“Il faut sortir les architectes de leur zone de confort”

Georgios Maillis, bouwmeester depuis fin 2013, a marqué la ville de son empreinte. © DENIS VASILOV/BELGAIMAGE

Georgios Maillis planche sur le développement urbanistique de Charleroi depuis cinq ans. Son mandat arrive à échéance en juillet. Il doit déposer sa candidature d’ici le 14 mai pour rempiler.

Georgios Maillis, maître-architecte de Charleroi: “Il faut sortir les architectes de leur zone de confort”

© Debby Termonia

Georgios Maillis planche sur le développement urbanistique de Charleroi depuis cinq ans. Son mandat arrive à échéance en juillet. Il doit déposer sa candidature d’ici le 14 mai pour rempiler.

TRENDS-TENDANCES. Encouragez-vous les promoteurs privés à se lancer dans des concours entre architectes ?

GEORGIOS MAILLIS. Tout à fait. La finalité d’un dossier, c’est d’avoir un bon projet. Et un des outils pour y parvenir, c’est de mettre en concurrence plusieurs bureaux. De plus, si un promoteur effectue son choix en concertation avec l’autorité publique, et donc dans la lignée du projet de ville, ses chances d’obtenir son permis augmente encore de quelques crans.

Quelles sont les limites de cet exercice ?

Celles que l’on nous donne. On ne choisit pas des architectes mais bien des projets. Il est évident que mettre plusieurs architectes en concurrence fait, au final, des déçus. Cela peut aussi entraîner des critiques. Mais si le jury est objectif dans son choix, il ne peut y avoir de problème.

Comment élargir le champ de vision d’un promoteur qui ne veut travailler qu’avec son architecte fétiche ?

C’est une question de dialogue. Un promoteur et son architecte doivent avant tout s’insérer dans notre projet de ville. Quand tout le monde travaille main dans la main, il est difficile de refuser un permis. Sinon, je ne vois pas très bien l’essence de cette concertation.

Les architectes estiment qu’ils perdent trop de temps et d’argent dans les concours…

Tout le monde s’y retrouve. Les concours concernent surtout les grands projets. Et puis, les architectes sont mis en concurrence depuis l’Antiquité. Il n’y a donc rien de neuf. D’ailleurs, je pense qu’il n’y en a peut-être pas eu suffisamment en Belgique. Il faut sortir les architectes de leur zone de confort.

On parle souvent d’un manque d’objectivité du jury…

Si le concours est réalisé en respectant les principes éthiques, il n’y a pas de souci. Des bureaux de toute la Belgique travaillent aujourd’hui à Charleroi. Cette diversité démontre notre attractivité et nos compétences. La mission d’un bouwmeester n’est pas de faire plaisir. Le but est de contribuer à développer une vision territoriale.

Christian Rapp, maître-architecte d’Anvers: “Trouver le bon architecte pour le bon projet”

© Debby Termonia

Après René Daniëls et Kristiaan Borret, l’architecte allemand Christian Rapp est le troisième maître-architecte d’Anvers. Ou plus précisément le maître d’oeuvre ” moderne ” car comme le rappelle Christian Rapp, Anvers a une longue tradition de maîtres d’oeuvre. ” Les maîtres d’oeuvre d’autrefois avaient un autre rôle, précise-t-il. Ils construisaient eux-mêmes. Ainsi, Emiel Van Averbeke, maître d’oeuvre jusqu’en 1946, a participé à l’édification de la célèbre Boerentoren et de nombreux bâtiments publics. “

TRENDS-TENDANCES. En quoi consiste essentiellement votre travail de maître-architecte ?

CHRISTIAN RAPP. Trouver le bon architecte pour le bon projet au bon endroit. Mon prédécesseur Kristiaan Borret a lancé le concept d'” équipe de concepteurs “, variante du fameux Open Oproep du premier maître d’oeuvre flamand Bob Van Reeth. Nous invitons les architectes à poser leur candidature, nous l’étudions attentivement et si nous décidons de les intégrer à notre équipe, ils sont conviés à participer aux concours d’appels d’offres au cours des quatre années qui suivent.

Il revient aussi au maître d’oeuvre de conseiller le commanditaire dans une discipline qu’il ne maîtrise pas, à savoir l’architecture et l’urbanisme. Certains commanditaires éprouvent quelques réticences vis-à-vis des architectes, de leur attitude et de leur langage prétendument artistique. J’essaie, dans la mesure du possible, de traduire le caractère artistique de leur projet en paramètres objectivables pour pouvoir convaincre le jury sur base d’arguments rationnels.

Que pensez-vous des critiques selon lesquelles les promoteurs immobiliers ont trop d’influence sur la politique urbanistique d’Anvers ?

Bon nombre des outils utilisés aujourd’hui ont été mis au point sous le précédent bourgmestre Patrick Janssens. Les plans du site de Slachthuis, pour lesquels il y a tant à faire, résultent par exemple d’un concours. Depuis que le discrédit a été jeté sur le promoteur immobilier du site, certains affirment qu’on brade Anvers. Pour moi, c’est avant tout une question d’image écornée par de fausses informations dans les médias, des caméras cachées, etc.

Le bourgmestre Bart De Wever a clairement annoncé, lors de son entrée en fonction, sa volonté de s’ouvrir aux acteurs du marché. Parce que la ville n’a pas les moyens de tout construire toute seule. Il envoie ainsi un signal politique autre que celui de Patrick Janssens. C’est indispensable, à mon humble avis. On ne construit pas seul une ville.

