Comment l’immobilier s’adapte à l’économie de partage

LEFT. Prix abordables, logements compacts et services communs sont les points forts du concept développé à Anvers. © PG

Avec l’engouement suscité par l’économie de partage, la possession d’un bien perd de son importance. Un changement de valeurs qui a des répercussions sur le secteur immobilier dont le modèle de rentabilité classique est basé sur la propriété.

Adam Neumann et Miguel McKelvey ont inauguré leur premier espace de bureaux partagés baptisé Green Desk à New York en 2008. Dix ans plus tard, leur entreprise WeWork compte 268.000 membres dans plus de 160 sites dans 27 pays. Avec une valeur estimée à plus de 17 milliards d’euros, WeWork dépasse plusieurs acteurs et fonds immobiliers de premier plan.

Airbnb est une autre manifestation de l’économie de partage. Son impact sur le marché immobilier est indéniable. Six ans à peine après sa création, le site de location proposait déjà plus de chambres que le groupe Hilton.

Selon l’Emerging Trends Report 2017 de PwC et Urban Land Institute, l’économie de partage constitue un des défis majeurs, voire une possible menace pour le secteur immobilier. Elle privilégie l’usage plutôt que la possession et ” a le pouvoir de perturber une industrie basée sur le concept de propriété “. Par ailleurs, le rapport met en exergue l’énorme potentiel de l’économie de partage. D’ici à 2025, elle pourrait générer annuellement plus de 500 milliards d’euros en transactions. Le succès des initiatives américaines telles que WeWork et Airbnb illustre les nombreuses opportunités des activités liées à l’immobilier.

LEFT Le projet anversois prévoit 123 logements à l'attention d'un jeune public.
LEFT Le projet anversois prévoit 123 logements à l’attention d’un jeune public.© PG

La plateforme fait toute la différence

Airbnb n’est rentable que depuis 2017. Malgré sa croissance fulgurante, WeWork est toujours déficitaire. De quoi apporter de l’eau au moulin des sceptiques pour qui ce genre d’entreprise et l’économie de partage en général ne sont guère plus qu’une mode passagère. Le concept n’a rien de bien neuf. La jouissance d’un bien immobilier sans le posséder porte un nom : la location. Le partage d’espaces et d’installations communes n’est pas nouveau non plus. Il existe quantité de résidences dont les habitants partagent la piscine, le sauna, le terrain de tennis ou les chambres d’amis. Le cohousing est un concept d’habitation qui existe depuis belle lurette. ” Les cités-jardins des années 1920 sont les premières manifestations de l’économie de partage dans l’immobilier “, explique Loïc Géronnez, senior consultant développement régional et immobilier chez IDEA Consult. Dans des segments immobiliers aussi spécifiques que le logement étudiant ou senior, le partage des installations est désormais la règle plutôt que l’exception.

Dans des segments immobiliers comme le logement étudiant ou senior, le partage des installations est désormais la règle plutôt que l’exception.

Beaucoup de bruit pour pas grand-chose ? C’est un peu réducteur, selon Loïc Géronnez. ” La grande différence entre les anciennes formules de partage et l’économie collaborative d’aujourd’hui est l’avènement des plateformes en ligne “, souligne-t-il. Grâce à celles-ci, le coût des transactions et des contrats est réduit au strict minimum. Les contrats complexes sont remplacés par des outils propres à la plateforme, comme les systèmes de correction et d’appréciation. De ce fait, les transactions sont nettement plus simples et plus rapides. ” Un plus indéniable pour le secteur immobilier, poursuit Loïc Géronnez. La location classique d’un bien prend énormément de temps. Sur une plateforme en ligne, il suffit de quelques clics. ” Les sites web facilitent les choses mais assurent aussi une plus grande transparence. ” L’offre et la demande sont plus visibles et donc plus faciles à faire correspondre “, assure Loïc Géronnez.

