“Charleroi a retrouvé la confiance des investisseurs”

Charleroi. © SDP

Charleroi dispose enfin d’une vraie ligne de conduite pour redynamiser et redensifier son territoire. De quoi espérer notamment retrouver d’ici 10 ans les 15.000 habitants perdus en trois décennies dans l’intra-ring. Les investisseurs sont en tout cas de retour. Cela se traduit déjà par les 2 milliards d’euros de projets en cours de développement.

On l’a encore découvert lors du Mipim, le salon international de l’immobilier qui s’est déroulé à Cannes mi-mars : Charleroi sait se vendre et mettre en avant ses (futurs) atouts. De belles présentations, une communication attractive, de beaux visuels : la ville regorge de projets d’envergure. Reste que, si la dynamique semble engagée, pouvoirs publics et promoteurs partent de loin. Plongée dans les affres d’une reconversion avec le bouwmeester Georgios Maillis, un architecte carolo nommé en 2013 et qui a vu sa mission prolongée jusqu’à la fin de la législature communale.

TRENDS-TENDANCES. Au-delà des discours positifs qui circulent régulièrement ici et là, avez-vous le sentiment que, sur le terrain, une mutation est réellement en cours à Charleroi ?

GEORGIOS MAILLIS. Oui, vraiment. Il y a une nette évolution depuis 10 ans et la révélation des affaires politico-financières. Cela n’a pas été simple car il a fallu mettre en place des équipes pour lancer et organiser cette mutation. Ce qui a entraîné quelques balbutiements. Mais nous avons pris aujourd’hui un vrai rythme de croisière. Il manquait encore un plan directeur, une vision territoriale. Une mission à laquelle je me suis attelé dès mon arrivée.

Ce qui est quand même étonnant pour une ville de cette taille, non ?

Non, beaucoup de villes sont dans la même situation. Il y a maintenant un projet politique fort sur la manière d’urbaniser Charleroi. On sait où on va créer du logement, où on va développer des pôles sportif et culturel, etc. Nous avons aussi déterminé six grands centres urbains, des lignes de transports en commun, des paysages que l’on souhaite protéger, des infrastructures à mettre en valeur. Nous avons aussi travaillé sur l’échelle événementielle en restructurant les moments festifs sur cinq périodes. La communication et la signalétique ont été revues. Le côté immatériel de la ville a été retravaillé, de manière à recréer des identités, ce qui fait notamment partie du job de mon équipe. Tout ce travail porte ses fruits. Des gens reviennent vivre en ville. Ce que l’on n’avait plus vu ces dernières années. Notre avantage aujourd’hui, c’est aussi qu’une série de projets ont déjà été menés et ont permis de convaincre des acteurs de la ville ou des promoteurs qu’une nouvelle dynamique est en marche.

Vous avez affirmé lors d’une interview que le gros oeuvre du projet d’aménagement urbain de Charleroi était pratiquement bouclé. Cela consiste en quoi exactement ?

C’est le fait que le projet de territoire est l’élément fondateur de notre projet. La ligne de conduite est définie, tant pour nous que pour les gens de l’extérieur. La reconstruction en elle-même s’étalera sur deux à trois décennies.

Y a-t-il des exemples de villes industrielles en Europe qui ont réussi leur reconversion et dont vous pourriez vous inspirer ?

Franchement, non. Nous avons bien évidemment de nombreuses sources d’inspiration. Mais nous n’allons pas faire un nouveau Manchester, un nouveau Bilbao ou un nouveau Berlin. On veut vraiment reconstruire une identité propre pour Charleroi. L’important est de travailler sur les caractéristiques de son territoire.

Quelles différences y a-t-il entre votre schéma directeur et les neufs grands projets de Paul Magnette (1) ?

Aucune. Le projet politique est la colonne vertébrale. A nous de la mettre en oeuvre.

Charleroi possède trois axes prioritaires de redéveloppement : la redynamisation du coeur historique, le développement de nouvelles zones d’activités économiques et la densification des quartiers à travers de gros projets résidentiels, de manière à relever les défis de la croissance démographique. Quelle est la priorisation de ces chantiers ?

Dans un premier temps, il a fallu donner un électrochoc au coeur de ville. Il était complètement mort, il avait arrêté de battre. Je ne connais pas un projet métropolitain d’envergure sans un centre fort. C’est donc là-dessus qu’il faut travailler. Le retour des grandes fonctions métropolitaines en centre-ville est une priorité. Cela se traduit par exemple avec la création d’un nouveau pôle culturel rassemblant le Palais des Congrès (25 millions d’euros), le Palais des Beaux-Arts (4,5 millions) et le Palais des Expositions (36 millions).

Et l’objectif sera ensuite de ramener des habitants ?

Oui, le centre-ville est le quartier qui possède le moins d’habitants. Sur les 2 km2 que compte le centre, nous sommes passés de 24.000 à 10.000 habitants en 30 ans. C’est hyper violent comme exode ! La tendance ne s’est pas encore inversée. Des projets résidentiels sont en cours d’étude au centre-ville (River Towers, l’îlot Zoé Drion, une cinquantaine d’appartements sur Rive Gauche, 80 logements à côté du siège social de la Sambrienne, dans le Left Side Business Park). Une demi-douzaine d’opérations immobilières sont en chantier, d’autres sont en cours d’étude. Il y a un réel intérêt à urbaniser à nouveau le centre. Ce serait bien de retrouver le même nombre d’habitants que dans les années 1960. Le quartier carolo de demain se situera en tout cas là. Deux publics sont intéressés d’y habiter : les jeunes ménages actifs, qui recherchent les petites maisons et des appartements de 100 m2 au tiers des prix bruxellois ; et les personnes âgées qui quittent leur grande villa pour un appartement proche des commerces et facilités. Il faut parvenir à les attirer.