Votre bureau d’architectes est installé à Amsterdam. Qu’est-ce qu’Anvers a à apprendre d’Amsterdam ?

Lors du réaménagement de l’ancienne zone portuaire, Amsterdam a développé toute une série de critères de qualité. Malgré ces bonnes intentions, le système est devenu tellement complexe et confus que les architectes n’y comprenaient plus rien. Il ne faudrait pas que la même situation se reproduise à Anvers.

Je pense qu’Anvers doit se préparer à une croissance rapide. Amsterdam a énormément souffert de la crise de 2008, du fait notamment de la dépendance de nombreux promoteurs immobiliers vis-à-vis des banques. Le secteur immobilier a tourné au ralenti pendant huit ans, c’était le calme plat. Mais la ville connaît depuis quelques années un véritable regain d’activité et s’attend à un boom démographique. A Anvers, les prévisions ont été revues de 30.000 à 60.000 nouveaux habitants d’ici à 2035. Amsterdam anticipe une déferlante de 300.000 résidents supplémentaires ! Malheureusement, la ville n’a pas pris les devants. Elle ne sait pas ce qu’il faut construire, où et comment. En attendant, le prix des habitations explose. Le risque de surchauffe est réel sur un marché non réglementé. La leçon à tirer pour Anvers est celle-ci : la dynamique d’une ville peut changer très rapidement. Les villes de Munich et Amsterdam sont devenues hors de prix. Anvers pourrait bien entrer en ligne de mire des jeunes créatifs internationaux. Ce qui pourrait provoquer un afflux difficile à gérer si on continue à construire au rythme actuel.

David Roulin, CEO d’Art & Build: “Les promoteurs ne se rendent pas compte de la plus-value d’une belle architecture”

© Pg/B. Maindiaux

Art & Build est l’un des plus grands bureaux d’architectes belges. Il regrette le manque de considération des promoteurs et des politiques pour leur travail. Une belle architecture pouvant multiplier par deux ou trois la valeur d’un bâtiment. Comme on vient de le voir avec Docks.

TRENDS-TENDANCES. Quelle est votre position dans ce conflit qui semble opposer architectes et promoteurs au “bouwmeester ” ?

DAVID ROULIN. C’est un conflit stérile car nous passons à côté de l’essentiel, qui est de savoir quelle ville nous voulons. Il s’agit de gouvernance du territoire. Réduire ce conflit à une question de personnes est inutile. Les hommes ne restent pas, le bâti, oui.

Craignez-vous pour votre présence sur la place bruxelloise ?

Nous avons la chance de réaliser deux tiers de notre chiffre d’affaires hors Belgique, ce qui nous permet de regarder ce débat avec un peu de recul. La comparaison avec la France est, à ce titre, éclairante. La manière de travailler y est beaucoup plus professionnelle.

Sur quels axes par exemple ?

Il y a davantage de respect des autorités pour les acteurs de l’immobilier, pour leur savoir-faire, leur valeur ajoutée. Et un respect des professionnels entre eux. A Bruxelles, beaucoup de promoteurs s’inquiètent essentiellement de savoir comment obtenir leur permis dans le meilleur délai et au meilleur prix.

L’impact économique qui prend le dessus sur la sensibilité artistique. Vous n’êtes quand même pas surpris, j’imagine….

Non, bien évidemment. Mais il n’y a pas de raisons d’opposer ces deux notions qui sont interdépendantes. En France, les promoteurs viennent avant tout nous chercher pour notre vision.

Votre travail n’est pas suffisamment valorisé ?

Les promoteurs ne se rendent pas compte de la plus-value d’une belle architecture, réfléchie et visionnaire. Quand le Covent Garden ou le Docks Bruxsel sont revendus deux à trois fois leur prix de construction, j’ai la faiblesse de croire que l’architecture y est pour quelque chose.

Vu la tournure des événements ces derniers mois, sentez-vous que votre activité est quelque peu en danger ?

Nous ne manquons pas de travail et nous avons toujours su nous adapter. Mais bon, sur la vingtaine d’appels à candidature auxquels nous avons répondu ces derniers mois à Bruxelles, nous n’avons été retenus pour aucun ! C’est quand même surprenant.

Par la force des choses, cette situation peut-elle vous pousser à quitter Bruxelles ?

Quand bien même nous réaliserions 100 % de notre chiffre d’affaires hors Belgique, cela ne nous empêcherait pas de continuer à y apprécier la qualité de vie… On nous reproche d’être un bureau d’architecture ” installé ” et ” vieillissant “, sous prétexte que nous sommes là depuis 30 ans. Dans n’importe quel autre secteur, avoir acquis une telle expérience serait un gage de valeur ajoutée. C’est d’ailleurs assez vexant pour les dizaines de jeunes qui sont un vivier extraordinaire de créativité au sein de l’agence.

L’idée du “bouwmeester” est de renouveler le paysage architectural bruxellois qui serait trop standardisé…

Mais c’est surtout le marché de l’immobilier qui est très conservateur et frileux en matière d’innovation, pas les architectes. Amener de la diversité, de la mixité, contribuer à rendre la ville positive, généreuse, bienveillante à l’égard de chacun, j’y souscris avec plaisir bien sûr ! Ma perception est que cela n’en prend pas vraiment le chemin, mais je peux me tromper.

Quelles sont les perspectives de développement d’Art & Build ?

Accélérer notre développement international, hors Europe. Notre savoir-faire en matière de projets d’envergure à empreinte écologique positive et notre expertise en matière de bâtiments dédiés aux soins de santé y sont particulièrement appréciés. Notre enthousiasme n’est pas près de fléchir !

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