Crédit hypothécaire: vite, dépêchez-vous d’emprunter !

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N’attendez plus si vous envisagez de souscrire à un crédit hypothécaire. Demain, ce sera plus compliqué et plus cher, surtout si vous êtes jeune. La faute en incombe aux taux d’intérêt qui remontent et aux banques qui vont prêter moins facilement.

Vous rêvez d’acheter votre maison ou une seconde résidence ? Alors voici qui ne va pas vous réjouir : non seulement conclure un crédit hypothécaire va coûter plus cher en 2017, mais ce sera également de plus en plus compliqué dans les semaines à venir. Un conseil : si vous devez souscrire à un crédit hypothécaire ou refinancer votre emprunt, dépêchez-vous : faites-le tant qu’il est encore temps car demain, ce sera trop tard. Et cela, pour quatre raisons.

1. Les taux bas, c’est fini

Après plusieurs mois de baisse exceptionnelle, les taux hypothécaires sont repartis à la hausse, au point de franchir aujourd’hui la barre symbolique des 3 %. Toutes les banques ont en effet relevé leurs conditions au cours des derniers mois, à commencer par le leader du marché BNP Paribas Fortis (un crédit sur quatre en 2016). Début janvier, la première banque a majoré de 0,30 % le taux affiché pour ses crédits à 20 ans et à taux fixe. Hors négociation commerciale, il se monte désormais à 3,20 contre 3 % en décembre et 2,90 % en novembre. Chez Belfius, autre acteur important du marché (5,6 milliards de nouveaux crédits hypothécaires accordés l’an dernier), le tarif affiché pour cette formule à taux fixe sur 20 ans dépasse également la barre symbolique des 3 %. Du côté de KBC, il dépasse même la barre des 3,5 % (s’établissant à 3,79 % pour être précis).

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Cette tendance à la hausse devrait d’ailleurs se confirmer dans les mois qui viennent. Du côté de BNP Paribas Fortis, on ne s’attend pas en effet à une rechute mais plutôt à ” une légère hausse de 0,50 % d’ici la fin de l’année “, estime Sébastien Degand, responsable des crédits aux particuliers. Selon lui, le marché immobilier devrait toutefois s’afficher en légère croissance en 2017, avec des taux d’intérêt qui resteront malgré tout historiquement bas. Même son de cloche du côté de Belfius où on entrevoit une ” augmentation des taux à long terme ” mais ” limitée “, situe la porte-parole Ulrike Pommée. Bref, les taux ne devraient pas s’embraser mais il est clair que le marché va revenir à des niveaux plus élevés dans les prochains mois : de l’ordre de 3,5 % à 4 % pour un crédit à taux fixe sur 20 ans (toujours, ici aussi, avant discussion avec son banquier). Début 2016, on tournait autour d’un plus bas historique d’environ 2 % (voir le graphique “Les taux hypothécaires remontent”). Soit pour certains crédits bien négociés, un tarif de l’ordre du pour cent.

2. L’inflation est de retour

Si les taux hypothécaires remontent, c’est bien sûr parce que les conditions sur les marchés internationaux sont moins favorables qu’en 2016 et 2015. En cause : la remontée des taux américains enclenchée par la Fed (la banque centrale des Etats-Unis), un regain de tension sur les obligations européennes (liées notamment aux incertitudes politiques en France et aux malheurs des banques italiennes) et l’inflation qui s’accélère. Alors qu’elle était encore négative il y a un an, elle a fortement augmenté en zone euro pour atteindre 2 % en février. En Belgique, elle s’est même hissée le mois dernier à près de 3 %. Or, dans le même temps, les comptes d’épargne n’offrent toujours que le minimum légal de 0,11 % (prime de fidélité de 0,10 % comprise). On est donc largement en dessous de la hausse du coût de la vie. Pour l’épargnant, cela signifie que ses économies dégagent un rendement réel négatif de quasiment… 3 % ! C’est simple, à ce rythme-là, s’il laisse son argent dormir sur un livret d’épargne, au final, le citoyen prudent aura perdu la moitié de son capital après 25 ans !

