils et canaux virtuels ont bouleversé les pratiques et la chasse gardée des agences immobilières traditionnelles. On pense notamment, sur un autre créneau d’activités (plate-forme de conseil et, surtout, de prêts), à Immotheker, dont les agences, d’abord virtuelles, quadrillent aujourd’hui le territoire national. “Le Web a radicalement changé la donne, confirme Joe Chtouki, patron de Real Estate Group (REEG). Les clients ne visitent plus à tout-va, passent moins facilement par une agence et sélectionnent plus rapidement les biens qui les intéressent. L’intermédiation entre l’acheteur et le vendeur est modifiée à l’avantage du premier et l’expertise du courtier est dribblée par le “tout en ligne”.” Et cela ne semble être qu’un début car le secteur est en passe de vivre sa révolution Web 2.0. Cette fois, de nouveaux entrants jouent les trublions en mettant à nouveau en question le modèle économique des agences immobilières “bricks without clicks“. Comment ? En plaçant des biens immobiliers à la portée d’un clic de souris via des enchères.

Un début d’intérêt du public

Avec la crise immobilière aux Etats-Unis, les maillets virtuels ont gagné leurs lettres de noblesse et la toile américaine pullule d’acteurs : BidOnTheCity.com, Bid4Assets.com, Paramount Realty USA, RealtyBid.com ou encore Auction.com. Même la chanteuse Sheryl Crow s’y est mise l’an dernier en vendant aux enchères sa propriété de 9.500 ares (située dans le Tennessee) sur un site Web.

Plus près de nous, en Grande-Bretagne, en Suède ou encore aux Pays-Bas, la vente de maisons et appartements aux enchères et en ligne fait aussi partie des usages. Par contre, le marché belge reste encore frileux au regard des transactions réalisées dans les pays susmentionnés. Et pour cause : si proposer son habitation à la vente via Internet séduit de plus en plus de particuliers – qui évitent ainsi de devoir verser une commission à l’intermédiaire professionnel – l’acquisition et la cession d’une maison via des enchères en ligne font encore peur.

C’est le cas de la société Directmakelaar. Précurseur en Belgique, l’agence a introduit un système de ventes aux enchères voici plus de deux ans. Principal objectif : accélérer la transaction de biens immobiliers pour les propriétaires désireux de vendre au plus vite. “Dans le cas d’une enchère en ligne, le bien part en trois semaines alors qu’une vente classique dure entre 15 et 21 semaines, explique Hans Loose, fondateur de Directmakelaar. Toutefois, nous utilisons la pla-te-forme d’enchères uniquement pour des cas bien spécifiques : des particuliers pressés, un bien qui se situe dans une fourchette de prix de 220.000 à 300.000 euros ainsi que pour des biens dont on sait pertinemment qu’ils seront suivis par le plus grand nombre de candidats.” Pour accéder à la vente, le candidat doit s’inscrire à l’avance et l’enchère s’étale sur une période de 10 jours après la première journée de visite. Le vendeur, qui débourse 2.475 euros pour l’organisation des enchères, conserve le droit d’arrêter le processus de soumission ou de sortie anticipée. Précisons que l’agence ne concentre pas toute son activité sur les enchères en ligne puisqu’elle propose, à l’instar des agences plus classiques, les autres canaux de vente. Aussi, les ventes réalisées aux enchères restent-elles assez confidentielles : à peine quatre à ce jour.

Cinq ventes par mois en moyenne

Malgré tout, ce premier “eBay” de l’immobilier en Belgique a donné des idées à d’autres. C’est le cas du site d’enchères immobilières en ligne francophone unefois-deuxfois et de son pendant néerlandophone eenmaal-andermaal. Depuis plus d’un an et demi, le site propose aux acheteurs de surenchérir sur des biens immobiliers directement en ligne grâce à une salle d’enchères virtuelle. Et à la différence de Directmakelaar, cette agence sans vitrine propose une plateforme d’enchères en temps réel.

