Immobilier : Bruxelles, une capitale exsangue de terrains

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On connaît peu la Régie foncière, bras armé immobilier de la Ville de Bruxelles. A elle seule, elle constitue un véritable observatoire du “stress résidentiel” que vit la capitale. Et elle devient aussi un acteur capital, à mi-chemin entre enjeux publics et bonnes pratiques venues du privé.

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Avenue Bolivar, à l’extrémité ouest du quartier des bureaux de l’espace Nord. Nous sommes à la limite communale entre Bruxelles-Ville et Molenbeek. Thomas & Piron est venu, loin de ses bases, lancer la promotion et la commercialisation du projet résidentiel Insula : 110 appartements et des commerces au rez, vendus sur plan.

“Ils se sont retrouvés dans une situation où, au terme de six mois de commercialisation, ils n’avaient encore vendu aucun appartement, déclare Mohamed Ouriaghli, l’échevin de tutelle. Ils devaient impérativement valoriser le bien, pour des raisons de trésorerie. La Régie foncière de la Ville a alors racheté le tout, d’un seul tenant, commerces compris, comme nous faisons d’habitude, pour gérer l’ensemble du bien. Le prix, très intéressant : 1.200 euros le m² pour la partie résidentielle, hors imputation du terrain (environ 4 millions d’euros pour l’ensemble du lot).”

La destination de cet achat groupé ? Louer l’ensemble et assurer 4 % à 5 % de l’investissement de départ en return locatif, totalement réinvesti dans l’amélioration du parc immobilier existant et le développement de nouveaux logements.

On le sait peu mais la Régie foncière de la Ville de Bruxelles, c’est aujourd’hui un parc immobilier de quelque 2.800 logements, 500 commerces et 1.100 places de parking. La petite entreprise publique gérée comme une société privée dégage, après frais (amortissements divers et paiement du personnel), près de 4 millions de cash flow net par an. “Via le compte patrimonial, nous réinvestissons comme il se doit l’ensemble de nos rentrées dans la gestion du parc immobilier, insiste Mohamed Ouriaghli. C’est le souhait clair de la majorité communale actuelle.”

Une course contre la montre

Le timing que s’est fixé la Ville est ambitieux mais tenu, contrairement à celui affiché par la Région et maintes fois différé : produire 1.000 logements en lien avec le CPAS, dont 650 rien que pour la Régie foncière, avant fin 2012.

Et après ? “Cela dépendra de la majorité politique en place après les élections, répond l’échevin. Mais nous, nous nous préparons à poursuivre le mouvement entamé : nous rachetons déjà les terrains à bâtir mis sur le marché à prix abordable, car nous avons épuisé les réserves. Notamment à Haren (fabrique d’église), à la rue Haute (faillite de la maison Michiels) ; on a pris un bail emphytéotique sur le bâtiment des Riches Claires (incendie). On se doit de sauter sur toutes les opportunités, vu le manque de foncier disponible. Mais attention, nous sommes dans la même logique qu’un investisseur privé : on n’est pas là pour reprendre les crasses des promoteurs.” Voilà qui est clair.

Interrogé sur la pénurie de logements dans sa commune, Mohamed Ouriaghli répète qu’elle est omniprésente et ne fait que croître. Le problème n° 1 rencontré par ses services reste le maillage annexe : écoles et infrastructures de mobilité font souvent défaut. Résultat : “Aujourd’hui, lorsqu’on construit un ensemble de logements à Neder-over-Heembeek, on sait pertinemment bien que les locataires devront posséder deux voitures, assène l’échevin, qui tance notamment la stratégie de développement de la STIB dans ces quartiers de ville périphériques. Et même si les transports en commun et autres services arrivent ensuite, le mauvais pli est pris. C’est politiquement incorrect.”

Déni de spéculation et de “gentrification”

Qu’on ne s’y trompe pas : si le bras foncier de la Ville de Bruxelles étend là-bas son parc de logements publics, c’est parce que ce sont les seuls terrains de taille encore disponibles. D’ailleurs, la Ville a dû se résoudre à y mettre en vente des petites parcelles démembrées, non exploitables (3 à 4 ares) à… 800 euros le m² de terrain, prix du marché.

Vu cette pénurie foncière dans la capitale, une réflexion urgente sur la densité du parc doit être menée, car, sans densité accrue du bâti, il devient impossible, même avec des subsides publics, de rentabiliser ses investissements fonciers. Et l’échevin de rappeler la vente d’un terrain de 96 ares, propriété de la Ville située non loin de l’avenue Franklin Roosevelt (avenues de l’Uruguay et de la Forêt), pour la modique somme de 7 millions d’euros à la famille Vastapane. “Vu les contraintes urbanistiques résultant de la convention de cession du terrain, on ne pouvait y construire que 41 logements. Autrement dit, nous étions obligés d’y faire de l’hyper-luxe pour rentabiliser le foncier. C’est l’exemple ponctuel du truc qu’on ne fera jamais.”

Le public cible de la Régie, côté locataires ? Ni les bobos ni le public type du logement social. Plutôt les ménages à revenu moyen, qui quittent pour l’instant Bruxelles vu la pénurie d’offre adaptée. Contrairement à la SDRB, qui ne peut construire du logement que dans une zone régionale géographique délimitée (“banane”), la Régie est dans tous les quartiers urbains. Soupçonnée de “gentrifier” son public, elle se défend : elle est également acteur d’intégration via les sociétés de logements sociaux (8.000 sur le territoire communal) et a cédé quatre terrains (Neder, Haren, Bolivar, rue de la Roue) dans le cadre du plan régional “logement”, des fonciers visant à construire 600 logements sociaux dans les cinq ans. Selon la convention passée… et non tenue.

Les clients, eux, sont pourtant bien là. La preuve par l’exemple vécu : cet appartement de 60 m², situé dans le quartier du Parlement flamand (rue de Louvain) et vendu en moins de trois jours à 4.400 euros le m² (soit 240.000 euros). “Le logement en soi n’avait rien d’extraordinaire : sombre, une seule grande fenêtre ouverte sur un mur, détaille David Chicard (Property Hunter). Mais les finitions (menuiserie, dressing, aménagement des pièces) lui donnaient un certain cachet.” A pareil prix, on ose l’espérer.

Philippe Coulée

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