Yahoo! plie mais ne rompt pas

© Montage Bloomberg

Carol Bartz, actuelle CEO de Yahoo!, fête ses deux ans à la tête de la firme américaine. Elle est parvenue à enrayer la chute du chiffre d’affaires et à faire remonter le cours de l’action, et se veut optimiste pour 2012. Face à la concurrence de Google et Facebook, son entreprise semble néanmoins larguée.

Fin 2010, Yahoo! annonce le licenciement de 600 personnes, soit 4 % de ses effectifs. Dans le même temps, l’entreprise met en vente Delicious, le site de gestion de favoris racheté par Yahoo! en 2005. Plusieurs sites spécialisés vont même plus loin, publiant un slideshow interne à l’entreprise qui annonce la disparition programmée de toute une série de services connexes, tels Altavista, MyBlogLog, Yahoo! Bookmarks, Yahoo! Buzz ou encore Yahoo! Picks.

La firme, créée en 1994 par Jerry Yang et David Filo, se sépare-t-elle opportunément de services inutiles ou s’enfonce-t-elle chaque jour un peu plus dans les profondeurs de la toile, au profit de ses concurrents ?

Les chiffres semblent en tout cas cruels pour Yahoo!. En 2009, ses sites étaient encore les plus visités aux Etats-Unis, avec une part de marché de 10,6 %. Signe des temps, Facebook et Google ont dépassé en 2010 cette ancienne perle du Web. Selon Experian Hitwise, Yahoo! ne comptabilisait plus cette année que 8,12 % des visites US, derrière Facebook (8,93 %) et Google (9,85 %). Le mot-clé “yahoo” pourrait même prochainement être éjecté du Top 10 des plus recherchés sur le net. En 2010, il ne se classait plus que huitième alors que le groupe plaçait encore l’année précédente “yahoo mail” en cinquième et “yahoo” en septième position.

L’année dernière, Yahoo! a aussi essuyé quelques échecs cuisants dans sa politique d’achats. Le site de géolocalisation Foursquare aurait tout d’abord refusé une offre à 100 millions de dollars. Groupon, le site d’achat groupé, aurait également rejeté un chèque situé entre 3 et 4 milliards de dollars. On se souviendra qu’en son temps, Yahoo! s’est déjà cassé les dents sur Facebook, Google et YouTube, trois acteurs du Web devenus surpuissants. En 2010 toujours, Yahoo! a aussi fait l’objet de rumeurs de rachat incessantes. En octobre, selon le Wall Street Journal, les fonds d’investissement Silverlake Partners et Blackstone auraient approché AOL pour préparer le rachat de Yahoo!. Le groupe de Rupert Murdoch, News Corp, aurait aussi été contacté. Un peu plus tôt dans l’année, le New York Post affirmait que le fonds d’investissement KKR s’était lui aussi penché sur le dossier.

L’entreprise semble au creux de la vague. Peut-elle rebondir ? “Yahoo! a dû faire face ces deux dernières années à une situation économique difficile et un environnement concurrentiel féroce, situe Hadley Reynolds, directeur search & digital marketplace technologies chez IDC. Dans ce contexte, la principale réussite de la direction est d’avoir arrêté la chute du chiffre d’affaires.”

Arrivée voici pile deux ans à la tête de l’entreprise en remplacement de Jerry Yang (qui aura tenu à peine un an pour son retour à la tête de son “bébé”), Carol Bartz n’est pas encore parvenue à redresser la barre, mais elle a réussi à stabiliser le navire. Selon les derniers résultats publiés fin octobre, le chiffre d’affaires de Yahoo! au troisième trimestre 2010 affiche 1,60 milliard de dollars, ce qui représente une hausse de 2 % par rapport à 2009. L’entreprise s’est aussi félicitée de la forte augmentation de ses bénéfices, qui ont atteint 396 millions de dollars au troisième trimestre 2010. Soit plus du double des 186 millions de dollars du troisième trimestre 2009. Mais ces chiffres s’expliquent largement par la vente du site Hotjobs à Monster pour 225 millions.

