Le groupe immobilier Eiffage parie sur Charleroi

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Après le groupe immobilier Saint-Lambert Promotion (Rive Gauche), Eiffage Development est le second acteur d’envergure à tenter le pari carolo. Il va investir plus de 110 millions d’euros dans le Left Side Business Park. On y retrouvera bureaux, commerces, logements (près de 400) et même une marina. La Ville espère y voir un appel d’air pour d’autres promoteurs immobiliers tentés par le renouveau local.

Le constat est aujourd’hui implacable. Aucune ville wallonne ne dispose actuellement d’une feuille de route urbanistique aussi élaborée que celle de Charleroi. Tout y est écrit noir sur blanc. Que ce soit les grandes lignes à suivre, les pôles d’attraction à redynamiser ou les besoins à combler. Reste seulement à trouver les investisseurs privés pour concrétiser les intentions. Un élément plus compliqué que prévu pour les décideurs carolos. D’autant que le milieu immobilier wallon et bruxellois reste encore sceptique sur l’opportunité d’investir à Charleroi. ” Les loyers sont trop faibles pour assurer une certaine rentabilité “, nous disait encore récemment un développeur wallon de premier plan. ” C’est encore trop tôt “, affirmait un autre. Il faut dire qu’on ne panse pas de telles plaies en quelques présentations PowerPoint ou par le biais d’une communication attractive. Dans cette situation, l’idéal est de trouver l’un ou l’autre précurseur qui n’a pas froid aux yeux.

C’est désormais chose faite. Un acteur de premier plan vient de décider de relever le pari du renouveau carolo. Le groupe Eiffage Development va construire un ensemble de bureaux, de logements (380 unités) et de commerces pour un total de 48.000 m2 dans le cadre du projet Left Side Business Park, situé au bord du ring, dans la Ville-Basse. Et, autre nouveauté, une marina sera au centre de ce projet mixte, permettant de donner une attractivité nouvelle à la Sambre. Un investissement total de près de 110 millions d’euros, dont les premiers coups de pioche sont espérés début 2019. Le dossier est au stade de l’avant-projet. Les demandes de permis seront déposées dans les prochaines semaines. Si tout se passe bien, la dernière phase devrait être bouclée en 2023.

Précurseur plutôt que suiveur

Thierry Collard, administrateur délégué d'Eiffage Development
Thierry Collard, administrateur délégué d’Eiffage Development ” A Charleroi, les loyers sont moins élevés mais le rendement est plus important puisque le risque est également plus important. “© PG

Ce projet de quartier d’affaires n’est pas nouveau. Un plan d’ensemble, relativement sommaire, a été dessiné par un bureau d’études il y a deux ans. Igretec, la puissante intercommunale locale, a ensuite sollicité Eiffage en mars 2017 pour investir dans ce dossier. La filiale Benelux du groupe français de construction a alors précisé les options par le biais d’une mission commandée à l’association d’architectes RGPA. Un bureau qui a livré le fruit de son travail il y a quelques jours. ” Nous n’investissons pas à Charleroi par hasard, explique Thierry Collard, administrateur délégué d’Eiffage Development. Nous croyons dans le redressement de la ville. Et il est plus intéressant d’être précurseur que suiveur. La dynamique carolo est intéressante. Et puis ce choix est tout à fait dans la lignée de notre volonté de faire travailler nos filiales locales. ” Sans parler du fait qu’en étant pionnier, Eiffage se dote d’une des meilleures parcelles du centre-ville. Ce qui explique notamment le fait qu’Igretec, qui fait dans ce cas-ci office d’aménageur public et pèse donc de tout son poids dans le choix des acteurs privés et des terrains à urbaniser, pourrait garder la mainmise sur le terrain, même si les conditions précises doivent encore être déterminées.