Et au-delà du centre-ville ?

Il y a le Quartier Nouveau sur le site des Hiércheuses à Marcinelle (350 logements sur 20 ha) ou encore le Sacré Français à Lodelinsart (320 logements). Une série d’autres projets sont aussi dans le pipeline.

Possédez-vous suffisamment de réserves foncières pour concrétiser vos ambitions ?

Oui. Et c’est l’un de nos grands atouts. Le potentiel de développement est énorme. Il y a une série de terrains disponibles (Paul Magnette affirmait il y a peu que le “centre-ville est cerné de friches industrielles de presque 300 ha”, Ndlr).

Et, c’est le nerf de la guerre, y a-t-il suffisamment d’investisseurs prêts à réaliser cet ambitieux projet territorial ?

On sent que les investisseurs privés ont retrouvé une certaine confiance par rapport aux interlocuteurs publics. Les développeurs privés comprennent désormais dans quelle pièce ils jouent. Le cadre est strict mais il existe. Ils ont une prévisibilité et une ligne de conduite, ce qui est essentiel pour eux. Savez-vous qu’il y a actuellement pour 2 milliards d’euros de projets en cours sur l’entièreté du territoire, dont 1 milliard rien que pour le centre-ville. Ce n’est pas négligeable. Et le montant du futur quartier d’affaires n’est pas intégré. Mais je ne veux pas me faire d’illusion : je sais que cela va prendre du temps. Il ne faut pas sous-estimer le temps de réalisation.

N’avez-vous pas peur d’avoir à un moment donné une réelle dichotomie entre les nombreux projets clinquants et le bâti existant ?

Un travail important sera entamé en matière d’amélioration du cadre de vie et des espaces publics. Nous bénéficions pour cela de la manne des fonds européens Feder. Cela se traduit par exemple par l’amélioration des quais le long de la Sambre, qui seront terminés d’ici quelques semaines. Il a été nécessaire de revaloriser les places (Charles II, Manège, Digue, Verte) et de transformer ces lieux qui n’étaient plus que de vastes parkings. La revalorisation des espaces publics est le levier majeur des investissements privés qui se dérouleront autour. Ils s’élèvent à une trentaine de millions pour les prochaines années. Et nous travaillons aussi sur le bâti existant : une charte du mobilier urbain a par exemple été définie.

Ce travail passe aussi par le fait de réconcilier la ville avec l’eau, avec la Sambre…

Oui. Les habitants avaient complètement oublié qu’il s’agissait d’une ligne paysagère remarquable puisque les abords ont été laissés à l’abandon. Une série de projets ont été lancés pour rapprocher les gens de l’eau. Il s’agit des quais, de la création d’une halte nautique, d’une marina.

Où en sont les deux projets d’envergure que sont les River Towers et le Left Side Business Park ?

Le premier est un projet de logements piloté par le privé et dont la demande de permis suit son cours. Le second vient de voir valider son plan de remembrement urbain. Il s’agit d’un parc d’affaires public-privé. Charleroi a besoin d’avoir ce type de projets, qui seront de véritables signaux dans le paysage. Ils démontreront que la métropole est en cours de mutation.

Comment voyez-vous Charleroi dans 10 ans ?

Charleroi sera une ville qui assumera davantage son côté métropolitain. Une ville respectueuse de son territoire et de ses paysages, une ville dans laquelle on peut vivre. Une série de projets matériels et immatériels auront été entamés en ce sens, dans l’idée de refaire de Charleroi une ville agréable comme elle a pu l’être par le passé. Cette cité possède des paysages qui ne sont pas conventionnels, avec ses terrils par exemple, et c’est un réel atout.

Et quels seraient les principaux freins à la réalisation de ces ambitions ?

Une instabilité politique. Cela peut freiner la dynamique. Charleroi a retrouvé la confiance des investisseurs. Il serait très regrettable de brouiller la ligne claire qui a été fixée.

Vous êtes le seul “bouwmeester” wallon. Toutes les grandes villes wallonnes devraient-elles se doter d’une telle fonction ?

Il s’agit d’un choix politique. Mais je pense que les grandes cités devraient se doter d’une équipe menée par un bouwmeester. Il s’agit d’une cellule qui est liée à la Ville mais qui n’est pas attachée à l’administration ou à un cabinet politique. Cette entité a sa propre dynamique. L’idée est de mettre des gens autour d’une table et de travailler ensemble. Quand on fait partie d’une administration, ce n’est pas toujours aussi évident. Tous les grands projets passent entre nos mains. Il faut bien évidemment être, dans la mesure du possible, sur la même ligne que la volonté politique…

(1) Le développement du Left Side Business Park sur le pôle des Finances, la construction du nouvel Hôtel de police, la rénovation du stade, l’aménagement de l’esplanade de la gare, la création d’une Cité des Métiers, l’extension du Palais de Justice, la modernisation du pôle artistique, la requalification des anciennes casernes Trésignies en centre d’animation économique ou encore la rénovation de la Ville Haute.

Propos recueillis par Xavier Attout

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