Voyage au c½ur de l’empire Huawei

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Fort déjà de 28 milliards de dollars de chiffre d’affaires, le premier équipementier télécom chinois affiche des ambitions à faire trembler Alcatel-Lucent, Cisco et Hewlett-Packard… Reportage dans la ville Huawei, à Shenzhen, où il emploie 30.000 salariés.

Dans une atmosphère chaude et brumeuse, le minibus file sur la voie rapide ceinturant Shenzhen, modeste bourgade de pêcheurs du sud de la Chine devenue, en trente ans, une agglomération de 15 millions d’habitants. “Huawei“, indique la sortie d’autoroute. Inconnu du grand public français, ce nom est celui du premier équipementier téléphonique chinois. Né à Shenzhen, où il emploie 30.000 salariés, le groupe industriel créé en 1988 par Ren Zhengfei, un ancien cadre de l’armée de libération du peuple est devenu un mastodonte de 28 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Lancé à grande vitesse à la conquête du monde, il ouvre ses portes. Dans une opération séduction destinée à la communauté financière et aux médias, le nouveau géant chinois des télécoms veut se donner à voir comme une entreprise innovante, mondialisée, transparente.

A Shenzhen, le géant industriel n’occupe pas un simple bâtiment mais une véritable ville, qui se déploie sur des centaines d’hectares. Planté de 10.000 arbres, agrémentés de pelouses impeccables, de massifs de fleurs et de lacs artificiels, le ” campus ” réunit une dizaine de bâtiments au design affirmé, dans des styles variés : architecture ultramoderne de verre et de béton, portiques blancs façon Nouvelle Angleterre, pavillons chinois copiant l’époque Qing. Un cadre sophistiqué, destiné aux cols blancs qui forment l’essentiel des salariés du groupe.

Contrairement à son voisin Foxconn, le fabricant de composants électroniques dont les logements ouvriers alignent des façades sinistres sur des kilomètres, Huawei emploie 95% d’ingénieurs. Leurs salaires sont quatre fois inférieurs à ceux de leurs homologues européens ou américains, mais les jeunes diplômés – qui passent plusieurs mois à se former dans l’un des bâtiments du campus – se bousculent pour rejoindre une entreprise ultra performante (3,6 milliards de dollars de résultats en 2010), qui soigne ses employés : logements pour les jeunes recrues, cours de piano, de dessin, de gymnastique… Entrer chez Huawei, c’est aussi la perspective de rejoindre un jour la caste privilégiée (réservée, pour des raisons juridiques, aux citoyens chinois) des 60.000 salariés-actionnaires qui se partagent le capital du groupe et peuvent ainsi doubler leur salaire chaque année.

La R&D emploie près de la moitié des salariés de Huawei

Ces bataillons de salariés, très jeunes pour la plupart (la moyenne d’âge est de 29 ans) travaillent pour la plupart à créer les produits et les services de demain. Sur les 110.000 salariés, la moitié (50.000) travaillent en recherche et développement. L’un des trois premiers dépositaires de brevets au monde, l’équipementier chinois a en effet mis l’innovation technologique au coeur de sa stratégie. Composants et produits passent par un centre logistique sophistiqué, où la quasi totalité des opérations sont robotisées. Ils subissent les pires traitements dans un centre de test. Dans un show room de la taille d’un aéroport, les derniers avatars de cette machine à innover sont savamment mis en scène : stations de téléphonie mobile fonctionnant à l’énergie solaire ou éolienne, salle de téléconférence avec écrans plats, boîtiers internet, smartphones…

Ces développements viennent alimenter la boulimie de conquête de Huawei. L’entreprise de Shenzhen a déjà pris la deuxième place mondiale dans les réseaux de téléphonie, où elle détient 20% du marché, devant Alcatel et derrière Ericsson. Mais Huawei n’entend pas en rester là : devant un parterre d’analystes télécom internationaux, le directeur commercial Richard Xu a annoncé mi-avril à Shanghai que le groupe visait 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans dix ans. Rien que cela. Pour ce faire, l’équipementier mise sur la vente de terminaux (clés, téléphones mobiles) et le service aux entreprises, à qui il propose notamment une offre de “cloud computing“, un système permettant de stocker et gérer à distance les données des serveurs. Cette technologie équipe déjà les 6.000 postes du ” petit ” centre de R&D de Shanghai, un bâtiment d’un kilomètre de long où turbinent 6.000 ingénieurs.

Après sa victoire dans les réseaux téléphoniques, le jeune géant chinois s’apprête donc à affronter directement les géants Cisco et Hewlett-Packard. Pour affronter ses prochains combats, il devra prendre garde à son talon d’Achille : la transparence. Alors qu’un groupe de parlementaires américains est monté au créneau pour dénoncer les liens entre Huawei et l’Etat chinois, le groupe nie, affirme qu’il est ” 100% privé ” et qu’il compte entrer en Bourse. Cette bataille-là sera sans doute plus délicate que les autres.

Delphine Déchaux, L’Expansion.com

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