Tenter d’augmenter la valeur locative

Après le groupe Saint-Lambert Promotion, qui avait investi 200 millions d’euros pour Rive Gauche, Eiffage est en tout cas le second acteur d’envergure à croire dans le renouveau du centre-ville local. D’autres seraient prêts à embrayer. ” Il est évident que nous espérons que l’arrivée d’Eiffage fera office d’appel d’air pour d’autres investisseurs, lance le bourgmestre local Paul Magnette (PS). Nous avons besoin du privé pour concrétiser notre projet de ville. Nous effectuons notre part du travail en investissant massivement dans les espaces publics pour améliorer le cadre de vie. Mais il faut que nos plans soient suivis d’actes. Et cela commence à être le cas. “

Left Side Business Park. Quatre des huit tours donnant directement sur la marina intégrée au coeur du projet urbanistique de la Ville-Basse.
Left Side Business Park. Quatre des huit tours donnant directement sur la marina intégrée au coeur du projet urbanistique de la Ville-Basse.© EIFFAGE DEVELOPMENT

Une marina qui percera la rive gauche

Outre le déficit d’image, le principal écueil actuel pour un investisseur immobilier est le pouvoir d’achat des candidats-acquéreurs et la relative faiblesse de la valeur locative. Des éléments qui plombent tous les calculs de rendement. ” A Charleroi, les loyers sont moins élevés mais le rendement est plus important puisque le risque est également plus important, note Thierry Collard. Nous parions sur le fait que les loyers vont partir à la hausse dans les prochains mois. La rentabilité est liée à un risque et ce risque va diminuer à l’avenir. Il y a un net déficit d’appartements neufs de qualité sur le marché. Or, d’après les études que nous avons effectuées, la demande est bien présente. Ces éléments ne nous inquiètent pas et sont même de nature à nous rassurer. ”

Eiffage souhaite aménager un “quartier du futur” en bord de Sambre, inspiré par son expérience à Marseille où le groupe a construit un quartier ultra-connecté qui fait office d’exemple

Eiffage souhaite aménager un ” quartier du futur ” en bord de Sambre, inspiré par son expérience à Marseille où le groupe a construit un quartier ultra-connecté qui fait office d’exemple. Le Left Side Business Park comptera, à terme, huit tours (101.310 m2 au total) sur un terrain de six hectares. Eiffage en construira cinq. Le solde ne fait pas partie de son projet. Il se compose d’une tour qui sera occupée par la FGTB, d’une seconde tour destinée à un hôtel de 130 chambres (Van der Valk) et, d’une troisième, où des pourparlers sont bien avancés pour y installer des bureaux. ” L’idée générale de notre projet est de créer un ensemble de logements, bureaux et commerces s’articulant autour d’une esplanade vivante et bordée de commerces, restaurants, de la capitainerie, d’équipements et qui intégrera également un relais nautique, explique l’architecte Julien Dailly, du bureau Réservoir A. Le projet se concentre en priorité sur la mixité des usages et une offre de logements diversifiée. Ce qui est particulier, ce sont également les équipements intérieurs et extérieurs qui doivent favoriser les échanges sociaux, et l’optimisation des espaces verts dans une zone d’occupation dense. Ces éléments permettront de requalifier la Sambre au coeur du quartier. ” On y retrouvera des tours en forme de triangle, de manière à favoriser les vues traversantes. Une maison de repos, des espaces de coworking, une ferme urbaine, une crèche, des potagers partagés et des terrasses communes sont également prévus. Alors qu’un volet particulier concernera les espaces partagés (chambres d’ami, sauna, salle polyvalente, bibliothèque, etc.) et la mobilité. ” Il n’y aura par exemple plus de places de parking dédiées spécifiquement aux bureaux, explique Thierry Collart. Mais bien un parking qui sera communautarisé avec les places dédiées au volet résidentiel. On y retrouvera également des vélos et voitures électriques partagés. ”

Quant à la halte nautique (marina) d’une capacité de 22 bateaux, elle est désormais intégrée au projet alors qu’elle était initialement prévue sur la rive droite de la Sambre. ” Ni Liège, ni Namur ne proposeront une telle percée dans la rive, explique le bouwmeester carolo Georgios Maillis. Nous allons nous réapproprier les abords de la Sambre. La qualité de vie devrait y être vraiment attractive, avec des commerces et des cafés au bord de l’eau. Pour le reste, cette halte nautique a tout son sens. Il y a une réelle demande en la matière et puis l’eau est un formidable atout pour un projet urbain de qualité. ”

Par Xavier Attout..