Innovante, la vente ne commence pas par un prix de demande, comme c’est le cas chez les agents immobiliers “classiques”, mais par un prix de départ. “En offrant la maison avec un prix de départ attractif, on crée une opportunité d’achat unique”, explique Paul Voerman, fondateur d’unefois-deuxfois. Concrètement, une fois l’annonce publiée sur le site, une période de 30 jours est laissée aux intéressés pour se faire connaître auprès d’un agent immobilier afin de visiter le bien et pouvoir participer à l’enchère. Une fois la date de l’enchère arrêtée, les “e-candidats” déposent alors leurs mises sur le bien en temps réel via leur ordinateur ou via l’agence immobilière. Le maillet virtuel tombe après une heure d’enchères et si le prix de réserve est atteint, le bien immobilier file dans les mains du plus offrant. “A la fin de l’enchère, l’agent immobilier responsable du dossier contactera en priorité le plus-offrant afin de signer le contrat de vente”, précise le CEO d’unefois-deuxfois. Ici, pas question de “doubler” les agents immobiliers professionnels puisque le site collabore avec des agents immobiliers spécialisés, formés et familiarisés avec le concept. Mais combien coûte l’organisation d’une vente aux enchères pour le vendeur ? “Nous travaillons sur la base no cure, no pay, c’est-à-dire que le coût s’élèvera à 605 euros, TVA incluse, si la vente est réalisée aux enchères”, précise encore Paul Voerman. Preuve d’un début d’intérêt du public, unefois-deuxfois a réalisé plus de 90 ventes aux enchères depuis son lancement. Soit cinq ventes par mois en moyenne.

Ce succès a failli être mis à mal par certains notaires mécontents. Ces derniers ont en effet saisi le tribunal correctionnel d’Anvers afin qu’il détermine si les organisateurs des enchères faisaient “de l’ingérence dans une fonction publique” (celle de notaire). Les plaignants estimaient que cette façon de travailler était contraire à la réglementation concernant les ventes publiques de biens immobiliers. Finalement, en mars dernier, le tribunal n’a pas suivi le réquisitoire du ministère public, estimant que le site ne pratiquait pas de véritables ventes publiques puisque les offres ne sont pas juridiquement contraignantes.

Ventes notariales interactives

Reste que si les notaires ont stigmatisé l’initiative d’unefois-deuxfois, ils ont également dû prendre le train en marche. A tout le moins au niveau de leur fédération nationale, car dans les études de province, on apprécie moyennement le nouvel outil mis au point. Après avoir développé l’intranet “e-notariat” pour relier les études voici 10 ans, la Fédération royale du notariat belge a, la semaine dernière, donné un coup chiffon pour dépoussiérer les ventes publiques de biens dans les salles et autres arrière-salles de vente. Au diable donc les antédiluviennes ventes. Place nette est faite à une plateforme de transaction électronique pour les ventes publiques. Accessible à tous les curieux, Notaclick nécessite cependant de s’authentifier sur le site de transaction pour participer à la vente. C’est la carte d’identité du candidat acheteur qui fera foi. Pour éviter toute précipitation dans l’achat – comme c’est parfois le cas aujourd’hui lorsque la vente s’étale sur une quinzaine de minutes – les amateurs pourront faire monter les enchères pendant une durée de trois semaines après la première séance virtuelle. Sans le dire officiellement, ce nouvel outil permet à la Fédération de vérifier, avant enchères, la solvabilité des enchérisseurs et d’éliminer préalablement les farfelus qui court-circuitent parfois les enchères classiques. Au-delà de cette présélection, la solution permet aussi de fixer un prix objectif et transparent pour un bien dont la valeur aurait pu être contestée par l’administration fiscale ou par des propriétaires en indivision. Plus concrètement, les premières enchères en ligne des notaires devraient débuter au mois d’octobre. A condition toutefois que le public et les notaires suivent : pour l’heure, à peine 20 notaires – surtout du nord du pays – se sont prêtés au jeu pour une dizaine de biens disponibles seulement…

Valéry Halloy, avec Philippe Coulée

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