” Un iPhone devrait durer dix ans “

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Kyle Wiens est le patron d’iFixit, site Internet spécialisé dans la réparation de produits Apple. Il fustige les méthodes de fabrication de la firme, qui rendent certains engins impossibles à réparer… et qui forcent le consommateur à acheter un nouveau produit.

Kyle Wiens a créé en 2003 le premier site proposant des manuels de réparation pour produits électroniques. Spécialisé dans les produits Apple, iFixit a déjà mis 6.000 manuels à disposition des internautes. La société, basée aux Etats-Unis, compte 35 employés et génère 5,8 millions de dollars de chiffre d’affaires. Elle tire ses revenus de la vente de pièces détachées et d’outils spécialement créés pour la réparation de smartphones, tablettes, PC, consoles de jeux, etc. 35 % de ses visiteurs sont concentrés en Europe. Le site a totalisé 250.000 visites d’internautes belges depuis le début de l’année.

Kyle Wiens a un avis particulièrement affûté sur ce que l’on appelle l’obsolescence programmée, cette technique utilisée par certains fabricants pour rendre leurs produits inutilisables après un certain temps, afin de pousser le consommateur à acheter du neuf. Il était en visite en Belgique la semaine dernière, dans le cadre de son activité de lobbying en faveur des filières de recyclage de produits électroniques. Nous l’avons rencontré à Anvers, où il rencontrait des cadres d’Umicore, société belge active dans le recyclage de batteries.

Apple utilise-t-elle l’obsolescence programmée comme stratégie commerciale ?

Toutes les entreprises le font. Lorsque certains smartphones Android ne vous permettent pas de mettre à jour le système d’exploitation, c’est une manière de planifier l’obsolescence. Quand Apple produit un smartphone dont on ne peut pas augmenter la mémoire, c’est de l’obsolescence programmée. Si Apple ne permet pas de remplacer la carte mémoire de ses appareils, c’est parce que l’entreprise préfère que vous achetiez un nouveau téléphone. Et si vous voulez plus de mémoire, il faut payer au moment de l’achat. La différence de prix entre l’iPad 16 GB et 64 GB est de 200 euros : c’est énorme, quand on sait que pour Apple, cette différence de capacité ne coûte que 7 dollars !

Mais Apple planifie-t-elle sciemment l’autodestruction de ses appareils au-delà d’une certaine durée d’utilisation ?

Il faut bien faire la différence entre l’obsolescence programmée et la défaillance planifiée. Le cartel de l’ampoule (lire le dossier Programmés pour mourir dans le Trends-Tendances du 8 novembre, actuellement en librairie), c’est de la défaillance planifiée : les entreprises se sont mises d’accord pour qu’après 1.000 heures, l’ampoule rende l’âme. La batterie d’un appareil Apple, c’est de l’obsolescence programmée. Elle va durer environ 300 charges pour un iPhone et 1.000 charges pour un iPad, ce qui est déjà très innovant. Et Apple, comme les autres constructeurs, nous dit qu’elle fait de son mieux pour améliorer la durée de vie de leurs batteries. Je veux bien leur laisser le bénéfice du doute. Mais le problème, c’est qu’Apple fabrique le produit de telle façon qu’il soit impossible pour le consommateur de remplacer sa batterie. C’est comme vendre une voiture dont vous ne pouvez pas remplacer les pneus. Ou une imprimante dont vous ne pouvez pas remplacer la cartouche d’encre. Cela revient à fabriquer un produit consommable ou jetable.

Combien de temps devrait pouvoir durer un téléphone portable ?

Les portables devraient durer tant qu’il existe un réseau de télécommunication sur lequel ils peuvent fonctionner, c’est-à-dire des antennes, des connexions, etc. Ces équipements changent environ tous les 10-15 ans. Donc selon moi, les téléphones devraient pouvoir fonctionner pendant 10 ans.

Allez-vous utiliser votre iPhone pendant 10 ans ?

Non, moi pas. Mais quand j’en achèterai un autre, je vendrai celui-ci à quelqu’un d’autre, qui le revendra à son tour. Le premier iPhone se vend 75 dollars sur le marché de l’occasion, pour 600 dollars à l’origine. Il a donc encore une valeur économique significative. Pour limiter la production de déchets électroniques, nous devons organiser le transfert de technologie entre les consommateurs.

Quel est l’impact écologique de la filière des smartphones ?

