Comment un taudis de 13 m² peut coûter 520.000 euros

© Reuters

Coincée dans une ruelle de Pékin jonchée de déchets, sans eau courante ni toilettes, une chambre de 13m² coûte 520.000 euros. Son seul atout: en être propriétaire permet d’obtenir une “carte scolaire” locale.

Beaucoup de riches parents chinois sont prêts à débourser des fortunes pour garantir à leur progéniture une place dans une classe de l’école Huangchenggen, située juste à côté, au coeur de la capitale chinoise.

L'”appartement” vaut 40.000 euros le mètre carré, soit le niveau d’un logement de grand standing à Monaco — la vue sur la mer en moins.

Pour autant, “le logement partira bientôt”, certifie l’agent immobilier qui fait visiter l’endroit à un journaliste de l’AFP, assurant avoir déjà vendu deux chambres voisines.

Cette folie dépensière, controversée en Chine, est le résultat logique d’un système qui “insiste sur le fait que les enfants doivent gagner dès la ligne de départ”, analyse Tao Hongkai, spécialiste de l’éducation à l’Université normale de Chine centrale.

Les parents “investissent les deux tiers de leur revenu dans l’éducation de leur enfant”, explique-il. “Et comme ils n’en ont qu’un seul, ils misent tout sur lui.”

Seule la propriété d’un appartement — et non sa simple location — garantit des places dans l’établissement visé, et celles-ci sont désormais de plus en plus monopolisées par les familles aisées.

“Avant, l’éducation était assez égalitaire. Désormais, c’est purement une éducation pour aristocrates”, déplore M. Tao.

‘Mieux si c’est habitable’

La presse a fait état la semaine dernière d’un parent ayant déboursé 730.000 euros pour une chambre de 11,4 mètres carrés dans la rue pékinoise de Wenchang, garantissant à son enfant une inscription gratuite à la très cotée “Ecole primaire expérimentale N°2”.

Sans ce logement, il aurait dû faire une demande — et payer — pour obtenir l’intégration dans cet établissement scolarisant quelque 800 élèves, dont nombre d’enfants d’officiels.

Dans le centre historique de Pékin, beaucoup de larges cours carrées centenaires, logements traditionnels, sont aujourd’hui divisées en une dizaine de petites chambres, plus rentables.

Derrière les portes de bois rouges apparaît désormais un dédale de venelles étroites, couvertes de bric-à-brac et parcourues de cordes sur lesquelles pendent linge à sécher, saucisses ou canards.

Une exiguité qui ne décourage guère les acheteurs potentiels, qui tapissent les murs de petites annonces et s’arrachent des chambres parfois d’à peine sept mètres carrés.

Tout espace fera l’affaire, assure un message, promettant un paiement cash pour un logement “adéquat”. “Bien sûr, c’est mieux si c’est habitable”, précise-t-il toutefois.

Mais l’investissement est rentable, assure Xiong Bingji, de l’Institut de recherche sur l’éducation du 21e siècle.

“Ces appartements permettent aux enfants d’avoir une scolarité de grande qualité”, note-t-il, soulignant l’alléchante plus-value potentiellement réalisable lorsque l’enfant quittera l’école.

“Au bout de cinq ou six ans… c’est possible que les prix soient encore plus élevés.”

‘Insensé’

La rue de Wenchang est située dans un quartier tiraillé entre Chine d’hier et d’aujourd’hui.

Dans le nord, de rutilantes berlines filent devant d’étincelants immeubles de bureaux, occupés par des banques qui ont permis à la Chine populaire de devenir la deuxième économie mondiale.

La ruelle, juste au sud, abrite, elle, l’ancienne demeure traditionnelle de Li Dazhao, co-fondateur du Parti communiste chinois (PCC) en 1921.

L’Ecole N°2, propre et moderne, est située entre les deux, avec ses panneaux solaires, ses baies vitrées et ses terrains de basket flambant neufs sur lesquels transpirent les élèves.

Deux kilomètres plus loin, lors de la session annuelle du Parlement chinois, le délégué Li Chanming, directeur d’un des meilleurs collèges pékinois, dénonce les sommes folles dépensées par les parents pour ces logements de fortune.

Leur argent serait bien mieux rentabilisé en “améliorant la qualité et le volume” des cours extrascolaires, a-t-il souligné lors d’une conférence de presse.

A l’Ecole N°2, les parents contestent poliment.

“Cet établissement s’intéresse à l’éducation tous azimuts des élèves et à leur développement complet”, explique une mère venue attendre son enfant. “Ils ne sont pas juste focalisés sur les notes.”

Ces parents d’élèves ont refusé de révéler comment ils ont obtenu une place dans l’école.

Mais des riverains se montrent plus bavards.

“Après avoir installé un lit et un placard, vous n’avez plus de place pour bouger”, déclare un homme à propos de la chambre à 730.000 euros. “C’est insensé”.

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