Pourquoi HP jette l’éponge

© Reuters/David Gray

HP abdique sur les tablettes et les smartphones, et ne croit plus au PC. Voilà un revirement stratégique, seulement un an après le rachat de Palm et moins de deux mois après le lancement du TouchPad. Que peut-il sortir de ce grand chambardement?

Résumons la situation: en l’espace d’une semaine, HP est devenue une entreprise de services, et Google vend maintenant du hardware. L’annonce par HP de l’arrêt des développements de matériel grand public sous WebOS (tablette TouchPad, smartphones Pre) et de la scission envisagée de l’activité PC, et l’acquisition par Google de Motorola, marquent pour bon nombre d’observateurs l’entrée dans l’ère “post-PC”. Une nouvelle ère technologique, qui bouleverse les positions établies. HP, c’est le numéro un mondial du PC qui passe à autre chose, qui jette l’éponge devant le constat qu’il n’a pas su s’adapter. Et qui se sent davantage préparé à jouer dans la cour des grands de l’autre révolution, celle du cloud computing, marchant sur les traces d’IBM. Explications.

Touchpad: 2 mois et puis s’en va

La tablette de HP n’a pas eu un succès suffisant pour remplir les objectifs de ses dirigeants. Après moins de deux mois d’exploitation, la décision est très rapide. Elle intervient moins de trois semaines après que la société a baissé son prix de 50, puis 100 dollars, et la semaine où HP annonce la sortie de la version blanche du TouchPad! Les ventes d’une chaîne comme BestBuy, qui n’a réussi à écoulé que 10% de son stock, soit 25 000 appareils depuis le lancement, ont été suffisamment catastrophiques et la baisse des marges trop difficile à encaisser pour ne pas faire durer le supplice plus longtemps. HP a annoncé qu’il provisionnait 100 millions de dollars pour couvrir les invendus chez les distributeurs.

Une décision tout de même étonnante, sachant que la tablette a certes été vivement critiquée, mais que l’OS en lui-même était considéré comme prometteur. En outre, HP a quand même dépensé 1,2 milliard de dollars pour racheter Palm et WebOS, l’année dernière. On peut en conclure trois choses: un, le temps s’est à ce point accéléré dans la high-tech que les nouveaux produits n’ont plus le temps de mûrir et de trouver leur public. Toutes les entreprises ne se sont pas encore adaptées à cette accélération du cycle de vie des produits, mais elles le découvrent généralement trop tard. S’en suit une impression d’amateurisme et d’improvisation, catastrophique pour l’image. Deux, sans écosystème applicatif, point de salut. Trois, ne jamais sortir un produit qui n’est pas “fini”. Deux échecs sont là pour le montrer: le TouchPad et le Xoom.Quoiqu’il en soit, la décision de HP ne fait que témoigner de, et renforcer un peu plus, la domination écrasante de l’iPad sur le marché. Qui sera la prochaine victime? RIM?

Qui veut de WebOS?

La division smartphones et tablettes sera fermée définitivement en fin d’année. Une fois la fabrication de matériel stoppée, restera le système d’exploitation, WebOS. HP avait initialement prévu de le déployer plus largement, sur les PC, les imprimantes (3 millions d’unités vendues au dernier trimestre), dans l’électronique embarquée et même les équipements domestiques. Conservera-t-il WebOS sur ce type d’équipements (hormis les PC) ? D’autres options s’offrent à lui, comme licencier sa technologie à d’autres constructeurs, ou vendre ses brevets, dans un contexte où les brevets deviennent le nerf de la guerre dans l’industrie mobile. En cas de vente, Samsung et HTC sont cités comme de potentiels acquéreurs. Ils pourraient aussi être intéressés par une licence, la situation concurrentielle venant d’être bouleversée par l’acquisition de Motorola par Google. On parle aussi d’Amazon, l’un des mieux placés aujourd’hui pour vendre une tablette, et qui compte à son conseil d’administration Jon Rubinstein, ancien CEO de Palm.

Que va devenir la division PC?

Au dernier trimestre, la division PC a réalisé un chiffre d’affaires de 9,6 milliards de dollars, en recul de 3% sur un an, et un bénéfice net de 569 millions. Elle est celle qui contribue le plus faiblement au bénéfice opérationnel du groupe. HP se donne 12 à 18 mois pour lui trouver un avenir : en faire une entité indépendante ? Vendre l’activité ? Samsung, mais aussi Lenovo sont cités dans la presse américaine comme de potentiels repreneurs. Lenovo, qui avait déjà racheté les PC d’IBM, est le troisième constructeur mondial de PC. La société chinoise, dont le bénéfice net a doublé au dernier trimestre, deviendrait numéro un mondial s’il rachetait HP, avec environ 30% de parts de marché, devant Dell.

HP sur les traces d’IBM

HP se réoriente vers les services aux entreprises, les logiciels et le cloud computing. C’est le sens du rachat d’Autonomy, société européenne pour laquelle HP a accepté de payer un premium de 79% par rapport à sa valorisation actuelle. Pour comprendre à quel point ce rachat est stratégique pour HP, il faut voir qu’il lui coûte 10,2 milliards de dollars, et que ses liquidités s’élèvent à 12,9 milliards. HP ampute donc considérablement ses reserves. Mais grâce à Autonomy et à l’abandon de sa division PC, qui fournit de faibles marges, HP espère restaurer une forte rentabilité. Autonomy affiche un bénéfice opérationnel de 83%.

En se tournant vers les enterprises, HP reproduit le revirement d’IBM, qui avait vendu ses activités PC à Lenovo en 2005. Aujourd’hui, HP nomme à la tête de sa division Entreprises John Visentin, un ancient d’IBM. Léo Apotheker, qui a fait carrière dans le logiciel professionnel chez SAP, aura réussi à imprimer sa marque. Il renoue aussi, comme le rappelle Bloomberg, avec la philosophie des fondateurs de HP. Le fils de William Hewlett était contre l’acquisition de Compaq en 2002. Dans les années 70, David Packard n’avait pas saisi la proposition d’un de ses employés, Steve Wozniak, qui lui proposait son invention. Ce dernier transformera plus tard l’essai… chez Apple.

Raphaële Karayan (L’Expansion.com)

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