Bruxelles : le canal, épine dorsale du renouveau urbain

© Atenor

Le défi actuel de la capitale européenne est au logement et à la requalification urbaine. Longtemps oublié, le canal qui la traverse est aujourd’hui en passe de devenir l’épine dorsale de tous les enjeux urbains. Acteurs privés et publics surfent sur le développement de cette zone stratégique et de ses abords.

Non loin de la place Sainctelette, les grues refleurissent aujourd’hui en bordure du canal. Egout à ciel ouvert bordé de chancres d’une époque industrielle révolue, le canal qui traverse la capitale du sud-ouest au nord-est redevient lentement l’épine dorsale de tous les enjeux urbains. Pont entre populations, brassage des cultures et d’événements engagés, passerelle entre quartiers économiquement précaires à revaloriser, cette voie d’eau trop longtemps négligée retrouve aujourd’hui toutes les vertus dans la bouche des responsables locaux communaux et régionaux.

Pourtant, de la coupe aux lèvres, le chemin reste long et semé d’embûches. Et si entre le site de Tour et Taxis – qui accueille la semaine prochaine le salon belge des professionnels de l’immobilier, Realty Brussels – et celui des abattoirs d’Anderlecht, le canal relie bien Molenbeek-Saint-Jean aux quartiers bruxellois du Béguinage, des Quais, Dansaert, de la Senne et Anneessens, il les traverse mais est physiquement perçu comme une barrière, un mur. C’est là son principal problème.

Les causes ? Le niveau d’eau trop bas, la sous-exploitation fluviale passé le Bassin du Port, le peu de passerelles piétonnes agréables à emprunter et des chantiers qui n’en finissent pas… L’accessibilité à celui-ci et la possibilité d’activités directement en lien avec l’eau manquent cruellement, sauf, peut-être, le temps d’un éphémère Bruxelles-les-Bains estival.

Du concret… sur plans

Une série d’initiatives privées courageuses se sont pourtant multipliées ces dernières années. Elles ont su interpeller les résidents et attirer l’attention des pouvoirs publics. Le cumul actuel des projets, leur rapidité à modifier perceptiblement l’image de la ville demanderaient aujourd’hui une étude visionnaire et politiquement réaliste. Pour être efficace à pareille échelle – fort peu maîtrisée jusqu’ici tant par la Région que par la Ville de Bruxelles -, intervenir de manière innovante sur la planification urbaine semble aussi urgent que primordial pour en finir avec l’anarchie.

Du côté des pouvoirs publics, on se dit d’ailleurs – enfin – conscient des enjeux. Les nombreuses initiatives privées n’y sont d’ailleurs pas étrangères, surtout quand elles provoquent un battage médiatique autour de l’identité de certains investisseurs étrangers.

“Le canal est l’échine du développement actuel et futur de Bruxelles”, ose désormais le ministre-président Charles Picqué. Rappelant au passage que, dans le plan régional de développement (PRD), les abords de cette voie navigable représentent déjà une zone au potentiel conséquent, ce dernier ajoute qu’une étude canal débutera fin mai. La Région de Bruxelles-Capitale (Ndlr ; stand Realty 3111) désignera alors l’équipe lauréate, parmi les trois toujours en course suite à l’appel lancé en octobre 2011. Celle-ci planchera alors sur les nouvelles directives à suivre pour construire harmonieusement “vue sur canal” et donner une nouvelle image de la capitale par ce biais. Les différents arrêtés d’exécution du PRAS (Ndlr ; Plan régional d’affectation du sol) démographique, récemment approuvé, devraient également apporter de nouvelles donnes et orientations à ce sujet.

Au niveau des projets privés déjà concrets, si la tour Up-site d’Atenor sort à présent de terre plus vite que son ombre, le quartier durable et son parc de 10 hectares annoncés juste en face sur le site de Tour & Taxis par Project T&T (Ndlr ; stand Realty 3403) semble patiner depuis des mois. On y parle de bras de fer entre Ville de Bruxelles et opérateurs privés autour des affectations programmées dans le copieux permis octroyé voici deux ans déjà, la première exigeant un maximum de logements sur le site.

Sans amertume, Stéphan Sonneville, administrateur délégué d’Atenor, admet que la prise de conscience et la mise à l’étude de la zone du canal par les pouvoirs publics a été trop lente. “Lors de l’achat en 2005 du terrain actuellement en chantier pour Up-site, je ne m’attendais pas à autant de débats sur les tours, un type de construction adapté à la densification du bâti souhaitée ; le boom démographique de la capitale n’était alors pas encore d’actualité… Il a donc fallu énormément de temps pour faire émerger le projet malgré l’apparente réceptivité des politiques. Et je ne peux que déplorer cette lenteur du domaine public par rapport aux initiatives privées des promoteurs qu’ils disent soutenir par ailleurs.”

