La proportion de propriétaires va chuter en Belgique: logique, étrange, inquiétant ?

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La proportion de personnes propriétaires de leur logement est en chute à Bruxelles. Le reste du pays pourrait suivre la tendance. Logique, étrange, inquiétant ? Les réponses de quelques spécialistes.

C’est le courtier immobilier Trevi qui l’observait en automne dernier : le pourcentage de propriétaires-occupants est revenu à 42 % environ à Bruxelles, contre 60 % il y a 15 ans. ” Cette baisse préfigure selon nous une tendance de fond plus marquée sur l’ensemble de la Belgique, écrit Eric Verlinden, administrateur délégué de l’entreprise. Nous pensons que le taux moyen de propriétaires belges passera de 72 à 65 % d’ici 2020. ” Rien de plus logique : depuis une bonne dizaine d’années, les prix de vente grimpent beaucoup plus que les revenus. S’y ajoutent les conditions financières plus restrictives imposées par les banques. Ce n’est pas tout : ” L’achat immobilier reste le dessein numéro un de la plupart des ménages, mais il n’est plus mis sur un piédestal comme naguère, observe Eric Verlinden. La jeune génération est moins attachée à l’achat de ses briques “.

Locataires plus fidèles

Nous pensons que le taux moyen de propriétaires belges passera de 72 à 65 % d’ici 2020.” – Eric Verlinden, CEO de Trevi

Président honoraire de la SIR résidentielle Home Invest, Guillaume Botermans observe cette évolution sur le terrain : ” Le taux de rotation de nos locataires a beaucoup baissé. Ils restaient naguère de trois à cinq ans, mais c’est aujourd’hui plutôt cinq à 10 ans. Quitte à nous demander, et c’est là une démarche vraiment nouvelle, de passer de une à deux chambres, dans le même immeuble ou à proximité “. Deux raisons à cette évolution, estime l’expert immobilier, devenu l’an dernier président de l’antenne belge de Sotheby’s International Realty. D’une part, les jeunes ménages sont plus nomades et dès lors moins acquisitifs que leurs parents. De la même manière d’ailleurs, de nombreux expatriés vivant à Bruxelles, même pour une longue période, restent locataires parce que c’est dans leur culture. On ne peut toutefois occulter le fait que beaucoup de locataires n’ont pas le choix, aussi vrai qu’on observe une certaine paupérisation de la population face à la hausse des prix de vente. C’est pourquoi on construit moins grand. ” Au lieu des 50 m2 de naguère, un studio offre aujourd’hui de 28 à 40 m2, 28 m2 étant le minimum légal en Belgique, explique Guillaume Botermans. On ne saurait cependant trop se plaindre : le minimum est de 9 m2 seulement à Paris, et pour le même prix… ”

Pas synonyme de bonheur !

Baisse du taux de rotation.
Baisse du taux de rotation. ” Nos locataires restaient naguère de trois à cinq ans, mais c’est aujourd’hui plutôt cinq à 10 ans “, explique Guillaume Botermans (Home Invest).© BELGAIMAGE

L’évolution n’étonne guère l’économiste Roland Gillet. ” Les loyers sont relativement bas en Belgique, du fait d’une offre de logements abondante, explique-t-il. Ils n’ont en tout cas pas suivi la hausse des prix du logement au cours de la décennie écoulée. ” Le statut de locataire est dès lors plus enviable que naguère sur le plan financier, mais pas seulement : il est aussi bien protégé par la loi. En conséquence de quoi les jeunes ménages, en particulier, s’en accommodent d’autant plus facilement s’ils jugent leur situation professionnelle ou privée pas encore stabilisée. Le professeur d’économie à la Sorbonne et à l’ULB (Solvay) souligne un autre aspect des choses : ” Pourquoi inciter les jeunes à acheter sans tarder, ce qui signifie généralement s’engager pour 20 ans, quand on sait qu’un ménage sur deux divorce, et après sept ans seulement en moyenne ” ?

Aujourd’hui, les jeunes ménages sont plus nomades et dès lors moins acquisitifs que leurs parents.

Roland Gillet n’est pas opposé à la propriété par principe, loin de là. A preuve : il est propriétaire de son domicile, dans les Ardennes. Par contre, il ne rate pas une occasion de fustiger la volonté politique (et fiscale) de la favoriser, en Belgique comme dans d’autres pays. Avec les conséquences que l’on sait : la crise des subprimes aux Etats-Unis, mais de graves crises aussi en Espagne et, on le sait moins, aux Pays-Bas. La possession de son logement est-il du reste un facteur de bonheur ? Ou, pour aborder la question à l’envers, ” les Allemands sont-ils réputés malheureux, eux qui sont majoritairement locataires ? “, interroge l’économiste. Il faut savoir qu’une proportion élevée de propriétaires n’est en rien un indicateur de richesse au niveau d’un pays. A priori, c’est même l’inverse.

Retour en arrière

Autre opinion, en partie semblable et en partie divergente : celle de Philippe Janssens, fondateur du bureau d’experts immobiliers Stadim et principal analyste du marché belge pendant plusieurs décennies au travers de l’étude Valeur immobilière. Il rappelle l’important virage que le marché belge a connu à partir de l’automne 1996, quand les taux hypothécaires ont commencé à chuter, tandis que les banques prêtaient assez aisément 110 % de la valeur du bien et proposaient des prêts sur 30 ans. ” La charge hypothécaire fut dès lors abaissée au niveau du loyer, de sorte que de nombreux locataires ont franchi le pas, souligne-t-il. En une dizaine d’années, la proportion de propriétaires-occupants est passée, en chiffres ronds, de 65 à 75 % en Flandre et de 35 à 45 % à Bruxelles. ” Même si cette réaction intuitive ne tient pas totalement la route sur le plan financier !

