Le ‘placemaking’ ou comment créer une nouvelle ‘place to be’

Slotendijk, à Amsterdam. Le conteneur rouge abrite un resto à la mode. © PG

Pas toujours facile de dénicher des emplacements bien situés. La plupart sont extrêmement rares, donc très chers. Et le défi n’est pas toujours excitant: qui dit excellente situation, dit placement immobilier sûr. Créer une nouvelle “place to be”, par contre, s’avère nettement plus passionnant.

Le concept de placemaking est déjà bien ancré à Amsterdam. Malgré le formidable boom que connaît le centre-ville depuis quelques années, la capitale néerlandaise compte encore de nombreux quartiers défavorisés. Du pain bénit pour les adeptes de placemaking. Voici comment Bob van der Zande, responsable de l’urbanisme à la ville d’Amsterdam, définit le concept : ” une stratégie ou un processus qui consiste, grâce à de modestes initiatives, à donner une nouvelle identité à une zone sans valeur particulière de manière à ce que certains se disent que ce pourrait être le hotspot de demain “.

La modestie du projet est importante à ses yeux. ” On peut évidemment revaloriser un quartier par un masterplan ambitieux et de gros investissements. Telle est généralement l’acception donnée au placemaking aux Etats-Unis. Pour nous, le placemaking est une forme d’urbanisme tactique, une expression qui dit bien ce qu’elle veut dire. ” Comme le confirme Jean-Luc Calonger, président de l’Association de management de centre-ville (AMCV), le concept peut effectivement recouvrir plusieurs acceptions. Il a adapté les outils de placemaking, essentiellement anglo-saxons, au contexte européen. ” Les différences culturelles sont légion. En Europe, nous – les autorités surtout – attachons beaucoup d’importance à la dimension architecturale. Une transformation se doit d’être esthétique. La destination première du site passe parfois au second plan, c’est regrettable. ”

Une place à New York

Pour Jean-Luc Calonger, Bryant Park à Manhattan est l’exemple le plus parlant de placemaking réussi. Bryant Park était un chancre urbain notoire jusqu’à la fin des années 1970. ” Quand je suis allé à New York dans ma jeunesse, mes parents m’ont conseillé d’éviter soigneusement deux endroits : Harlem et Bryant Park “, se souvient Jean-Luc Calonger.

Le ‘placemaking’ est très difficile dans les endroits isolés. Les quartiers qui donnent le meilleur résultat sont ceux situés à un carrefour, reliés à d’autres endroits.” Jean-Luc Calonger, président d’AMCV.

Bryant Park est aujourd’hui un des endroits les plus animés et les plus pittoresques de Big Apple. La transformation remonte aux années 1980. La première tentative des autorités locales qui ont entrepris le nettoyage de la place et investi dans l’installation de mobilier urbain et de belles plantations s’est soldée par un échec cuisant. ” Tout était anéanti au bout d’une semaine, précise Jean-Luc Calonger. Des semaines de travail pour rien. ”

Cette première tentative a toutefois eu le mérite de mobiliser les propriétaires et les habitants. Avec la bénédiction de la mairie. Résultat : une véritable métamorphose. ” L’exemple de Bryant Park fait désormais école, poursuit le président de l’AMCV qui distingue trois étapes importantes dans le processus de placemaking : branding, making et management. Tout commence par l’identification des groupes cibles : qui veut-on attirer et comment faire pour les convaincre de venir ? Du marketing pur mais à l’envers : il ne s’agit pas de segmenter mais au contraire, d’intégrer. Une fois l’objectif clairement défini, il n’y a plus qu’à développer les concepts. ”

Un restaurant, des kiosques et un café, tous peints en vert foncé, désormais la marque de fabrique du site, sont venus s’implanter au Bryant Park. Le mobilier fixe a cédé la place à des chaises pliables pour permettre aux visiteurs de choisir leur place sur la pelouse. Le carrousel attire de nombreux parents avec de jeunes enfants. Bryant Park sert aussi de décor à de nombreuses manifestations. ” L’événementiel est une façon d’assurer l’animation du lieu pendant les mois d’hiver, fait remarquer Jean-Luc Calonger. L’organisation d’événements relève du volet management. L’animation de pareil endroit est indispensable. Sans une bonne gestion et un minimum de fréquentation, la régression est toujours possible. ”

La reconversion réussie de la place se confirme aussi dans l’évolution des prix immobiliers. Les loyers des bureaux du Grace Building, une des plus hautes tours de Bryant Park, ont bonifié de 114 % en 10 ans, une hausse nettement plus rapide que celles des immeubles de bureaux avoisinants. Le propriétaire Brookfield a enregistré une valorisation du complexe de bureaux de l’ordre de 217 millions de dollars.