Certaines plateformes ne se contentent pas de faire concorder l’offre et la demande : elles créent une nouvelle offre et/ou font en sorte qu’un bien improductif ou sous-utilisé génère malgré tout des revenus pour son propriétaire. L’exemple le plus connu est Airbnb qui a ouvert les portes de l’immobilier, au sens propre : le propriétaire d’un logement idéalement situé d’un point de vue touristique pouvait tout à coup gagner de l’argent grâce à son bien (momentanément) inoccupé. Ce modèle a fait des émules dans d’autres segments immobiliers. La société américaine Liquidspace facilite la mise à disposition à court terme de bureaux et de salles de réunion inoccupés, avec un maximum de flexibilité. Sur le marché du commerce au détail, l’Anglais Appear Here et l’Américain Storefront créent des initiatives pop-up dans l’intérêt des propriétaires d’espaces commerciaux vacants. Dans le domaine de la logistique, les entreprises peuvent proposer leurs espaces de stockage excédentaires sur la plateforme néerlandaise en ligne Stockspots.

Upliving BXL- The Brewery. Tous les flats du projet d'Upgrade Estate disposent d'une terrasse privée. L'intimité reste primordiale pour les
Upliving BXL- The Brewery. Tous les flats du projet d’Upgrade Estate disposent d’une terrasse privée. L’intimité reste primordiale pour les ” millennials ” aussi.© B2AI

Tendances

Le groupe d’immobilier logistique coté en Bourse Montea détient la licence de Stockspots pour le marché belge ( lire l’encadré ” L’Airbnb de l’immobilier logistique “). Selon Jo De Wolf, PDG de Montea, le concept de Stockspots répond aussi à la volonté du secteur immobilier d’évoluer vers une plus grande durabilité. ” Le bâtiment le plus durable est encore et toujours le bâtiment qu’il ne faut pas construire, ironise-t-il. Cela n’a aucun sens d’accroître la capacité de stockage si la moitié des entrepôts sont vides. ”

Même son de cloche du côté de Lucien Kahane, expert immobilier et développement territorial d’IDEA Consult. ” La pression sur les espaces disponibles ne cesse de s’accroître, souligne-t-il. Il est donc logique qu’on s’intéresse de près au secteur immobilier. Le partage ou l’optimisation de l’immobilier existant est une des solutions envisageables. Cette thématique revient régulièrement dans le débat sur la compacité de l’habitat et le stop au béton. ”

Lucien Kahane cite d’autres tendances qui expliquent pourquoi l’intérêt actuel pour l’immobilier et l’économie de partage est ” plus qu’une mode passagère “. ” L’accessibilité financière est un autre thème récurrent dans l’immobilier résidentiel, constate-t-il. Surtout dans les villes réputées très chères comme New York, Londres, Paris et Amsterdam, de nombreuses initiatives sont prises pour partager l’immobilier résidentiel et répondre à la demande de formes d’habitation plus abordables. ”

La vente ou la location d’unités de logement compactes est complétée par toute une série de services (salon lavoir, concierge, partage de voiture) et l’accès à des espaces communs comme une terrasse sur le toit, une salle de fitness, une buanderie, etc. ” En Belgique comme ailleurs, le prix des logements pose de plus en plus question, poursuit Lucien Kahane. Le marché locatif ne s’est jamais aussi bien porté. C’est un signe qui ne trompe pas. ”

A Bruxelles, plusieurs projets surfent sur cette vague, comme De Horizon de Home Invest et Upliving BXL- The Brewery d’Upgrade Estate. Point commun : le partage des installations et des espaces. A Anvers, le développeur Gands construit aux abords du parc Albert son premier site YUST, un concept d’habitation similaire. ” Tous ces projets visent un public jeune et célibataire, confie Lucien Kahane. Le but est de créer un sentiment d’appartenance à une communauté. Car la génération du millénaire est demandeuse d’expériences partagées avec des personnes qui pensent comme elle. C’est très tendance. Autrement dit, beaucoup préfèrent la flexibilité de la location à la stabilité de la propriété. ”

Nouveaux acteurs

Lucien Kahane (IDEA Consult)
Lucien Kahane (IDEA Consult) ” Tous ces projets visent un public jeune et célibataire. Le but est de créer un sentiment d’appartenance à une communauté. “© PG

Comme le fait remarquer Lucien Kahane, les acteurs spécialisés dans le coworking ont déjà une certaine expérience en matière de création d’ambiance et de sentiment d’appartenance communautaire. Fini les bureaux tristounets. Place au cadre de travail créatif et inspirant, propice au réseautage. La génération du millénaire, assez exigeante, se voit proposer quantité de services et une restauration branchée. Le partage de tous ces services supplémentaires permet de les offrir à un prix raisonnable et de les rentabiliser.