Egalement dans l’agenda d’Atenor, l’ambitieux projet City Docks (Anderlecht, voir illustration ci-contre) attend les modifications du PRAS et la création de la ZEMU, la nouvelle prescription relative aux zones d’entreprises en milieu urbain, pour se concrétiser. La parcelle de 5 hectares récemment acquise par Atenor pour accueillir son projet est située au Bassin de Biestebroeck ; mais on en reste aux plans sur la comète, même si les projets dévoilés depuis deux ans ont le soutien des autorités communales.

Dans les initiatives-phares, citons encore la rénovation de l’Ecole de la batellerie par la Ville de Bruxelles, la Maison du Port le long du Bassin Beco ou encore la reconversion par la SA Nelson Canal des Brasseries Belle-Vue en hôtel low cost sous enseigne Meininger.

Quand les stars débarquent et donnent le ton

Récemment, le canal bruxellois a même éveillé l’intérêt d’un people français, amoureux de la capitale. L’acteur Christophe Lambert, compagnon de Sophie Marceau, a lui aussi marqué son intérêt pour investir en tant que maître d’oeuvre dans la reconversion de bâtiments le bordant : il a jeté son dévolu sur l’ancienne Brasserie Atlas, sises au coeur de la friche industrielle éponyme, rue Raymond Vander Bruggenà Anderlecht. Et pas d’un oeil distrait : l’acteur, présent récemment sur le site, y allait d’un credo convaincant : “La Brasserie Atlas correspond à une friche industrielle en coeur de ville, désaffectée, désertée, laissée à l’abandon, proposée à la vente ou gelée dans le très hypothétique espoir d’une réindustrialisation. Ces bâtiments, souvent très beaux, mémoire du labeur humain et de l’histoire ouvrière, n’avaient d’autre avenir que la décrépitude ou le passage des bulldozers. Nous les avons investis pour que ces lieux reprennent vie, dans le respect de leur forme et de leur fonction originelle. Avec notre équipe d’architectes menée par Philippe De Bloos, nous allons les transformer en lieu de création, de vie et de travail.”

Si les origines belges de l’acteur expliquent en partie son intérêt, c’est surtout à l’initiative d’un proche qu’il a, dit-il, ouvert les yeux sur les potentialités du site visé. En tout, une petite centaine de logements auxquels seraient incorporés des ateliers pour artistes devraient voir le jour dans l’ancienne tour.

Cette reconversion dans le quartier ne sera d’ailleurs pas un élan ponctuel ; le projet fait partie d’un ensemble baptisé Rives-Anderlecht, porté par l’architecte De Bloos depuis des années et dévoilé en grande pompe au salon Realty il y a deux ans déjà. Plus réaliste aujour- d’hui, et moins Marina floridienne, il promet la réaffectation future et la construction de logements et d’activités économiques sur l’ancien îlot Shell et la pointe du terrain en bordure du canal. Les trois projets conséquents seront portés par une équipe rassemblant au final le bureau Philippe de Bloos Architecture, le promoteur immobilier Project² (basé à Anvers, Paris et Saint-Raphaël), le groupe de construction Denys et la société anonyme Les Rives (Edith Lieckens), à l’origine de cette restructuration ambitieuse.

Trop ? “Les chantiers se feront au compte-gouttes. Si tout se passe comme prévu, se défend Philippe de Bloos assagi, nous déposerons le permis pour les Brasseries en septembre 2012 et celui sur l’îlot Shell début 2013. Le projet situé sur la pointe est certainement le plus délicat et nous attendons les nouvelles orientations du PRAS démographique pour en préciser le programme. Mais c’est un lieu stratégiquement intéressant ; nous y projetons un lieu intermodal connecté au réseau de transports en commun et à l’ancienne gare de Cureghem, que nous voudrions voir revivre ; sans oublier les navettes fluviales…”

Fin 2011 déjà, le bourgmestre local, Gaëtan Van Goidsenhoven, avait planté une double flèche politique à l’attention de la tutelle régionale, actant que “le tout-industriel a montré ses limites” et que “le Sud est toujours la zone sinistrée et oubliée du Canal. Je rêve d’une ville d’eau !”, avait-il conclu, sous forme de slogan. Son objectif affirmé alors : en finir avec la mono-fonctionnalité industrielle imprimée dans l’ancien Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS), qui empêche l’éclosion de projets tels que Rives. Un point de vue proche de celui du nouveau PRAS démographique porté par Charles Picqué. Décidément, le canal rapproche les grands esprits. Reste à voir si le verdict des urnes communales, en octobre prochain, ne mettra pas à mal cet élan local à peine ébauché.