Bref, ce rebond de l’inflation, néfaste pour les épargnants, va sans doute obliger les banquiers centraux à durcir leur politique monétaire. C’est déjà le cas aux Etats-Unis, et cela pourrait l’être bientôt en Europe. Car comme l’explique l’économiste en chef de CBC Bernard Keppenne, ” il n’est pas exclu que la BCE (Banque centrale européenne, Ndlr) relève son taux de dépôt, qui se situe pour le moment à – 0,40 %, et cela même avant la fin de son programme de rachats d’actifs en décembre 2017, au cas où l’amélioration du contexte économique se poursuivrait “. Une raison de plus pour que les taux hypothécaires poursuivent leur ascension. Un argument de plus aussi pour les banquiers de recommander à l’épargnant de se tourner vers un placement immobilier, via lequel il est possible de protéger ses économies contre l’inflation tout en profitant de rendements supérieurs à ceux de la plupart des actifs sans risque (compte épargne, OLO, etc.).

3. Le gendarme bancaire est aux aguets

Le candidat emprunteur qui ne pourra pas lui-même mettre sur la table au moins 20 % de la valeur de sa future maison va être davantage pénalisé.

Outre un loyer de l’argent qui augmente et une inflation qui s’accélère, il y a aussi pour expliquer ce probable resserrement du crédit le fait que la Banque nationale s’inquiète de la dette des ménages belges. Il faut savoir en effet que cette dernière dépasse désormais, selon les derniers chiffres de la Banque nationale (BNB), 263 milliards d’euros, soit grosso modo 60 % du PIB (plus, aussi, que la moyenne européenne). Une ardoise qui s’explique à la fois par la stagnation des revenus et par la hausse des montants des crédits immobiliers.

Selon la BNB, l’octroi de crédit aux ménages a en effet continué d’augmenter à un rythme élevé (environ 5 % par an) et cela, dans un marché immobilier déjà caractérisé par d’importantes augmentations de prix. Les banques prêtent donc davantage et à plus de monde (BNP Paribas Fortis a enregistré l’an dernier une croissance de 8 %, la progression se monte même à 40 % sur deux ans chez Belfius !). C’est dire si la machine du crédit hypothécaire tourne à plein régime…

C’est pour cela que la BNB a décidé de serrer la vis. Fin mai, sous réserve d’approbation par les autorités de contrôle européennes et du gouvernement fédéral, les banques devront immobiliser plus de fonds propres pour certains crédits hypothécaires. Objectif de cette nouvelle mesure ” macro-prudentielle ” de la BNB : adresser un signal clair aux banques pour qu’elles maintiennent des conditions de crédit prudentes lorsque le candidat emprunteur ne peut pas mettre sur la table au moins 20 % de la valeur de sa future maison (voire 35 % si on tient compte des droits d’enregistrement et des frais de notaire). En pratique, la mesure coûtera cher à l’ensemble du secteur qui devra mobiliser un coussin de fonds propres supplémentaire pour les prêts à quotité élevée (montant emprunté par rapport à la valeur du bien supérieur de 80 %) estimé à 560 millions d’euros.