La chance de Yahoo! est passée en 2008

Quant au cours de Bourse, il a repris de la vigueur depuis l’arrivée de Carol Bartz à la tête de la société. “Le cours progresse, mais beaucoup moins vite que le reste du marché, pointe l’analyste Hadley Reynolds. Ce n’est pas un investissement en or.” En date du 7 janvier, le cours de l’action Yahoo! valait 16,90 dollars. Quand Carol Bartz a pris ses fonctions, le 14 janvier 2009, il affichait 12,41 dollars. La progression est réelle, mais on est loin du prix que Microsoft était prêt à mettre sur la table en 2008 pour acquérir la maison Yahoo!. L’entreprise créée par Bill Gates avait alors fait une proposition basée sur un prix de 31 dollars par action, soit la somme rondelette de 45 milliards de dollars. Le CEO de l’époque, Jerry Yang, avait refusé net. “Ils ont laissé passer une opportunité”, commente sobrement l’analyste américain.

Lorsqu’elle a repris la direction Yahoo!, Carol Bartz, n’a pas souhaité relancer les négociations pour un rachat, refusant de “dépecer” la firme. A la place, elle a préféré £uvrer dans le sens d’un rapprochement stratégique avec Microsoft. Le partenariat mis en place concerne le moteur de recherche de Yahoo!, qui utilise désormais la technologie de Bing (le moteur de Microsoft). Les régies publicitaires sont quant à elles amenées à fusionner. Seule la présentation des résultats reste un domaine réservé pour chacun des deux partenaires. Le rapprochement vient de se concrétiser aux Etats-Unis. L’Europe devrait suivre début 2011. Objectif de la manoeuvre : tenter de concurrencer Google, qui semble actuellement hors d’atteinte dans le créneau du search, avec 66,2 % de parts de marché aux Etats-Unis (données Comscore, novembre 2010). Alors qu’à peine 16,4 % des internautes américains font encore confiance à Yahoo!, qui ne cesse de chuter : 22,4 % en 2007 ; 20,4 % en 2008 ; 17,5 % en 2009.

Le partenariat avec Bing colle avec l’objectif de rationalisation poursuivi par la CEO depuis son entrée en fonction. Carol Bartz, qui estime pouvoir économiser 700 millions de dollars par an grâce à cette alliance, n’a en effet cessé de clamer que l’entreprise devait à tout prix gagner en efficacité et supprimer les doublons à tous niveaux. “Elle a réussi à imposer une bonne discipline dans le management, ce qui faisait clairement défaut avant son arrivée”, atteste Hadley Reynolds. Ce changement ne s’est pas fait sans casse au niveau du personnel. Pour la troisième fois en deux ans, l’entreprise vient de se séparer d’une partie de son personnel. Difficile de motiver les troupes dans un tel contexte… “C’est l’un des grands défis de Carol Bartz, poursuit le spécialiste. Pour être compétitive par rapport à Google, Microsoft ou Facebook, elle doit être capable de retenir ses talents, mais aussi d’en attirer de nouveaux.”

Redécollage de Yahoo! en 2012 ?

L’analyste d’IDC est persuadé que Yahoo! a encore quelques belles cartes à jouer dans les prochaines années. Contrairement à Google ou Facebook, Yahoo! a en effet depuis ses débuts investi dans le contenu mis à disposition de ses visiteurs. La firme US peut aussi compter sur les piliers que sont Flickr, le populaire site d’échange de photos, et Yahoo! mail, qui comptabilise quelque 275 millions d’adeptes.

Mieux : d’après Hadley Reynolds, la valeur de la société ne se refléterait pas totalement dans le cours de l’action. Les investissements réalisés à l’étranger (participation de 40 % dans Alibaba, le champion chinois de l’e-commerce pour les entreprises ; partenariat au Japon avec… Google, l’ennemi juré) ne seraient pas suffisamment pris en compte par les marchés, assure l’analyste.

Nul doute que Carol Bartz n’en pense pas moins, elle qui a demandé un an de plus avant d’être jugée sur sa stratégie, comme le rapportait récemment le quotidien français Les Echos. “Yahoo! sera une hot company en 2012″, a-t-elle assuré lors d’une conférence organisée à New York par Bloomberg Businessweek. Le monde du Web l’attend au tournant.

Gilles Quoistiaux

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