Forts de ce background et de cette expérience, certains fournisseurs d’espaces de travail partagés sont bien placés pour créer une ambiance coliving qui plaît au plus grand nombre. Ainsi par exemple, WeWork a lancé WeLive dont l’essor est toutefois moins fulgurant que prévu. ” En Belgique, Fosbury & Sons excelle dans ce domaine, reconnaît Lucien Kahane. Autre raison pour laquelle le tandem coworking/ coliving fonctionne aussi bien : l’atténuation progressive de la limite entre vie privée et vie professionnelle, surtout chez les jeunes générations. ”

Masse critique et échelle suffisante sont des conditions sine qua non à l’exploitation rentable des installations de “coworking”, de “coliving” et de “cohousing”.

Ces nouveaux acteurs qui ont l’économie de partage inscrite dans leur ADN présentent-ils une menace pour le secteur immobilier ? Lucien Kahane craint effectivement pour les promoteurs immobiliers classiques. ” Dans l’économie de partage, l’immobilier tient davantage du service que du produit, explique-t-il. Autrement dit, il faut plus de suivi, de gestion et une approche orientée service. Rien à voir avec la stratégie hit and run du promoteur immobilier traditionnel qui construit vite pour vendre dans la foulée et recommencer ailleurs le plus rapidement possible. ”

Confirmation de Luc Van Maercke, PDG du promoteur immobilier Vooruitzicht. ” La promotion immobilière classique est vouée à disparaître, assure-t-il. L’immobilier est avec la finance un des derniers secteurs à donner une certaine importance au service. La tendance actuelle est irréversible. ” Vooruitzicht a lancé au début de l’été le concept de logement Left (123 logements compacts et services communs). Selon Luc Van Maercke, ce nouveau concept fait la part belle au service, à l’expérience et aux relations plus qu’à la vente du produit.

Comme le souligne Jo De Wolf, le succès d’une plateforme comme Stockspots rime avec ” expérience positive “. ” Pourquoi Amazon accepte-t-il les retours sans broncher ? Parce que l’acte d’achat doit à tout prix être une expérience positive. Tout le processus d’achat, y compris l’éventuel retour du colis, doit pouvoir se faire le plus facilement possible. Stockspots poursuit le même objectif : la démarche doit être simple, claire et accessible à tous. ”

Upliving BXL- The Brewery. Tous les flats du projet d'Upgrade Estate disposent d'une terrasse privée. L'intimité reste primordiale pour les
Upliving BXL- The Brewery. Tous les flats du projet d’Upgrade Estate disposent d’une terrasse privée. L’intimité reste primordiale pour les ” millennials ” aussi.© B2AI

Changement de mentalité

Sur le marché du bureau surtout, le phénomène du coworking a induit des changements importants. Selon les chiffres du conseiller immobilier JLL, les opérateurs de coworking accaparaient déjà 18 % du marché bruxellois du bureau au premier semestre de cette année. Le paradoxe est à tout le moins surprenant : d’un côté, les spécialistes du coworking boostent le marché locatif et de l’autre, ils coupent l’herbe sous le pied des propriétaires et des loueurs de bureaux traditionnels. Ces derniers réagissent en s’associant aux nouveaux acteurs ou développent leurs propres concepts à l’instar d’Intervest (Greenhouse) et de Leasinvest (The Crescent).

Ce glissement vers l’immobilier- service a aussi pour effet de saper les modèles traditionnels de financement et d’appréciation du secteur. Les utilisateurs finaux ne voient plus l’utilité de contracter un bail de longue durée. Ce type de contrat est remplacé par d’autres modèles d’indemnisation plus flexibles comme la cotisation ou la formule d’abonnement. Autrement dit, l’immobilier n’est plus aussi … immobile. Propriétaires et investisseurs immobiliers vont devoir s’y faire, eux pour qui le principal attrait de l’immobilier réside précisément dans la propriété qui génère un cash-flow prévisible par le biais de revenus locatifs garantis.

