Le nouveau visage de Marseille-sur-mer

© Sylvie Bresson

Capitale européenne de la culture en 2013, la cité phocéenne a frappé un grand coup en rénovant à fond son front de mer délaissé. Une métamorphose spectaculaire, presque achevée aujourd’hui.

Les villes portuaires ont vécu de profondes mutations au cours des dernières décennies : la taille croissante des navires a nécessité des installations nouvelles, souvent éloignées des anciennes et du centre-ville. Les quais historiques furent progressivement abandonnés, leurs entrepôts délaissés pour cause d’obsolescence. Un peu partout dans le monde pourtant, on redécouvre ces sites du passé. Pouvoirs publics et groupes privés rénovent et remettent en valeur ce patrimoine longtemps négligé : musée ici, centre commercial là, salle de spectacle, quartier d’affaires, logements, etc. Marseille en offre un bel exemple. Du siège de la compagnie maritime CMA-CGM jusqu’au fort Saint-Jean, la nouvelle façade portuaire de la ville s’étend sur près de trois kilomètres. Un atout supplémentaire pour la plus ancienne ville de France, célèbre pour son Vieux Port, sa Canebière, sa cathédrale Notre-Dame de la Garde, ou encore ses Calanques. D’autant qu’il y en a ici de toutes les époques et pour tous les goûts.

Zaha Hadid et Jean Nouvel

Le siège de CMA-CGM, conçu par l'architecte anglo-irakienne Zaha Hadid
Le siège de CMA-CGM, conçu par l’architecte anglo-irakienne Zaha Hadid© Sylvie Bresson

Rares sont les touristes à pousser une pointe jusqu’à l’extrémité nord de ce front de mer rénové, même s’il est aujourd’hui accessible par tram. Les mordus d’architecture viennent toutefois jeter un oeil sur deux immeubles emblématiques de ce nouveau quartier d’affaires. Le siège de CMA-CGM d’abord, conçu par l’architecte anglo-irakienne Zaha Hadid (à qui l’on doit le Port House d’Anvers) et inauguré en 2011. Cette tour ” asymétrique et sculpturale ” de 147 m de haut est le nouveau quartier général d’une compagnie maritime française qui s’est en peu de temps hissée dans le top 5 mondial. Avec une force comparable à celle des deux sumos soulevant un conteneur, oeuvre cocasse bordant le flanc nord de la tour, due à l’Ecossais David Mach.

L’autre bâtiment-phare de ce quartier Euroméditerranée encore en construction est La Marseillaise, une tour signée Jean Nouvel. Son nom se réfère (aussi) à ses trois couleurs, déjà bien apparentes alors que son achèvement n’est attendu que dans un an. Elle tiendra compagnie à la précédente, mais avec deux mètres de moins en hauteur. Hommage volontaire du Français à sa consoeur disparue en mars 2016 ?

Rares sont les touristes à pousser une pointe jusqu’à l’extrémité nord du front de mer rénové.

Avant d’arriver à la zone commerciale, place à la culture. Voici le Silo. Achevé en 1927 et désaffecté dans les années 1980, le Silo d’Arenc est menacé de démolition dans les années 1990 mais, en 2007, le voilà transformé en bureaux et salle de spectacle polyvalente de 2.000 places. Ce très imposant immeuble accueille quelque 80 manifestations par an, concerts, cabaret, théâtre, etc. De Dany Boon en ce début novembre à la cantatrice Barbara Hendricks en avril 2018.

Des Terrasses aux Docks

Tour du Fanal au Fort Saint-Jean
Tour du Fanal au Fort Saint-Jean© Sylvie Bresson

Encore un peu plus au sud, c’est en permanence la foule des grands jours qui parcourt et traverse le quai du Lazaret. Rien d’étonnant : il est bordé par deux centres commerciaux qui se font directement face… mais pas totalement concurrence. Côté mer, les Terrasses du Port abritent pas loin de 200 commerces sur 61.000 m2. Un centre et des enseignes assez classiques, mais bénéficiant de beaux espaces et d’une gigantesque terrasse avec vue directe sur les ferries reliant Marseille à la Corse et à l’Afrique du Nord.

Décor tout différent pour Les Docks, situés côté ville. Abrité dans d’anciens entrepôts datant du milieu du 19e siècle, ce centre développe 15.000 m2, ses quelque 60 commerces s’articulant autour de quatre places centrales à ciel ouvert, reliées par des couloirs intérieurs. De quoi faire complètement oublier que le bâtiment s’étend sur pas moins de 365 m de long.

