“Vendre les données des patients est gravissime”

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Une quinzaine d’hôpitaux belges vendent les données (anonymisées) de leurs patients à un acteur privé pour 22 euros par dossier. Cette information publiée par “Le Soir” est l’occasion de demander à Renaud Mazy, CEO des Cliniques universitaires Saint-Luc, ce qu’il en pense.

RENAUD MAZY. Ce n’est pas éthique. Saint-Luc ne vend aucune donnée de ses patients et n’en vendra aucune à quiconque. La pratique touche à la relation de confiance établie entre l’hôpital et le médecin et, pire encore, elle met à mal la relation entre le patient et son médecin. Cela me tracasse car ça donne l’impression que les hôpitaux peuvent faire n’importe quoi avec leurs données dès lors qu’elles sont anonymisées. C’est gravissime. D’autant que je crains que cette vente de données ne soit réalisée qu’à des fins pécuniaires, d’autant plus que l’on parle de sommes dérisoires (de l’ordre de 10.000 euros pour un hôpital de 500 lits, Ndlr). La valeur de ces données, vendues 22 euros, est évidemment beaucoup plus élevée pour des boîtes pharmaceutiques ou des assureurs. Quand bien même : peu importe le prix, vendre ces informations est contre les valeurs de l’institution et la confiance des patients.

Il ne s’agit pas, selon vous, d’aider à mieux comprendre les traitements et l’effet de certains médicaments ?

Cela peut les aider les boîtes pharma à voir si les traitements sont efficaces. Mais ici, l’idée première n’est sans doute pas de celle-là. Il existe des protocoles de recherche qui permettent de faire avancer la connaissance scientifique par les boîtes pharma et il n’est pas nécessaire d’acheter des bases de données pour vérifier les effets de traitements. Donc, si l’on dit qu’un hôpital vend des données patients pour vérifier qu’un médicament fonctionne bien, je ne vais pas dire que c’est totalement faux… mais c’est d’une importance très différente des protocoles de recherche. Par contre, savoir que dans tel hôpital, les médecins prescrivent tel ou tel médicament, c’est d’une puissance redoutable pour une firme pharma. Cela lui permet d’établir sa politique marketing et une nouvelle stratégie de reconquête des hopitaux. Le grand danger, c’est donc que ces données servent avant tout des enjeux marketing. Et ces données peuvent aussi intéresser les assureurs, même si elles sont anonymisées : elles leur permettraient de déterminer des politiques tarifaires par région, par population, etc.

Néanmoins, le partage de données médicales peut ouvrir des pistes intéressantes vers de nouveaux traitements…

C’est inéluctable d’aller vers le big data, c’est-à-dire la collecte de plus d’informations, ce qui permettrait d’améliorer la qualité des soins pour les patients et d’aller vers une médecine plus individualisée. Mais cela ne veut pas dire qu’on peut faire n’importe quoi. Il faut appliquer les règles les plus strictes par rapport à la donnée médicale. Quand on mène un protocole de recherche, on peut récolter et traiter les données des patients et les utiliser avec l’industrie pharmaceutique. Mais il y a des formulaires, revus par le comité d’éthique qui donne son accord, le patient donne un accord éclairé et écrit, et l’on ne transmet pas toutes les informations. Il faut des règles strictes car cela deviendra un enjeu économique majeur. Imaginez que dans 10 ans vous alliez chez votre banquier et qu’il ait accès à certaines informations, comme des tests génétiques qui montreraient que vous avez une prédisposition plus élevée que la moyenne à avoir un cancer du côlon… L’enjeu est colossal et le sera d’autant plus que les informations seront centralisées et multipliées par 1.000. Les autorités l’ont bien compris : c’est pour cela qu’elles mettent en place le GDPR (Règlement général sur la protection des données) auquel tous les hôpitaux sont bien sûr soumis.

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