“Arrêtons de discriminer le logement neuf”

Bruxelles vue du ciel. © Belga

Trends-Tendances a rassemblé quatre acteurs-clés du développement immobilier bruxellois. Avec comme objectif de faire le point sur les grands enjeux actuels de la capitale. On y relève que si le pipeline de logements est bien rempli, le marché sanctionne de plus en plus rapidement les erreurs de casting. Alors que la suroffre semble guetter le marché haut de gamme. Tour d’horizon.

A quatre, ils pèsent près de 3.000 logements en développement de la capitale. Ils font donc partie des principaux acteurs du marché immobilier bruxellois. Trends-Tendances a réuni autour de la table Nicolas Orts, CEO d’Eaglestone, Fréderic van Marcke de Lummen, directeur du développement Belux chez Besix Real Estate Development, Adel Yahia, directeur du développement résidentiel chez AG Real Estate et Benjamin Cadranel, administrateur général de citydev.brussels.

TRENDS-TENDANCES. Quelque 3.000 logements publics et privés doivent sortir de terre chaque année pour répondre à la demande et au défi démographique. Si les promoteurs semblent tenir le rythme, ne se trompent-ils pas de cible en ne se concentrant que sur le haut de gamme, favorisant une possible suroffre ?

FRÉDÉRIC VAN MARCKE. La mission d’un promoteur immobilier professionnel est de proposer de bons produits aux bons endroits et d’anticiper la demande du marché. Aucun n’a intérêt à se tirer une balle dans le pied en se trompant de cible. Vu ce constat, je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui à Bruxelles un risque de suroffre.

ADEL YAHIA. Je tempérerais quelque peu vos propos. J’estime qu’il faut faire attention. La difficulté est que le marché bruxellois n’est pas homogène. Il y a 19 communes, 115 quartiers et donc des logiques démographiques très différentes. Près de 5.000 unités sont par exemple en développement à Anderlecht. Ce qui serait disproportionné dans une autre commune. Sans parler du fait que le marché bruxellois n’est pas homogène puisque le m2 peut se vendre entre 2.600 et 6.000 euros en fonction des quartiers.

Avec des commercialisations plus aisées que d’autres…

ADEL YAHIA. Oui, mais nous ne sommes toutefois plus sur un marché où tous les projets marchent et à tout moment. Il y a 10 ans, il y avait des promoteurs de bureaux, de retail et de résidentiel. Ce dernier marché était le moins professionnalisé. Aujourd’hui, tout le monde travaille sur le volet résidentiel. Et ce sont ceux qui sont les plus professionnels et qui savent gérer la commercialisation des biens qui sortent du lot. Cette professionnalisation a entraîné une concentration de grands acteurs. Notons que si le marché reste stable pour le moment avec une demande annuelle de 3.000 logements et une offre de 2.500 à 3.000 logements, le pipeline est par contre énorme. Et là, il faut être certain que le marché s’adapte à la demande. Aujourd’hui, le marché est à l’équilibre : si on propose un bon produit à un prix correct, cela se vend.

BENJAMIN CADRANEL. Il faut rappeler que l’attrait pour le résidentiel est surtout lié à des décisions politiques qui ont encouragé ce développement. Pour des acteurs publics comme citydev, ce qui est important, c’est de ne pas se tromper sur le type de logement à développer et sur sa localisation. Si on laisse faire les acteurs privés, ils vont aller vers le type de bien le plus rentable. Les pouvoirs publics doivent donc réguler cette offre. Par le biais de charges d’urbanisme ou d’acteurs comme nous qui proposons des logements conventionnés à des profils moins favorisés.

NICOLAS ORTS. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que le marché peut être impitoyable. Certains projets fonctionnent très bien et d’autres beaucoup moins. Et cela se joue parfois à quelques dizaines de mètres. Avec un concept, une programmation et une politique de prix différentes, on peut passer à côté de la cible. Certains promoteurs s’en sont mordus les doigts.