L’intimité reste un must

Loïc Géronnez (IDEA Consult)
Loïc Géronnez (IDEA Consult) ” Les cités-jardins des années 1920 sont les premières manifestations de l’économie de partage dans l’immobilier. “© PG

Hormis le phénomène de coworking et le succès mondial d’Airbnb, la plupart des concepts de partage dans la sphère immobilière dépassent rarement les frontières du marché local. Les phénomènes de cohousing et de coliving, plus vraiment nouveaux, restent malgré tout des produits de niche. Pourquoi n’arrivent-ils pas à s’imposer ? ” Pour ce qui est des plateformes en ligne, elles doivent pouvoir toucher un public suffisamment large, nuance Loïc Géronnez. C’est plus facile aux Etats-Unis car en Europe, les plateformes doivent être adaptées à chaque législation nationale. La Commission européenne met tout en oeuvre pour harmoniser la réglementation des différents Etats membres. ” Masse critique et échelle suffisante sont des conditions sine qua non à l’exploitation rentable des services communs et/ou des installations de coworking, de coliving et de cohousing. Les grandes villes ont une longueur d’avance à cet égard car la jeune génération urbaine est plus réceptive aux concepts de partage.

La propension des jeunes au partager immobilier n’est-elle pas surestimée, se demande Koenraad Belsack, administrateur délégué d’Upgrade Estate. En guise de préparation au lancement de la formule Upliving, Upgrade Estate a sondé les préférences des jeunes professionnels en matière de logement. ” Le résultat est sans appel : moins d’un jeune sur cinq est favorable au cohousing pur et dur, constate Koenraad Belsack. Le jeune qui commence sa vie professionnelle veut accéder à un niveau de qualité supérieur, ce qui implique notamment plus d’intimité. C’est pourquoi dans le projet Upliving BXL-The Brewery, chaque studio a sa terrasse privative. ” Luc Van Maercke abonde dans le même sens. ” L’intimité est importante, y compris pour la jeune génération. Les espaces communs constituent un plus. Les résidents de Left disposeront d’une grande cuisine professionnelle, très pratique quand on invite un groupe d’amis. Mais il y a des moments où on a envie de se préparer un repas dans sa propre cuisine. Le partage de l’espace doit être un choix, pas une obligation. ”

Notez que dans son projet Upliving BXL -The Brewery, Upgrade Estate propose également des appartements relativement spacieux de 65 à 120 m2. ” Nous sommes belges, se justifie Koenraad Belsack. On se laisse parfois trop influencer par le marché étranger où le logement très compact remporte un certain succès. Mais contrairement aux Parisiens, par exemple, le Belge n’a pas l’habitude de vivre dans un espace réduit. ”

“L’Airbnb de l’immobilier logistique”

” Un détaillant en chaussures n’a besoin d’un espace d’entreposage qu’à deux moments clés de l’année, lors de la réception des nouvelles collections, d’été et d’hiver. Le restant de l’année, l’entrepôt qu’il loue est probablement à moitié vide. Or, cet espace pourrait venir à point à d’autres utilisateurs. ” Jo De Wolf, PDG de Montea, explique le concept de la plateforme en ligne Stockspots. ” L’Airbnb du secteur logistique “, comme il l’appelle. ” Il s’agit, dans un premier temps, d’offrir un service supplémentaire aux utilisateurs d’un entrepôt, explique-t-il. Le concept correspond aussi à notre objectif de durabilité et nous procure de nouvelles informations car, grâce à Stockspots, nous entrons en contact avec des utilisateurs qui ne sont pas locataires de Montea. ”

Stockspots est une start-up néerlandaise. Après moins d’un an, la plateforme propose déjà quelque 130 sites aux Pays-Bas. Montea, qui détient la licence pour notre pays, a lancé le concept sur le marché belge à la mi-mai. Pour le moment, la plateforme recense une soixantaine de bâtiments belges. ” Nous ambitionnons d’atteindre la centaine de sites d’ici à la fin de l’année, un objectif tout à fait à notre portée. Que les choses soient claires : l’offre ne se limite pas au portefeuille de Montea. Sur les 60 sites, cinq nous appartiennent. Les autres sites proposés appartiennent à nos concurrents et aux utilisateurs finaux. “

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