La proportion de propriétaires va chuter en Belgique: logique, étrange, inquiétant ?
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Le reflux aujourd’hui observé à Bruxelles – mais pas encore vraiment dans les autres Régions – constituerait dès lors un simple retour en arrière plutôt qu’une cassure fondamentale dans une tendance de long terme. A ce stade-ci en tout cas. Et il s’explique assez aisément par le net resserrement des conditions imposées par les banques depuis la crise financière : ” Alors qu’il pouvait acheter un logement presque sans mise de départ voilà moins de 20 ans, un jeune ménage doit aujourd’hui déposer sur la table un tiers environ du prix total, observe Philippe Janssens. Pour ceux qui ne bénéficient pas d’un gros coup de pouce de la famille, cela devient difficile “.

Qualité et obsolescence

L’expert anversois voit par contre plusieurs raisons de favoriser l’accès à la propriété. D’abord, le fait de ne pas devoir payer de loyer constitue un grand confort quand on arrive à l’âge de la retraite et que le revenu diminue. Pas d’accord, rétorque Roland Gillet : ” En épargnant la différence entre le loyer et la mensualité hypothécaire, on se constituera un capital dont le revenu devrait couvrir le loyer “. Philippe Janssens ne méconnaît pas cette alternative : quand les sicafis (aujourd’hui SIR) sont apparues en Belgique, il a souligné leur intérêt par référence avec la Suisse. Là-bas, l’immobilier est tellement cher qu’en dépit de revenus que l’on sait confortables, une majorité d’Helvètes ne peuvent qu’être locataires. Ils placent une partie de leur épargne en valeurs immobilières, de manière à toucher des revenus qui progressent parallèlement à leur loyer. Il reste qu’en incitant fiscalement les citoyens à acheter leur logement, on protège les distraits et autres cigales…

Autre argument : ” La qualité n’est rentable qu’à très long terme, souligne Philippe Janssens. Or, en Belgique, une maison unifamiliale ne change de mains que tous les 41 ans en moyenne “. Ce n’est sans doute pas pour rien que le logement est réputé très qualitatif en Belgique. Roland Gillet ne partage pas cet avis. Pour lui, la possession de son logement présente des inconvénients : outre le handicap qu’elle constitue en matière de mobilité professionnelle, il relève les moins-values probablement sérieuses qui se profilent, pour le logement plus ancien, avec l’avènement progressif des constructions passives ou, en tout cas, thermo-efficaces. D’accord, pas d’accord… Moins de brique dans le ventre, mais plus de polémique !

La Roumanie en tête

Dans l’Union européenne, ce sont les pays du Sud et plus encore les Balkans qui affichent les proportions les plus élevées de propriétaires-occupants. En France et aux Pays-Bas, moins de 60 % des logements sont occupés par leur propriétaire, un taux qui tombe même à moins de 50 % en Allemagne. Par contre, la Grèce, l’Italie et le Portugal dépassent la barre des 70 % et l’Espagne frise les 80 %, un cap dépassé par la Pologne. La Hongrie se situe à 92 %, tandis que sur la marche supérieure du podium trône la Roumanie, avec 95 % de propriétaires ! La Belgique affiche 66 %, la Grande-Bretagne 65 %.

Les statistiques relatives au marché belge sont présentées sous un jour différent : elles ne retiennent pas la proportion de logements occupés par leur propriétaire, mais celle des personnes vivant dans le logement dont elles sont propriétaires. On passe alors de 66,2 à 70,6 %. Pourquoi cet écart ? Parce que les ménages propriétaires comptent en moyenne un peu plus de personnes que les ménages locataires. Publiés en 2015, les dernières données officielles reposent sur le recensement de 2011. La proportion de propriétaires occupants va de 76 % (Limbourg) à 68 % (Anvers) en Flandre et de 71 % (Luxembourg) à 64 % (Liège) en Wallonie. Ce recensement donne 39 % à peine pour Bruxelles. Les chiffres sont, sans surprise, plus faibles en ville, mais c’est moins vrai en Wallonie qu’en Flandre, surtout dans le Hainaut.

Allemagne: des fonds géants!

Début novembre 2016, le fonds souverain China Investment Corporation (CIC) a acquis les 16.000 appartements composant le portefeuille de BGP Holding, pour 1,2 milliard d’euros. Une première que cette acquisition chinoise, mais une transaction très moyenne sur un marché allemand où c’est chaque année par dizaines de milliers que des investisseurs institutionnels, allemands comme étrangers, s’échangent des logements. Après son sauvetage par l’Etat, Landesbanken BayernLB a ainsi vendu un bloc de 25.100 appartements en 2012 et un autre de 29.400 en 2013. La plus grosse transaction du genre remonte à 2008, quand le fonds Whitehall de Goldman Sachs acquit les 93.000 appartements mis en vente par le Land de Rhénanie du Nord-Wesphalie. Outre-Rhin, le logement constitue une part très importante du patrimoine global des fonds immobiliers. Vonovia, l’enfant terrible du secteur, se targue ainsi de loger un million de personnes dans ses 400.000 unités.

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