Les étages furent reconvertis en bureaux dans les années 1990, tandis que les deux niveaux de rez furent promis aux commerces et restaurants après achat du bâtiment, en 2007, par des investisseurs institutionnels conduits par JP Morgan AM. Ouvert en automne 2015, le centre propose des restaurants et des commerces de taille moyenne, ou même réduite. Parmi les premiers : l’Albertine, un des nombreux établissements de l’incontournable chef marseillais Gérald Passedat, ou encore l’Histoire belge, fondé par des compatriotes et dont le nom ne nécessite guère d’explications. Parmi les seconds, on relève le Four des navettes, fabricant très authentique de ces emblèmes alimentaires de la ville : la navette est un biscuit (très massif ! ) aromatisé à la fleur d’oranger.

Souvent présentés sous le nom Les Docks Village, ce centre commercial séduit autant par le bâtiment lui-même que par sa riche et originale décoration intérieure. Les carrelages bleus de la place du Port, notamment, sont un régal visuel. Dans un tout autre registre, c’est à l’arrière des Docks que trône un immeuble à l’architecture franchement décalée : le FRAC, pour Fonds régional d’art contemporain. Il a emménagé ici en 2013, participant lui aussi au renouveau du quartier. Ce bâtiment imaginé par l’architecte japonais Kengo Kuma abrite un millier d’oeuvres d’un demi-millier d’artistes, et propose aussi de nombreuses manifestations ponctuelles.

La cathédrale Sainte-Marie Majeure
La cathédrale Sainte-Marie Majeure© Sylvie Bresson

Un quartier ressuscité !

Atmosphère très calme, au contraire, une fois passée la place Joliette, important noeud de communication. Normal : l’ancienne gare maritime désaffectée ne fait encore face qu’à des immeubles en rénovation, voire en construction. On ne s’agite guère non plus un peu plus loin, au niveau des Voûtes de la Major, même si quelques espaces de restauration s’ajoutent aux commerces de décoration qui occupent ce long bâtiment élégant… et à la nature pour le moins étrange. De fait, il constitue en quelque sorte le soubassement prolongé de la cathédrale construite ici au 19e siècle. Abandonnés pendant plus de 40 ans, ces lieux devinrent un centre commercial en septembre 2014. On s’y rend notamment chez L’Esperantine, fabricant de ravissants petits chocolats qui comptent de l’huile d’olive parmi leurs ingrédients.

Pour les Voûtes de la Major, le projet Euroméditerranée ne fut pas synonyme de rénovation, mais bien de résurrection. Le bâtiment n’était pas seulement abandonné : il était aussi inaccessible, suite à la construction d’une monstrueuse voie rapide. Même situation pour le musée Regards de Provence, situé à un jet de pierre. Construit en 1948 et conçu par les architectes Pouillon et Egger, cet élégant bâtiment avait vocation de station sanitaire maritime pour les immigrés. En témoignent toujours les étuves qui désinfectaient leurs vêtements ! ” L’immeuble était quasiment enfoui sous la voie rapide, au point que nombre de Marseillais en avaient oublié l’existence “, relate son directeur. Un tunnel a aujourd’hui remplacé cette saccageuse autoroute urbaine.

La cathédrale Sainte-Marie Majeure, plus simplement appelée la Major, a elle aussi bénéficié de cette métamorphose du quartier : elle y a gagné une vaste esplanade pour accueillir ses visiteurs. Inspiration byzantine avec ses nombreuses mosaïques, mélange de roman et de gothique, façades en pierres alternativement vertes et blanches, autel en marbre de Carrare… Très éclectique donc mais, au total, la Major est beaucoup plus majestueuse (beaucoup moins kitch, osent certains) que nombre d’autres édifices de style néo-byzantin construits au 19e siècle. Marseillais et touristes la redécouvrent avec bonheur.

La Villa Méditerranée et son gigantesque porte-à-faux
La Villa Méditerranée et son gigantesque porte-à-faux© Sylvie Bresson

Le béton fibré du J4

En dépassant la Major, on pénètre en quelque sorte dans le saint des saints du renouveau marseillais, avec pour symbole le MuCEM, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Non sans avoir d’abord l’attention attirée par le bâtiment voisin : la Villa Méditerranée, qui interpelle par son gigantesque porte-à-faux de 40 m de long ! Elle interpelle aussi son propriétaire, le Conseil régional… qui ne sait qu’en faire. Certains n’excluent même pas une démolition de cet espace qui n’a jamais trouvé sa voie sur la scène culturelle et dont l’entretien coûte, paraît-il, 5 millions d’euros par an. Ceci n’empêche pas d’admirer la prouesse technique due à l’architecte Stefano Boeri, dont le secret est un ancrage à 36 m de profondeur. Ni d’emprunter le long escalator qui débouche sur cet étage vide, en porte-à-faux, dont le plancher comporte plusieurs vitrages. Vue plongeante sur l’eau, à 19 m de haut.