Besix RED et Région : méthode inédite de partenariat

Dans cette dynamique de développements autour du canal, un partenariat public-privé particulier, récemment dévoilé, pourrait donner le ton. Explication : la Région (SLRB) et Besix Real Estate Development (Ndlr ; stand Realty 3121) possèdent des terrains contigus (30 ares chacun) à la Porte de Ninove, un périmètre stratégique laissé depuis plusieurs décennies en désuétude. L’accord inédit qui vient d’être signé entre les propriétaires respectifs des îlots est aussi original qu’évident. “C’est pourtant une première, réagit Charles Picqué : partenaires publics et privés cofinancent un schéma directeur ayant pour but la cohérence urbanistique et architecturale globale du site.”

Côté pouvoirs publics, on est venu en force : Charles Picqué, encore lui, en tant que grand planificateur régional, Christos Doulkeridis, en charge du volet Logement, et le président de la SLRB, Thomas Ryckalts, maître d’ouvrage et propriétaire. Côté privé aussi, on marque le coup : le CEO de BESIX Group en personne, Johan Beerlandt, chaperonne Gabriel Uzgen, le nouvel administrateur délégué de Besix RED.

Dans les faits, l’élaboration du schéma directeur est confiée à la SLRB. L’étude devra ensuite être approuvée par les acteurs pour la fin de l’année 2012. “Les grandes lignes du projet et les implantations des fonctions suivront la logique induite par la disposition du terrain, en s’écartant si nécessaire de la propriété stricte des maîtres d’oeuvre. L’innovation – si on parvient à un accord commun – réside dans l’échange éventuel de parcelles entre les deux îlots en vue de correspondre aux lignes établies par le schéma directeur et de proposer le meilleur projet sur l’ensemble des 60 ares de terrain”, promettent les partenaires. Deux permis de bâtir, qui traduiront ces objectifs, seront alors introduits. Chacun, en restant maître d’oeuvre et propriétaire de sa parcelle, fera appel à ses propres architectes tout en jouant la concertation.

“A la base, il ne s’agit pas réellement d’un partenariat, mais plutôt d’une volonté mutuelle de colmater une fracture”, précise d’emblée Gabriel Uzgen. Au niveau du logement, Besix RED se dit d’ailleurs en mesure de proposer des prix modérés tout en optimalisant ses revenus. A priori, pour positionner le lieu commercialement, on jouera la carte de sa proximité avec le centre-ville, plus porteuse que celle avec Molenbeek. Les objectifs de l’étude seront néanmoins décisifs.

Pour Charles Picqué, ce projet tiendra la route si et seulement si un principe win-win équilibré se construit et si personne ne se fait “avoir” dans l’aventure commune. Tous veulent en tout cas croire en cette nouvelle “colle” urbanistique à prise rapide. Mais le chantier n’est prévu que pour 2016. Et Johan Beelaandt rappelle avoir acheté le terrain il y a 10 ans déjà. Il sourit jaune en évoquant l’autre moitié de décennie à attendre encore avant de voir les fondations sortir de terre…

Où l’on martèle les priorités régionales actuelles

Enoncées dans le projet de la Porte de Ninove, les priorités de la Région semblent désormais se concrétiser, surtout dans la bouche de Christos Doulkeridis : proposer du logement, du logement et encore du logement, qu’il soit défini comme social, moyen ou privé ; les trois de concert, si possible. Cette donne est valable pour tout projet bruxellois désormais. Le secrétaire d’Etat au Logement ira d’ailleurs le répéter aux professionnels présents durant le salon Realty, le mardi 23 mai prochain.

Au niveau du tertiaire, la mixité est devenue le maître-mot pour tolérer encore de nouveaux développements de bureaux. Leur reconversion est en outre un pari plus que bienvenu pour tout promoteur privé prêt à se lancer dans l’aventure. Besix RED, encore lui, se dit preneur : “Nous avons le feu vert de l’administration pour développer ce créneau. Nous pourrons acquérir d’ici peu – grâce aux fonds propres du groupe – deux ou trois immeubles de bureaux, encore en location pour une courte période, pour les réhabiliter en logements, si tel est toujours la tendance de fond dans les années à venir”, annonce Gabriel Uzgen, qui vient de rater de peu une première opportunité de reconversion à Auderghem, boulevard du Souverain. Un autre “canal” terrestre urbain en pleine mutation…

Philippe Coulée et Cécilia Vandernoot

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