La plus grande part de l’impact environnemental se situe au niveau de la production. Pourtant, nous ne le voyons pas. Ce n’est pas chez Foxconn, où l’on assemble les pièces de l’iPhone, que cela se passe. C’est en amont, au niveau de l’extraction des composants. Aujourd’hui, 20 % des terres arables sont contaminées par des métaux lourds. 90 % des terres rares, qui servent à la fabrication des produits électroniques, et qui viennent majoritairement de Chine, ne sont pas recyclées. La seule chose que l’on recycle actuellement, notamment chez Umicore, c’est la batterie. Nous avons deux options pour réduire l’impact environnemental de la production de smartphones : soit réduire la quantité de cuivre dans les machines, soit réduire le nombre de smartphones produits. En 2012, pas moins de 2,2 milliards de téléphones portables seront produits dans le monde, pour une population de 7 milliards de personnes. Je ne veux pas d’une planète qui produit un téléphone portable par habitant et par an, mais c’est pourtant vers cela que nous nous dirigeons.

Comment avez-vous eu l’idée de créer iFixit ?

J’essayais de réparer mon iBook (ordinateur portable d’Apple, ndlr), quand j’étais en première année à l’université. Je suis allé chercher des instructions de réparation sur Internet. Je n’ai rien trouvé. En fait, les manuels Apple ne sont pas consultables sur Internet et personne n’en reçoit lors de l’achat d’un produit. Si un manuel se retrouve en ligne, Apple le fait immédiatement retirer par ses avocats. Tout simplement parce qu’Apple ne veut pas que le consommateur sache comment réparer soi-même son produit. Donc, comme je ne trouvais pas d’instructions de réparation, j’ai décidé de démonter mon appareil. C’est comme ça que m’est venue l’idée de proposer des manuels de réparation en ligne et de vendre des pièces détachées et des outils permettant le démontage et la réparation de produits électroniques.

Est-il possible de remplacer la batterie d’un produit Apple ?

Cela dépend du design du produit. Originellement, il était possible de remplacer facilement la batterie du MacBook Pro. Ensuite, Apple a mis une dizaine de vis. En 10-15 minutes cela restait faisable. Maintenant, Apple met des vis propriétaires et colle la batterie avec une glue spéciale. La batterie devient quasiment impossible à remplacer par un utilisateur lambda. Elle est de plus très difficile à recycler, puisqu’il faut séparer l’aluminium de la batterie. Cela dit, Apple a un programme de remplacement de batterie pour l’ensemble de sa gamme. Mais quand on regarde les tarifs, on est parfois étonné. L’iPod Shuffle, l’iPod le moins cher, coûte 49 dollars aux Etats-Unis. Pour remplacer la batterie de ce produit, Apple facture… 49 dollars. Et il est presque impossible de remplacer cette batterie soi-même. Donc, on peut dire que c’est un produit conçu pour être jeté quand la batterie rend l’âme, c’est-à-dire après 300 charges.

Est-il possible de changer la carte mémoire d’un iPad afin d’augmenter ses capacités ?

Non. Il faut une chambre stérile et une machine particulière pour détacher les différentes pièces. Personne ne le fait.

Le bris de la vitre de l’iPhone ou de l’iPad est l’accident le plus fréquent. Est-il compliqué de remplacer cette pièce ?

La vitre de l’iPad est difficile à remplacer. Cela prend 45 minutes à un technicien expérimenté et 1h30 à un novice. L’objectif d’Apple est de rendre la réparation la plus compliquée et la plus chère possible.

Les smartphones et les tablettes sont de plus en plus fins, pour des raisons de design. Du coup, tous les composants sont de plus en plus imbriqués dans un petit espace. N’est-ce pas ce qui explique les difficultés de réparation ?

C’est un choix qui appartient aux consommateurs. Apple vend aujourd’hui deux types de MacBook pro. Un MacBook Pro très fin, très intégré, où tous les composants sont collés ensemble. Et un autre que l’on peut intégralement démonter, mais qui est plus épais et plus cher. Sur notre site, nous avons donné à ce produit une des meilleures notes en termes de réparabilité. Apple donne donc le choix au marché, ce qui est assez intéressant. On verra ce que le consommateur choisira, mais j’ai déjà ma petite idée.

Finalement, l’obsolescence programmée, c’est la faute du consommateur ?

Le consommateur porte une partie de la responsabilité. Chez iFixit, nous appelons cela le design anorexique : le consommateur veut des produits de plus en plus fins, à tout prix. Mais il y a un coût environnemental et sociétal à tout ça. Apple devrait produire 150 millions d’iPhones 5. En lançant régulièrement de nouveaux produits plus attirants, la firme a trouvé une façon de rendre ses propres produits obsolètes. Quand un nouveau produit arrive, le précédent va à la poubelle ou dans un placard. Selon certaines estimations, un milliard de portables sont stockés dans les placards des Américains. Ils ne sont pas encore à la poubelle, mais c’est là qu’ils iront un jour.

Propos recueillis par Gilles Quoistiaux

Lire l’intégralité du dossier “Programmés pour mourir” dans le Trends-Tendances du 8 novembre 2012. Actuellement en librairie.

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