Joliment fleuri, offrant de beaux espaces et de jolies vues,le Fort Saint-Jean ne désemplit pas aux beaux jours.

Revenons à l’emblématique MuCEM. Due au Français Rudy Ricciotti (qui a signé l’extension de La Boverie, à Liège), cette oeuvre architecturale est une incontestable réussite. Ce cube de 72 m de côté est, sur deux côtés et sur une partie de la terrasse, entouré d’une résille de béton qui lui confère une personnalité affirmée. Il est devenu un symbole de Marseille au même titre que Notre-Dame de la Garde, la ” Bonne Mère ” qui domine la cité. Inauguré en juin 2013, le musée attire aujourd’hui 1,5 million de visiteurs par an. Sa popularité tient au fait qu’outre ses espaces muséaux, qui accueillent de nombreuses expositions temporaires, le bâtiment offre, à son sommet, une esplanade ouverte à tous et bordée d’espaces de restauration. Le MuCEM… ou plutôt le (bâtiment) J4, nom officiel de cet immeuble. Car le MuCEM englobe également le Fort Saint-Jean voisin. Ces deux composantes sont reliées par une spectaculaire passerelle qui surplombe l’eau à 19 mètres et joue elle aussi les vedettes. Par sa longueur de 135 m, mais également par sa structure en béton fibré. Un coup d’oeil attentif rend compte du renforcement du béton par des inclusions de fibres métalliques : la surface est constellée de micro-taches de rouille. C’est ce même béton qui compose la résille de couverture du musée. Un matériau de hautes performances (et de prix très élevé) mis au point par Lafarge.

Le MuCEM
Le MuCEM© Sylvie Bresson

Les graffitis du Roy René

Tout au sud de ce front de mer rénové trône donc le Fort Saint-Jean. Son élément le plus précieux remonte au milieu du 15e siècle : la tour du Roy René, gardienne directe de l’entrée du Vieux port, qui résista en 1536 aux assauts d’un certain Charles Quint. L’ennemi ne venait pas toujours du large : c’est pour protéger le fort d’une population marseillaise trop portée sur l’émeute que Vauban fit creuser un fossé du côté ville. Il est aujourd’hui comblé et le fort est accessible depuis le Vieux Port.

La vue est évidemment superbe depuis le sommet de la tour du Roy René. En cas de fermeture, on se console avec la charmante terrasse indiquée par la pancarte ” cavalier de la rade “.

Plusieurs bâtiments du fort, datant de la fin du 17e siècle, ont trouvé une affectation horeca ou culturelle, celui de la place d’Armes pouvant accueillir des expositions sur le thème Graff, les graffitis étant une des spécialités du MuCEM. Joliment fleuri, offrant de beaux espaces et de jolies vues, prolongé par un espace muséal devenu emblématique, le Fort Saint-Jean ne désemplit pas aux beaux jours. Avant d’être un musée, le MuCEM est clairement devenu un but de promenade pour les Marseillais, qui se sont réapproprié cette partie de la ville naguère délaissée. Il est aussi un produit d’appel fort séduisant pour le tourisme dans la cité phocéenne.

MuCEM ou J4 ?

La terminologie utilisée pour désigner le front de mer rénové de Marseille n’est pas toujours limpide. Ainsi, l’appellation Euroméditerranée coiffe l’ensemble du projet mais est, en pratique, souvent utilisée pour désigner le quartier des affaires situé dans le Nord. C’est plus gênant pour le MuCEM, nom ordinairement donné au musée qui trône en bord de mer. En réalité, il est officiellement désigné par J4, soit le numéro de l’ancien môle portuaire sur lequel il est bâti. L’appellation MuCEM est plus large : outre un espace d’archives situé ailleurs dans la ville, elle englobe le site voisin du Fort Saint-Jean, dont quelques bâtiments ont reçu une réaffectation muséale. Pas très heureux sur le plan de la communication et source de quiproquos…

La ville de Marseille propose un city pass : de 26 euros pour 24 heures à 41 euros pour 72 heures. Il offre l’entrée aux principaux musées, l’accès aux transports en commun, un trajet en petit train touristique et le bateau pour l’île d’If ou les îles du Frioul. Informations sur www.marseille-tourisme.com.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content