Créer une identité

Lode Waes, CEO de la société de promotion immobilière Vanhaerents Development, cite un autre exemple à New York : The High Line, également à Manhattan. Cette ancienne voie ferrée est devenue un des parcs les plus branchés de New York. ” Le reconversion de la High Line a été en grande partie financée par les promoteurs présents sur les lieux, explique Lode Waes. En échange de leur financement, ils ont été autorisés à construire plus en hauteur. ”

L’objectif du ‘placemaking’ ? Donner une nouvelle identité à une zone sans valeur particulière de manière à ce que certains se disent que ce pourrait être le ‘hotspot’ de demain.” Bob van der Zande, responsable de l’urbanisme à la ville d’Amsterdam.

Le point de départ du placemaking est un ‘projet porteur’, selon Lode Waes. ” Ce peut être n’importe quoi, dit-il. Une ancienne ligne ferroviaire comme la High Line, une place ou un certain type d’architecture. Songez au rôle que le MAS a joué dans le développement de Het Eilandje à Anvers. Le site ne doit pas nécessairement être spectaculaire. Ce peut aussi être un mix ou un cluster de fonctions. A Ypres, nous avons joué la carte du cluster de fonctions culturelles sur le site de Picanol. ”

Le placemaking est promis à un bel avenir chez nous aussi, anticipe Lode Waes. ” La pression urbaine ne cesse de s’intensifier. La plupart des endroits attrayants du centre-ville étant déjà pris, l’attention se porte tout naturellement sur les quartiers plus difficiles. Tout l’art consiste à redonner une identité à ce genre de site pour en faire un véritable place to be. ”

Pour Bob van der Zande également, la création d’une identité est fondamentale. ” Les sites auxquels nous nous intéressons sont souvent des lieux de passage, note-t-il. Le but est d’en faire des lieux de destination. L’horeca branché peut jouer un rôle de premier plan. On peut aussi procéder de façon thématique. Nous positionnons le nouveau quartier de Buiksloterham comme une sorte de laboratoire d’économie circulaire. Il attire désormais de nombreux acteurs intéressés, néerlandais et étrangers, curieux de se rendre compte par eux-mêmes du potentiel d’un quartier circulaire. ”

Participation et pop-up

La participation est un autre facteur-clé. ” Bryant Park n’est pas l’oeuvre de quelques intellectuels qui se sont penchés sur une table de dessin, constate Jean-Luc Calonger. A la base, il y a un vrai dialogue avec les futurs utilisateurs. ” ” Il très important de pouvoir compter sur les pionniers et les early adopters “, ajoute Bob van der Zande. Les utilisations temporaires sont une façon très populaire d’attirer le public dès la première phase de création d’un nouveau site. L’initiative pop-up A-Tower, avec Bar Gloed notamment, a attiré dans les locaux inoccupés de l’Antwerp Tower un public qui n’y avait jamais mis les pieds. Le promoteur immobilier Matexi devrait prochainement annoncer son projet de reconversion du bâtiment. Avec l’aide et à l’initiative d’AG Real Estate, Rooftop58 a transformé le dernier étage du Parking 58 en un bar branché temporaire avec vue imprenable sur Bruxelles. Le célèbre parking devra bientôt céder la place à un nouveau projet. A Gand, le site Sidaplax a accueilli de nombreuses activités ces derniers mois. Vanhaerents Development et Re-Vive projettent d’y démarrer un nouveau projet résidentiel (lire l’encadré “Gentbrugge: le hotspot gantois”). ” Nous encourageons ce genre d’initiatives mais avons fait le choix délibéré de ne pas les organiser nous-mêmes , précise Lode Waes. L’initiative doit venir des principaux intéressés. Si nous nous impliquons en tant que promoteur immobilier, l’initiative paraîtra d’emblée moins crédible. ”

Sage décision des promoteurs immobiliers. La mise en valeur du site a été confiée à des bénévoles enthousiastes et les professionnels de l’immobilier en cueillent les fruits. Encore faut-il que le projet réponde aux attentes suscitées. ” Ce genre d’utilisation temporaire est aussi l’occasion de se consulter “, assure Lode Waes.