ADEL YAHIA. Une nouveauté, c’est que le client a aujourd’hui la possibilité de faire son shopping quand il veut acheter un appartement. Il dispose de tous les prix des projets neufs et est beaucoup plus critique. Si un promoteur propose des appartements plus chers et moins bien agencés, il doit disposer de bons arguments pour convaincre le client. Il y a cinq ans, il y avait moins de concurrence. Rien qu’à Bruxelles-Ville, il y a par exemple actuellement plus d’une douzaine de projets en phase de commercialisation.

NICOLAS ORTS. La sanction du marché est de plus en plus sévère. A l’avenir, les bons programmes vont continuer à se commercialiser mais ceux qui ne correspondent pas aux attentes seront sanctionnés. C’est-à-dire qu’ils connaîtront une commercialisation très lente et un nivellement vers le bas au niveau des prix.

De plus en plus de voix s’élèvent pour décrier le fait que les promoteurs n’adaptent pas suffisamment l’offre au marché en matière de logements neufs, en proposant des appartements trop spacieux et donc trop chers. Ne doit-il pas y avoir une remise en question des promoteurs sur ce plan ?

FRÉDÉRIC VAN MARCKE. Non, je ne pense pas. Nous avons déjà tendance à proposer des logements plus petits et de privilégier les unités d’une ou deux chambres. Les appartements de trois ou quatre chambres ont de moins en moins la cote.

ADEL YAHIA. Sur les 3.000 logements qui sortent de terre chaque année, la majorité va à des ménages monoparentaux. Il est donc nécessaire de produire davantage d’appartements d’une et deux chambres. Pour y parvenir, il serait toutefois intéressant de revoir les limites qui existent en matière de superficie minimale de logement. Ces barrières sont parfois inadaptées. Cela permettrait de proposer des logements mieux agencés.

BENJAMIN CADRANEL. La vraie réflexion aujourd’hui est liée aux nouvelles formes d’habitation. L’espace en ville n’est pas extensible. Il faut offrir d’autres alternatives, telles que des commodités, des performances énergétiques ou encore des espaces communs. Il faut être créatif. La proximité des services est également un atout qu’il faut mettre en avant.

FRÉDÉRIC VAN MARCKE. Il faut en effet être plus inventif pour sortir du lot. On parle de plus en plus de cohousing/ colocation, de logement communautaire, d’habitat accompagné (intergénérationnel – kangourou – logement à assistance). Nous devons aussi nous adapter à cette tendance. D’autant que le rapport à la propriété évolue également, ce qui entraînera d’autres mutations.

ADEL YAHIA. Je pense que nous allons évoluer dans cette direction d’une manière assez automatique car les projets deviennent de plus en plus grands et les acteurs sont de plus en professionnels. Si l’on souhaite finaliser un projet de 250 unités endéans les trois à cinq ans, il faut obligatoirement diversifier l’offre. Ce qui nécessite de créer des espaces de vie de qualité.

Quand on voit les 10 quartiers prioritaires définis par le Région, la zone du Canal ou encore les friches ou lieux désaffectés, peut-on vraiment dire que Bruxelles manque de foncier ?

NICOLAS ORTS. Oui, car il y a actuellement à Bruxelles un phénomène de rareté du foncier de qualité.

BENJAMIN CADRANEL. Pour citydev, l’accès à un foncier accessible est aussi de plus en plus compliqué. Cela nous pousse à réfléchir à d’autres manières de créer du logement dit accessible.

ADEL YAHIA. Quand on regarde l’évolution du prix payé par les promoteurs pour le foncier ces cinq dernières années, on voit clairement qu’il a été multiplié par deux. Nous ne pouvons continuer à ce rythme. Cela a évidemment une conséquence sur le prix final d’un logement, d’autant qu’il faut également ajouter la réglementation PEB, qui gonfle l’addition.

La démolition-reconstruction est-elle devenue l’activité principale des promoteurs aujourd’hui à Bruxelles ?

FRÉDÉRIC VAN MARCKE. Il y a de moins en moins de terrains nus. C’est pourquoi la réhabilitation de bureaux en logements fait partie des solutions pour créer de nouveaux logements à Bruxelles. Mais ces rénovations sont coûteuses et ne rendent pas les logements meilleur marché. Il y a clairement une pression sur le foncier et le foncier de qualité se paie cher.