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Plus concrètement, pour un prêt théorique de 100 euros, avec une quotité comprise entre 80 % et 90 %, l’exigence en capital passera d’environ 1,25 euro à un niveau proche de 2,5 euros. Pour un prêt avec une quotité supérieure à 90 %, l’exigence en capital passera d’environ 1,25 euro à un peu plus de 3 euros. Traduction : ” La différence entre une faible et une haute quotité pourrait à l’avenir s’accentuer pour déterminer les conditions d’un crédit “, situe Geoffroy Lycops, managing partner chez DRA Group, bureau spécialisé en planification financière. Mais à vrai dire, c’est ce que recherche la BNB. Elle nous confie en effet qu’elle s’attend à ce que ” la mesure entraîne un nouveau durcissement des conditions d’octroi de crédit de telle sorte que la part des prêts les plus risqués diminue à nouveau dans les portefeuilles des banques belges “. Mauvaise nouvelle pour certains segments de clientèle spécifiques comme les jeunes, qui empruntent généralement plus que 80 % de la valeur du bien. Ainsi, en moyenne, BNP Paribas Fortis a accordé en 2016, sur ce créneau des jeunes, pour 86 % de la valeur empruntée pour une maison ou un appartement, contre 79 % en moyenne pour l’ensemble de sa clientèle. Clairement, ” le jeune qui ne sera pas aidé par ses parents ou qui ne dispose pas d’une épargne suffisante va être fortement pénalisé en termes de taux “, grince ce banquier, parlant d’une mesure ” exagérée ” de la part de la BNB.

4. Les banques vont prêter moins facilement

Du côté des banques, on affirme pourtant que la nouvelle norme fixée par la Banque nationale ne devrait pas changer grand-chose. ” Nous maintiendrons notre politique d’acceptation actuelle qui tient déjà compte de paramètres liés, entre autres, du profil du client et du type de l’opération “, avance-t-on du côté d’ING Belgique, qui ne communique toutefois aucun chiffre sur son comportement actuel (quotité moyenne des prêts accordés, etc.).

Chez BNP Paribas Fortis, Sébastien Degand estime également que la mesure de la BNB ” ne changera pas la manière de travailler ” et que ” son impact sur les tarifs devrait rester limité “. ” Nous n’interdirons pas les quotités supérieures à 80 %, sans toutefois prêter au-delà de 100 %, comme nous le faisons depuis fin 2015 “, insiste-t-il. Du côté de Belfius, on estime que la banque applique déjà ” une méthode prudente pour déterminer la valeur d’un bien immobilier “, dit Ulrike Pommée, citant l’exemple de la construction d’un bâtiment pour laquelle la banque ne prend pas en compte la TVA. Quant à KBC, elle souhaite ” respecter un équilibre sain entre la gestion des risques et l’octroi de crédits, et comprend les considérations de la BNB mais veillera à ce que le crédit reste accessible à tous tout en respectant le principe qu’un candidat-emprunteur doit à chaque moment pouvoir rembourser son crédit “.

Alors, info ou intox ? Seule certitude : on touche ici au coeur du métier des banques. Chacune essaie de garder secrets les ingrédients de sa cuisine interne. Par ailleurs, la Banque nationale a déjà opéré un resserrement du même genre fin 2013. Il est vrai aussi que les banques n’ont pas vraiment intérêt à se fâcher ouvertement ni avec leur autorité de contrôle ni avec leurs clients. D’où, sans doute, ce discours commercial de façade…

Conclure un prêt hypothécaire sera pourtant bel et bien moins avantageux à l’avenir. Les analyses de la BNB ont montré que ” l’introduction de la première mesure macro-prudentielle (à la fin de 2013) ne s’était pas seulement accompagnée d’une augmentation des montants de capital mobilisés par les banques (et donc de leur capacité à absorber de potentielles pertes) mais aussi d’un durcissement des conditions d’octroi de crédit (en 2014) de la part des banques en ce qui concerne la durée des prêts, leur quotité ainsi que le rapport entre la charge de la dette et le revenu mensuel “. Résultat : l’apport demandé aux clients a, par exemple, augmenté de 10 à 15 % en moyenne chez KBC depuis 2014. Autrement dit, souligne encore la BNB, ” le fait que ces banques devront alors maintenir un capital supplémentaire pour ces prêts devrait mener à une différenciation (plus importante) des taux client offerts pour les crédits hypothécaires en fonction du ratio loan to value (quotité empruntée, Ndlr) et de la sorte, à une meilleure tarification du risque. Un prêt assorti d’une quotité supérieur à 80 ou 90 % devra être plus cher pour l’emprunteur qu’un prêt présentant une quotité inférieure à ces limites “.

