Il était une fois la maison olympique belge

Un an avant les Jeux olympiques de Londres, la Belgique a trouvé le lieu qui accueillera sa “maison” : à 10 minutes de la gare de St Pancras, l’Inner Temple comptera 182 chambres et 500 repas y seront préparés chaque jour. Sportifs, VIP et Belges “ordinaires” s’y retrouveront. Prix de la location : “Moins de 2 millions d’euros.”

Inner Temple. Un cadre exceptionnel au coeur de Londres, à deux pas de la Tamise. Un site dont les premières fondations remontent au 12e siècle. Une église, lieu de culte anglican mais aussi décor de tournages de films _ notamment celui de Da Vinci Code. Une des quatre prestigieuses inns of court, école de formation des barristers _ les avocats ayant le droit de plaider _ qui compta Gandhi parmi ses étudiants. Tel est l’emplacement choisi par le Comité olympique et interfédéral belge (COIB) pour héberger la Belgian House lors des JO de 2012. Pour la première fois, la Belgique offrira un espace de grande envergure aux VIP, aux sportifs ainsi qu’au grand public. Avec l’aide de la Chambre de commerce belgo-luxembourgeoise de Londres, le COIB a conclu le contrat en juin dernier. C’est le résultat de quelque cinq ans de recherches, démarches et négociations.

Rétroactes
Juillet 2005, Jacques Rogge, président du Comité international olympique (CIO), révèle le nom de la ville qui accueillera les JO de 2012 : Londres. La Grande-Bretagne exulte. Et la Belgique commence très vite à préparer sa présence dans la capitale britannique.

Pour l’occasion, le Comité olympique et interfédéral belge (COIB) a décidé de voir grand. Si les précédentes maisons olympiques étaient de taille modeste _ un yacht avec 90 cabines pour Barcelone en 1992, un hôtel avec une terrasse sur le toit pour Athènes en 2004 _, et principalement destinées aux sportifs et aux VIP, celle de 2012 sera digne de ce nom. A deux heures de Bruxelles en Eurostar, avec une population belge estimée à 35.000 personnes, Londres est en effet une destination clé. “Vu sa proximité, beaucoup de Belges se déplaceront pour l’événement. Nous voulions donc être à la hauteur”, explique Jean-Sébastien Gosuin, directeur de Suseia, l’agence belge officielle de vente de billets pour les Jeux.

Il y a une autre motivation : économique, évidemment. La Grande-Bretagne est le quatrième marché d’exportation et d’importation pour la Belgique. Il est également important pour les sponsors du COIB et pour la soixantaine de membres du Belgian Sport Technology Club, organisation visant à promouvoir les entreprises belges comme fournisseurs d’événements sportifs internationaux, d’avoir une vitrine à Londres lors de l’été 2012. “Tous les organisateurs des prochaines grandes manifestations sportives seront présents, résume Piet Moons, directeur marketing du COIB. La Belgium House pourra être un lieu de rendez-vous, formel et informel, pour nos sociétés.” Sans compter que les partenariats du Comité seront remis sur la table après les JO. Le COIB a donc intérêt à bien traiter ses associés actuels dans l’espoir qu’ils signent à nouveau pour 4 ans.

La quête
En 2006, deux ans avant les JO de Pékin, Piet Moons entame donc les démarches pour dénicher le lieu idoine.

Première étape : trouver un allié sur place. Quelqu’un qui connaît la culture britannique et qui peut l’aider à ouvrir des portes. Cet homme sera Michel Vanhoonacker, président de la Chambre de commerce belgo-luxembourgeoise à Londres. Deuxième étape : rencontrer les responsables du Locog, le comité qui organise les Jeux de 2012, et d’ODA, l’Olympic Delivery Authority, en charge des infrastructures. Puis, commencer les recherches. Zone cible : les alentours de St Pancras. Non seulement c’est le terminus de l’Eurostar mais il sera aussi à 10 minutes du site olympique grâce à la navette mise en service pour l’occasion. Problème : les prix. “Dans une ville olympique, chacun essaye de tirer au maximum la couverture à soi. Les hôteliers, les sociétés multiplient les prix par quatre ou cinq par rapport à ce qu’ils demandent en temps normal. Il y a toujours un travail de rééquilibrage à faire, explique Jean-Sébastien Gosuin. Il faut tout diviser par deux, voire par trois.”

