La gestion immobilière dopée par la crise

© G. De Kinder

Un bon gestionnaire immobilier est un homme à tout faire qui soigne les locataires et assiste les propriétaires. La crise aidant, il a gagné du galon dans le secteur immobilier.

Un cocktail par-ci, une réception par-là, un petit restaurant de temps à autre. Ce ne sont pas les occasions de festoyer qui manquent dans le secteur immobilier même en temps de crise. Mais vous y verrez rarement, voire pour ainsi dire jamais, les collaborateurs du département gestion immobilière.

Le gestionnaire fait en sorte qu’un bâtiment “fonctionne” bien et soit correctement entretenu. Il oeuvre sur le terrain, dans les coulisses, pas au devant de la scène. La gestion est la branche d’activité la moins glorieuse de l’immobilier. “Peut-être pas la plus affriolante mais sans aucun doute la plus complexe”, estime Koen Nevens, managing partner du consultant en immobilier Cushman & Wakefield (C&W).

Micheline De Munck, CEO de la société de gestion immobilière Sogesmaint-CBRE, acquiesce. “Nos collaborateurs doivent avoir plus d’une corde à leur arc car la gestion immobilière requiert de multiples compétences, déclare-t-il. Ils doivent être de bons techniciens, avoir des connaissances financières et un bon background commercial. Et trilingues par-dessus le marché. De véritables oiseaux rares.”

Comme un syndic d’immeuble résidentiel

Le rôle et les tâches du gestionnaire dans l’immobilier commercial (professionnel) ressemble à s’y méprendre à ceux du syndic de l’immeuble résidentiel. Il assume notamment la gestion administrative (suivi des contrats, gestion des polices d’assurance, etc.), financière (suivi de tout ce qui touche de près ou de loin à la location, vérification et paiement des factures, comptes rendus, etc.) et technique (contrôle et entretien des installations, réparations et améliorations dans le bâtiment, etc.).

Personne dans le secteur immobilier ne minimise l’importance du gestionnaire immobilier, véritable travailleur de l’ombre jusqu’à il y a peu. “La crise a changé la donne, constate Micheline De Munck. La transparence est désormais le principal mot d’ordre, y compris dans le secteur immobilier. Les propriétaires veulent savoir comment évolue le cash-flow, avoir un droit de regard sur les coûts et veiller à ce que les budgets ne soient pas dépassés. Ils ont redécouvert l’importance de la gestion immobilière.”

La gestion n’était pas une activité clé de C&W, reconnaît Koen Nevens. “Nous la considérions plutôt comme un service supplémentaire offert à nos bons clients. Le département ne devait pas nécessairement être bénéficiaire. Mais depuis quelques années, nous y attachons plus d’importance, dans toute l’Europe. Le chiffre d’affaires du département a doublé en quelques années. Et pour ce qui est du volume, il est aujourd’hui aussi important que notre département courtage.” Après plusieurs années d’euphorie, les grands consultants immobiliers ont vu chuter le nombre de transactions. D’où l’impérieuse nécessité de développer une activité génératrice de revenus récurrents, comme la gestion immobilière.

La faiblesse du marché locatif, surtout sur le marché bruxellois des bureaux confronté à une offre abondante de bâtiments neufs, a propulsé le gestionnaire en haut de la hiérarchie immobilière. Car le gestionnaire immobilier a pour mission principale de satisfaire les locataires de l’immeuble pour qu’ils restent. “Vu la morosité ambiante sur le marché locatif, les agents ont dû adopter une approche très proactive vis-à-vis des locataires, souligne Charles Naeyaert, directeur de l’agence de gestion immobilière anversoise Cobelpro. Un locataire dans un immeuble bien géré n’a aucune raison d’aller voir ailleurs.”

Les propriétaires cherchent à fidéliser les locataires satisfaits et à générer des revenus locatifs réguliers mais aussi à accroître la valeur de leurs biens (en vue d’une éventuelle revente). “Dans ce domaine également, les gestionnaires immobiliers ont redoré leur blason, ajoute Koen Nevens. Il fut un temps où les biens immobiliers se valorisaient naturellement. Ce n’est plus le cas depuis quelques années. Idem pour les loyers qui ont également tendance à stagner depuis un certain temps. Une bonne gestion constitue désormais la seule possibilité de valoriser un bien.”

La vente d’un bien est un test infaillible en matière de gestion immobilière. “Si la gestion laisse à désirer, le propriétaire le payera cash. Un audit fait immanquablement ressortir tout manquement en termes de management. Le propriétaire peut éventuellement y aller de sa poche pour limiter les dégâts mais il y a fort à parier que le candidat-acheteur déclare forfait.”

Gros rendements, maigres rémunérations

Le gestionnaire peut devancer la banque mais en contrepartie, il sera surveillé de très près. D’après Micheline De Munck, la demande légitime de plus de transparence de la part des propriétaires se traduit parfois par des exigences démesurées en termes de comptes rendus. “Il ne sert à rien de jouer à cache-cache, la crise financière l’a prouvé par A plus B. Mais j’ai l’impression que la balance penche trop de l’autre côté maintenant. Les investisseurs internationaux imposent des exigences de rapports disproportionnées. Le problème, c’est que cela ne rapporte rien au locataire.” Une procédure de rapport détaillé prend non seulement énormément de temps mais nécessite aussi de gros investissements informatiques car les grands acteurs ne se contentent pas d’un document Excel. Certains investisseurs exigent que les comptes rendus soient rédigés directement dans leur système.

Depuis qu’il collabore avec Tribeca Capital Partners à Bruxelles, Cobelpro n’a plus ce genre de problème. “Nous travaillons essentiellement pour des investisseurs privés qui n’ont pas besoin de rapports détaillés. Ils nous demandent d’être très présents dans le bâtiment, au service du locataire. Mais je comprends la frustration des gestionnaires qui £uvrent pour des investisseurs institutionnels. Nous comptons aussi un fonds allemand parmi nos clients ; c’est une tout autre paire de manches.”

Qui plus est, la complexification de la mission intervient à un moment où les tarifs sont de plus en plus sous pression. Les fees sont généralement calculés au prorata d’un certain pourcentage du loyer. Un réel problème quand on sait que les loyers, sur le marché bruxellois des bureaux par exemple, ne progressent quasi plus depuis quelques années. Le système de tarification sur base du loyer devient peu à peu intenable, à en croire Micheline De Munck. “Nous travaillons de plus en plus sur base de tarifs fixes, affirme-t-elle. Lier les fees au loyer n’est pas vraiment logique. Prenez l’exemple de deux immeubles de bureaux similaires, l’un dans le quartier Léopold, l’autre à Zaventem. Dans le quartier Léopold, le loyer varie entre 200 et 300 euros le mètre carré, à Zaventem entre 100 et 150 euros. Cela fait une sacrée différence alors que le travail est le même. Dans le contexte international, les différences sont encore plus marquées. A Londres, les loyers sont quatre fois plus élevés qu’à Bruxelles.”

Laurenz Verledens

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