Bob van der Zande souligne par ailleurs le rôle des promoteurs immobiliers dans la prise de risques : ” Nous pensions pouvoir nous passer des promoteurs immobiliers. Grossière erreur. Les bons promoteurs sont capables de radiographier la situation. Ils sont capables d’estimer son potentiel, ce que les autres ne sont pas toujours capables. Mais ils doivent aussi avoir une vision à long terme. ”

Quel est le rôle dévolu aux autorités municipales ? ” Nous pouvons réunir autour de la table tous les acteurs intéressés, propriétaires, habitants, entrepreneurs. En tant qu’autorités, nous devons être ouverts aux initiatives, même si elles viennent des acteurs traditionnels. Nos fonctionnaires ont été tout spécialement formés. Ils doivent être perméables aux bonnes idées et chercher des solutions avec les intéressés. La mentalité ‘excellente idée mais irréalisable car …’ doit disparaître. ”

Pas partout

Même si nos interlocuteurs prédisent le succès croissant du placemaking, ce concept est tout sauf une formule miracle.

” Cela ne fonctionne pas dans toutes les villes, reconnaît Bob van der Zande. Il faut une certaine dynamique qui pousse à aller chercher du côté des zones défavorisées. Les endroits un peu sauvages comme les anciens sites industriels s’y prêtent mieux. ”

Lode Waes confirme: ” Le promoteur immobilier traditionnel préfère partir d’une page blanche. Des endroits sans âme le plus souvent “.

Amsterdam/Sloterdijk : quand le gris devient vert et rouge

Le quartier du Sloterdijk se trouve au nord-ouest d’Amsterdam. Le centre historique n’est pas très loin, à moins de 20 minutes à vélo. Le train (12 par heure) vous dépose à la gare d’Amsterdam-Centraal en 8 minutes à peine. Mais malgré sa situation intéressante, le quartier n’avait rien de vraiment attractif. “Notamment parce qu’il n’abritait pour ainsi dire que des bureaux”, déclare Bob van der Zanden. La place Orly, devant la gare, résumait à elle seul l’ambiance du quartier. “Un espace morne et ennuyeux, se souvient Bob van der Zanden. Les navetteurs s’y rendaient pour prendre le bus, sans plus.”

La place Orly a aujourd’hui repris des couleurs. Le gris a été remplacé par le vert des plantations et le rouge des grands conteneurs qui agrémentent la place, dont l’un d’eux abrite le restaurant Bret très en vogue. Un peu plus loin, un tram complètement relooké fait office de café. Le TrainLodge, un vieux train transformé en hôtel, est venu s’installer près de la voie ferrée. Le convoi met à la disposition des voyageurs de passage 132 couchettes réparties dans 44 compartiments.

Toutes ces initiatives de placemaking ont pour but d’accélérer la transformation du centre de Sloterdijk “en un quartier haut en couleur et polyvalent”, d’après les autorités. Le but ultime est d’ “instaurer un climat positif dans et autour des premiers lotissements résidentiels de Sloterdijk de manière à ce que le quartier fasse partie intégrante du tissu urbain d’Amsterdam”. Les premiers lotissements destinés à la construction de logement seront disponibles à Sloterdijk mi-septembre 2016.

Namur : un Bryant Park en miniature
Le 'placemaking' ou comment créer une nouvelle 'place to be'
© PG

A 500 mètres seulement du Parlement wallon, le square Ferdinand Courtois a tout pour être un des endroits idylliques de Namur. Idéalement situé le long de la Sambre, à deux pas du confluent avec la Meuse. Sur l’autre rive se dresse l’imposante citadelle de Namur. Un petit escalier relie la place à la Maison de la Culture. Bref, une halte plus que bienvenue dans la capitale wallonne.

Malgré cela, le square était déserté par les Namurois jusqu’à il y a quelques années. ” Même problème qu’au Bryant Park à New York mais à plus petite échelle”, confie Jean-Luc Calonger, commandité pour revitaliser le square.

” L’endroit dégageait un certain charme vu de loin, se souvient l’expert. On reconnaissait encore vaguement quelques plantations.” Les déchets jonchaient les parterres délaissés. Mais le plus gros problème était la bande urbaine qui y avait élu domicile. “Elle s’était littéralement approprié le square. Il n’y avait que deux accès qu’ils pouvaient facilement contrôler. Même la police et les agents de propreté évitaient de s’y aventurer.”