Début 2010, quatre emplacements sortent du lot : Kings Place, un immeuble moderne à proximité de St Pancras, siège notamment du quotidien The Guardian ; Kings Cross, un terrain géré par Argent Group, sur lequel il faudrait encore monter des installations provisoires mais qui pourrait attirer d’autres acteurs intéressants ; le Club Quarter, siège du Royal Anglo-Belgian Club, et Central St Martin, collège d’art et de design. “St Martin demandait 50.000 livres sterling par jour, et il fallait encore prévoir la restauration et l’aménagement intérieur”, se rappelle Michel Vanhoonacker. L’école est donc rapidement écartée, tout comme le Club Quarter : celui-ci doit d’abord servir ses membres, il ne peut se permettre de bloquer son restaurant ou ses chambres pendant une longue période. Au fur et à mesure des négociations, le projet Kings Cross semble quant à lui de plus en plus compromis : la crise économique retarde les travaux d’aménagement. Reste Kings Place. C’est l’endroit que les acteurs belges du dossier préfèrent mais cela reste très cher, malgré les réductions déjà obtenues. En plus, on ne pourrait pas y héberger les invités.

Le temps des négociations Tout à coup, à l’été 2010, Michel Vanhoonacker reçoit un mail d’une certaine Laura Oakes. managing director d’EXP Sport. Cette dernière lui propose de visiter l’Inner Temple. Situé à deux pas de la Tamise, l’établissement est prêt à mettre ses salles à la disposition d’une maison olympique. C’est une première : jamais l’institution n’avait accepté de louer son domaine pour une si longue période. “Nous sommes allés voir et nous avons été directement séduits, confie Michel Vanhoonacker. L’espace, le caractère typically british, sa situation, proche de St Pancras… Tout cela nous a plu”, raconte le président de la Chambre de commerce belgo-luxembourgeoise. Les possibilités de logement ont également pesé dans la balance. L’Inner Temple a en effet cédé un de ses buildings au groupe hôtelier Apex pour qu’il le transforme en un hôtel de 182 chambres. Les travaux devraient être terminés pour le printemps 2012, juste à temps pour les JO. Un “hic”, cependant : le prix, trois fois ce que l’école demande habituellement. Qu’à cela ne tienne, les négociations commencent, habilement menées par Piet Moons. “On palabrait avec l’Inner Temple tout en gardant Kings Place en haleine. Cela a duré plusieurs mois”, se souvient Michel Vanhoonacker. Argument principal du COIB : on aime le lieu mais on ne peut pas dépasser notre budget. L’Inner Temple fait une première proposition. Le COIB campe sur ses positions. L’Inner Temple avance un deuxième chiffre. Rien à faire du côté du COIB. Il n’excédera pas le budget qu’il s’est fixé. Patrick Maddams, chef exécutif et trésorier de l’Inner Temple, refuse de concéder une nouvelle réduction. La tension monte. Le comité olympique belge sort sa carte diplomatique : il appelle l’ambassadeur de Belgique en Grande-Bretagne, Johan Verbeke, à la rescousse. La carte business est également jouée. Le COIB organise des réunions en Belgique pour convaincre ses partenaires. A Londres, les négociations reprennent. Le comité olympique belge fait une concession : il inclut la restauration dans le package. “On a garanti la consommation de 500 repas par jour, précise Michel Vanhoonacker. On a cependant négocié la possibilité pour un chef coq belge de superviser le travail : si, pour certains événements, on veut faire des plats typiquement belges, il vaut mieux un cuisinier habitué à ce genre de mets.” L’Inner Temple fait alors une troisième offre. Un accord est finalement trouvé. Le contrat est signé. On est en juin 2011. Plus de 6 mois après la première visite du lieu et plus de 5 ans après le début des recherches.

“On a très vite senti que l’Inner Temple voulait attirer la Belgique, confie Jean-Sébastien Gosuin, directeur de Suseia. Notre comité olympique a une très bonne réputation. On ne se rend pas compte de l’intérêt et de l’importance d’avoir un Belge comme président du comité olympique international.” Et de poursuivre : “L’Inner Temple avait aussi un intérêt à la conclusion de l’affaire. Pendant un mois, le lieu va se faire connaître, et verra défiler de futurs clients potentiels.” L’argent de la location permettra aussi à cette charity, sorte d’asbl, de financer la restauration de ses bâtiments ou d’autres frais inhérents à l’institution.

Pour combien le marché a-t-il été conclu ? Motus. Aucune des parties aux négociations ne divulguera l’information. “En tout cas, c’est bien moins que les 2 millions d’euros que certains pays vont, semble-t-il, payer, affirme Michel Vanhoonacker. Ils étaient trop pressés. Par peur de ne pas trouver de lieu, ils ont accepté de payer des sommes exorbitantes. Pour la Belgique, c’était hors de question.”

Pas question cependant pour le COIB de se reposer sur ses lauriers. Le contrat pour la Belgian House 2012 n’était pas encore conclu que le comité et ses partenaires entamaient déjà les démarches pour celle de 2016, à Rio. Son envergure dépendra du succès londonien mais aussi de l’intérêt économique que représente le Brésil pour la Belgique. Celui-ci n’est pas négligeable.

Géraldine Vessière

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