Trois questions à Roland Gillet

Professeur à la Sorbonne ainsi qu’à l’ULB (Solvay), Roland Gillet se veut rassurant quant à une éventuelle crise de l’immobilier en Belgique, même si un retour de manivelle n’est jamais exclu.

1. Selon le FMI et l’OCDE, le marché immobilier en Belgique est surévalué. Est-ce vraiment le cas ?

ROLLAND GILLET. Il est clair que les taux bas et la fiscalité liée à l’achat à crédit d’une maison ont conduit les prix des habitations à des niveaux plus élevés que leurs valeurs d’investissement. Le Belge est convaincu que l’achat d’une maison est un bon placement et que son bonheur passe par la propriété. Mais aux prix actuels, la rentabilité de l’immobilier résidentiel est loin d’être assurée. D’abord parce que l’achat d’un bien n’est pas nécessairement plus rentable pour son occupant que la location. Ensuite parce que l’immobilier résidentiel présente aujourd’hui plus de risques que par le passé. Des risques notamment liés aux changements structurels de la société : pertes d’emploi, divorces et séparations après sept ans en moyenne, emploi et mobilité, normes écologiques, etc.

2. Doit-on s’attendre à ce que les banques prêtent moins facilement suite au tour de vis de la Banque nationale ?

On voit effectivement que la Banque nationale est plus attentive aux crédits hypothécaires. Elle sait que les marges des banques sur les prêts hypothécaires se font aujourd’hui sur des taux courts très bas et qu’une remontée sensible de ces derniers pourrait venir manger ces marges. En obligeant les banques à augmenter leur coefficient de fonds propres à immobiliser pour les crédits immobiliers, son but est à la fois d’anticiper ce problème mais également de réduire l’accès au crédit à certaines catégories plus risquées d’emprunteurs, comme les jeunes ménages, qui sont les plus fragiles financièrement. Beaucoup de jeunes ménages estiment d’ailleurs qu’acheter leur logement est aujourd’hui devenu impayable.

3. Plusieurs marchés immobiliers ont souffert en Europe depuis la crise de 2008 (Irlande, Espagne, Pays-Bas). Faut-il craindre une crise immobilière en Belgique ?

Là n’est pas mon propos, mais il faut assurément rester attentif à deux éléments. Le premier, c’est la régionalisation du bonus logement. Les Régions adoptent des comportements différents en la matière, et cela peut déstabiliser le marché. L’autre élément à ne pas perdre de vue, c’est, comme mentionné plus haut, une remontée brusque et significative des taux d’intérêt qui pourrait provoquer une correction sensible des prix des logements, ce qui mettrait nombre de jeunes propriétaires dans une situation où leur bien pourrait même valoir moins que le prix d’achat, comme ce fut le cas pour les ménages américains durant la crise des subprimes, et puis en Espagne, ou encore plus récemment aux Pays-Bas. Ce n’est donc pas étonnant que la Banque nationale veuille encadrer davantage l’accès au crédit, même si les banques belges sont raisonnables et affichent des portefeuilles immobiliers conformes aux exigences en termes de risque.

En conclusion, ” la tendance au resserrement des conditions d’octroi est constante depuis plusieurs années déjà, observe Geoffroy Lycops (DRA Group). Les grands acteurs bancaires continuent de se positionner de manière très agressive sur les demandes relatives à l’achat d’une habitation propre, avec des candidats aux revenus stables et un apport en fonds propres de l’ordre de 25 % du coût total de l’opération. Par contre, les dossiers qui présentent un apport en fonds propres plus limité ou un taux d’endettement plus élevé se négocient dans des conditions moins favorables, ils ne font pas l’objet d’une concurrence aussi importante “. Manière de dire que la sélection des clients sur la base de critères tels que les revenus, la mise de départ, la profession ainsi que le nombre de produits annexes souscrits (assurance, etc.) devrait être bientôt encore plus précise que par le passé pour déterminer les conditions d’un crédit (formules de remboursement, taux, etc.). Autant le savoir.

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