BENJAMIN CADRANEL. Et cela entraîne bien évidemment une tendance à la densification, qui a d’autres avantages. C’est une manière de diminuer l’incidence foncière des projets.

ADEL YAHIA. AG Real Estate, qui a toujours été un grand développeur de bureaux, assiste aussi à cette évolution. Jusqu’il y a peu, quand un bail se terminait, on se disait presque automatiquement qu’on le renouvelait. Aujourd’hui, dans une majorité des cas, on analyse aussi le redéveloppement des immeubles de bureaux en logements. C’est une tendance assez récente.

“Il faut sanctionner les recours abusifs”

TRENDS-TENDANCES. Le logement neuf est-il discriminé par les politiques ?

ADEL YAHIA. Oui. Surtout au niveau du PEB. Quand on compare le niveau d’exigence entre les nouvelles constructions et les habitations anciennes, la différence est flagrante. Les pouvoirs publics sont beaucoup plus stricts avec le neuf. Pour l’ancien, on peut presque faire ce que l’on veut sans être sanctionné…

BENJAMIN CADRANEL. La difficulté est que la TVA est une compétence fédérale. Or, si on ne peut jouer sur le levier de la TVA, on accentue la différence entre le neuf et le secondaire. C’est un levier intéressant. Nous le savons bien puisque citydev peut construire ses logements neufs acquisitifs à un taux réduit de 6 %. Enfin, n’oublions que le neuf est également désavantagé en matière de revenus cadastraux et des taxes immobilières.

FRÉDÉRIC VAN MARCKE. Un autre frein important en Belgique est la hauteur des droits de mutation. Vu l’évolution de la société, il faudrait envisager que les habitants d’une copropriété puissent changer de logement en fonction de l’évolution de leurs besoins. Que l’on soit célibataire, en couple avec ou sans enfant ou encore une personne âgée, on n’a pas besoin du même nombre de chambres. On devrait offrir une plus grande flexibilité dans la mutation. La portabilité des droits d’enregistrement devrait vraiment être envisagée.

NICOLAS ORTS. D’où l’intérêt de faire évoluer la fiscalité de même que d’offrir au sein d’un complexe résidentiel une certaine flexibilité d’occupation en fonction de l’évolution de la cellule familiale.

Que pensez-vous de la réforme du bonus logement bruxellois ?

FRÉDÉRIC VAN MARCKE. Cela va dynamiser le marché d’ici à la fin de l’année. On peut également s’attendre à une certaine attractivité en 2017 avec l’augmentation de l’abattement sur les droits d’enregistrement. Ces deux éléments soutiendront la demande.

BENJAMIN CADRANEL. Il faudrait en tout cas éviter que cet abattement fiscal entraîne une hausse des prix…

Les recours devant le Conseil d’Etat sont un vrai frein pour les promoteurs car ils retardent les projets. Faut-il envisager une évolution en la matière ?

FRÉDÉRIC VAN MARCKE. Le droit au recours doit subsister. C’est incontestable, c’est un droit démocratique. Par contre, le Conseil d’Etat doit se prononcer dans des délais beaucoup plus courts qu’aujourd’hui. La situation actuelle est extrêmement pénible et préjudiciable pour tous. Il faudrait également avoir la possibilité de se retourner contre les citoyens qui introduisent des recours abusifs et sans fondements. Un mécanisme de sanction devrait être introduit dans ces cas-là.

NICOLAS ORTS. Ce point de vue est partagé. On se rend bien compte qu’il y a des démarches complètement abusives. Savez-vous qu’il n’est même pas nécessaire d’habiter la commune pour introduire un recours, c’est quand même particulier. La seule manière de sensibiliser la personne qui introduit un recours est d’avoir un effet contraignant si le recours est abusif.

ADEL YAHIA. Sur ce point-là, l’intérêt général et l’intérêt particulier sont en jeu. Le promoteur est dans un intérêt particulier puisqu’il assume les risques seul mais dans un intérêt général par rapport à l’impact de son action. Et le rapport de force est parfois démesuré. Surtout que contrairement à ce que l’on croit, les marges financières des promoteurs ne sont pas énormes.

PROPOS RECUEILLIS PAR XAVIER ATTOUT

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