Une campagne de communication a été lancée après un premier tour d’observation. “Pour obtenir la participation des riverains et des utilisateurs potentiels, il faut leur faire savoir qu’un projet est en cours”, justifie Jean-Luc Calonger. Parallèlement, le square a fait l’objet d’un grand nettoyage et d’un contrôle rapproché de la bande urbaine. “Un nouveau règlement communal peut s’avérer très utile. On ne peut évidemment par interdire l’accès à un espace public mais on peut imposer le respect de certaines règles : interdiction de jeter des immondices, de consommer de l’alcool, etc. L’observation du règlement doit être strictement contrôlé pendant deux semaines environ, de manière à décourager les bandes et à attirer d’autres utilisateurs.”

Plusieurs actions ont ensuite été entreprises pour consulter et rencontrer le public. Les personnes de passage étaient invitées à noter leurs idées et leurs souhaits sur un tableau noir. “Les suggestions n’étaient pas vraiment réalisables mais le but était de susciter plus d’implication, explique encore le président de l’AMCV. Il était également possible d’exprimer ses idées sur un site web, ce qui a permis de collecter de nombreuses propositions utiles.” Un premier tri a été effectué parmi les propositions les plus réalistes. Les internautes ont ensuite été conviés à choisir dans cette présélection.

En termes d’infrastructure, les modifications se sont limitées à l’aménagement d’une pelouse et l’arrachage des mauvaises herbes. Mais le square a été équipé de mobilier déplaçable comme des transats, des parasols, des petites tables de terrasse, des chaises pliantes, etc. Une armoire bibliothèque, des foodtrucks et une boîte de jeux assuraient une certaine animation. Des fêtes y ont été organisées et saint Nicolas y a fait son entrée en ville. Jean-Luc Calonger est un homme heureux. “Le square reçoit aujourd’hui la visite d’étrangers. Preuve s’il en est que le projet est réussi.” Malgré cela, l’homme se dit inquiet. La ville entend pérenniser le succès par le réaménagement plus ambitieux du square. “Espérons que ce réaménagement tiendra compte des nouveaux utilisateurs actuels.”

Gentbrugge : “hotspot” gantois
Le 'placemaking' ou comment créer une nouvelle 'place to be'
© WOUTER MAECKELBERGHE

“KERK est votre jardin urbain, votre salle d’exposition, votre atelier, votre bar ou votre workshop”, peut-on lire sur Facebook. Ainsi que : ” KERK, c’est maintenant, pas pour l’éternité”. KERK désigne en effet l’affectation temporaire de l’ancienne usine Sidaplax située rue de l’Eglise à Gentbrugge. Les promoteurs immobiliers Vanhaerents et Re-Vive qui ont acquis le site en 2013 projettent de construire des logements durables sur le terrain d’environ 2 ha. Le projet a été baptisé RUTE, en référence à l’ancienne usine Sidaplax qui produisait jusqu’en 2011 un film spécial pour enveloppes à fenêtre (les fameuses ruitjes). Le projet des deux promoteurs vise essentiellement les jeunes familles. D’où le lancement de KERK, une initiative de l’ASBL Springstof. Springstof s’est vu confier par les deux promoteurs immobiliers la coordination de l’affectation temporaire du site dans le but de le faire connaître du public-cible. Un défi relevé haut la main par Springstof qui a réussi à faire de KERK un des hotspots gantois de ces dernières années. Les événements – concerts, expositions, brocantes, bar d’été, etc. – ont attiré un public branché, des familles avec de jeunes enfants essentiellement. Précisément le groupe-cible que Vanhaerents et Re-Vive cherchent à sensibiliser à leur projet RUTE. “En un rien de temps, KERK totalisait plus de 17.000 fans sur Facebook, ajoute Lode Waes. Un chiffre qui ferait rêver plus d’un promoteur immobilier. Toutes ces activités ont permis à de nombreux jeunes de découvrir l’endroit et d’imaginer ce qu’il pourrait devenir.”

Et Jean-Luc Calonger de pointer une autre condition : ” Le placemaking est très difficile dans les endroits isolés. Les quartiers qui donnent le meilleur résultat sont ceux situés à un carrefour, reliés à d’autres endroits. ”

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