Paul Magnette: “Un signal important pour Charleroi”

TRENDS-TENDANCES. Quelle est l’importance de cette arrivée d’Eiffage pour Charleroi ?

PAUL MAGNETTE. C’est un signal majeur pour le renouveau de la Ville, qui doit également faire écho pour d’autres promoteurs. De plus en plus d’investisseurs sont prêts à participer à notre nouvelle dynamique de ville. Cette arrivée crédibilise et renforce notre projet.

Les promoteurs immobiliers sont-ils maintenant vraiment prêts à investir à Charleroi ?

Ils sont de plus en plus nombreux à venir frapper à notre porte. Une demi-douzaine de projets de taille moyenne sont en discussion pour le centre-ville (des acteurs comme Eric De Vocht, de Rive Gauche, sont particulièrement actifs, Ndlr). On sent un nouvel élan. Les investisseurs sentent qu’il se passe quelque chose à Charleroi, que tout est mis en place pour faciliter les développements. Ils doivent toutefois s’insérer dans notre vision de la ville. Car attention, il y a une volonté de qualité architecturale et de ne pas faire appel à de purs spéculateurs. Nous travaillons sur le long terme.

On évoque près de 30.000 m2 de bureaux dans le pipeline, si on englobe plusieurs projets. La demande en la matière est-elle aussi

J’ai également été étonné par la concentration de projets de bureaux. Mais la demande est bien présente, que ce soit pour des administrations régionales ou des privés. C’est en tout cas un élément intéressant en termes de mixité.

Eiffage veut doubler ses activités d’ici 2020

Le groupe Eiffage Development est principalement connu pour ses activités dans la construction en France. Sa filiale du Benelux est particulièrement active. Elle compte 3.500 collaborateurs disséminés dans une vingtaine d’entreprises actives dans la construction, la rénovation, le génie civil ou encore la promotion. Son chiffre d’affaires flirte avec le milliard d’euros. Le groupe travaille actuellement sur une demi-douzaine de projets résidentiels, essentiellement situés à Bruxelles. “Notre ambition est de doubler notre rythme d’activités d’ici 2020, explique Thierry Collard, administrateur délégué d’Eiffage Development. Nous souhaitons développer des projets qui amènent une valeur ajoutée aux groupes. C’est-à-dire en faisant appel à leurs services dans leur région d’action. Les synergies sont très présentes. Notre but est en quelque sorte de faciliter la prise de commande… Notre engagement à Charleroi est la preuve que nous souhaitons passer à la vitesse supérieure. Travailler sur des projets de 20 unités ou de 300 unités est sensiblement la même chose en termes de logistique. Nous visons donc dorénavant des projets de taille plus grande.”

Eiffage développe actuellement des projets résidentiels à Uccle, Laeken, Hoboken, Woluwe-Saint-Lambert ou Bruges. Eiffage Development dispose de fonds propres à hauteur de 20 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros.

Quinze employés travaillent dans leurs bureaux de Saint-Gilles.

Un master plan pour redresser la Ville-Basse

Le développement de la Ville-Basse est désormais balisé pour les 15 prochaines années. Le bureau d’études MS-A vient de présenter un schéma d’orientation pour trois sites : le Left Side Business Park, le quartier de la Villette et les abords de la gare du Sud. Le premier volet est présenté en long et en large par ailleurs, les deux autres sont des piliers du nouvel élan que connaîtra ce quartier. “Les flux piétons circulent du nord au sud et rarement d’est en ouest, explique le bourgmestre de Charleroi Paul Magnette (PS). Nous voulons faire évoluer cette dynamique.”

Les abords de la gare du Sud seront considérablement revus. On y retrouvera principalement des activités de bureaux sur 50.000 m2. “J’ai moi-même été étonné, mais il y a une vraie demande en matière de bureaux, poursuit Paul Magnette. De plus en plus de sociétés ou d’administrations veulent venir chez nous.” Les abords de la gare seront réaménagés en espaces verts. Le passage sous voie sera agrandi pour devenir une véritable galerie accueillante. Le parking sera redessiné. Enfin, pour le quartier de la Villette, à l’arrière de la gare, ce sont près de 400 logements qui sont prévus sur 42.000 m2. Un parking de 790 places verra également le jour, complètement arboré.

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