Quel “business model” pour les applis belges grand public ?

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Pour beaucoup, l’âge d’or des applications mobiles serait derrière nous. Si le secteur a fortement évolué et si le règne des applis gadgets est bel et bien passé, certains continuent de parier sur les applications. Parfois avec de gros succès au niveau des téléchargements. Reste à identifier le bon “business model”.

Vous passez l’essentiel de votre temps sur les cinq mêmes applications mobiles ? Cela n’a rien d’étonnant : selon Comscore, 85 % du temps passé à utiliser des applications s’effectuerait au bénéfice d’une petite poignée d’applis, cinq seulement. En gros, les réseaux sociaux, les mails et les messageries électroniques. Toutefois, cela n’empêche pas certains concepteurs d’applications de développer leurs services et d’en faire un business.

En Belgique, le club des applications ayant dépassé un million de téléchargements est plutôt très ” select “. Bien sûr, le secteur bancaire et quelques applications de grandes institutions (Proximus, Telenet, etc.) et de médias occupent les hautes marches du podium des applis belges les plus téléchargées. Mais pour les autres, arriver à obtenir des centaines de milliers de téléchargements, voire des millions, semble devenir de plus en plus compliqué. ” A l’heure actuelle, les boutiques d’applications sont déjà hyperchargées, fait remarquer Raphael Lebbe, CEO de l’éditeur d’applis belge Creaceed qui totalise deux millions de téléchargements sur quelques applis seulement.

Se faire connaître devient un véritable enjeu. Les stores sont comme des supermarchés qui proposeraient toujours plus de produits. Emerger n’est pas simple. ” D’autant que les smartphones sont surchargés et que les utilisateurs en ont assez d’essayer des applis qu’ils suppriment presqu’aussitôt. Tout repose sur l’utilité et l’intérêt de l’appli dans le quotidien de l’utilisateur.

Rarement payantes

Pour développer un business autour d’une application, plusieurs solutions sont possibles. Les développeurs peuvent proposer une application d’emblée payante mais doivent se contenter d’un nombre limité de téléchargements. C’était à la base le concept de l’éditeur belge Creaceed lorsqu’il s’est lancé en 2008. Il a ainsi commercialisé plusieurs applications payantes à succès comme le système de reconnaissance de caractère Prizmo ou l’appli de photographie Hydra. Reste qu’il s’agit d’exceptions : les applis payantes deviennent relativement rares. ” Aucun de nos clients aujourd’hui ne propose une application payante, avance Christophe Chatillon, CEO de l’agence Tapptic qui développe des applications. Dans la majorité des cas, ce n’est plus du tout le modèle des applis grand public. ”

Beaucoup préfèrent proposer leur appli gratuitement. Pour toucher plus de monde.

Beaucoup préfèrent proposer leur application gratuitement. Cela permet évidemment de toucher plus de monde (si cela fonctionne). Raphael Lebbe évoque un rapport pouvant grimper à 100 fois plus de téléchargements en rythme de croisière. Par contre, proposer gratuitement l’application impose à l’éditeur de trouver son modèle de rentabilité. S’il s’agit d’un grand groupe, comme une banque, un opérateur télécom ou une société de transports, proposer gratuitement l’application constitue un service supplémentaire. Ou un moyen de ” récupérer des données, détaille Christophe Chatillon. Les entreprises peuvent enrichir des profils, connaître les usages et les goûts des utilisateurs. Ce qui constitue en soi une certaine valeur “.

Mais pour un éditeur qui espère en vivre, il faut monétiser. Pour y parvenir, certains se tournent vers la publicité : des bannières peuvent être intégrées dans l’application. C’est le cas par exemple dans Tricount (lire l’encadré ” Ils ont dépassé un million de téléchargements (ou presque) plus bas”) qui teste actuellement le modèle de revenus publicitaires, tout comme l’application QuickLyric. Mais cela nécessite à la fois de grosses audiences et un usage régulier de l’application : pour vendre de la pub, il faut séduire les annonceurs grâce à un inventaire assez large.

Gratuite avec options payantes

Et puis, bien sûr, il existe le modèle du freemium, vers lequel la majorité des applications gratuites se dirigent. Le concept consiste à proposer l’usage basique de l’application gratuitement mais de faire payer des fonctionnalités spécifiques ou des contenus supplémentaires. Ainsi, l’appli audio MyNoise propose gratuitement un nombre limité d’ambiances sonores mais permet d’en acheter plus en pack ou à la pièce.

A côté de ces ” achats ponctuels ” dans l’application qui permettent de débloquer des fonctionnalités, voire l’accès global à toute l’appli, les boutiques permettent aussi aux développeurs de proposer des abonnements. Une manière d’assurer la récurrence des revenus tant à la plateforme qu’aux éditeurs. Ainsi dans l’appli belge Prizmo Go de reconnaissance de textes (OCR), vous pouvez payer pour avoir accès à une technologie de reconnaissance de caractères dans le cloud, plus poussée que celle fournie gratuitement. Le pari consiste à séduire des professions comme les avocats, qui ont besoin d’un résultat encore plus précis.

La grande difficulté du freemium réside par contre dans les taux de conversion. Beaucoup d’utilisateurs se contentent de la version gratuite et ne franchissent pas forcément le cap de l’achat intégré, même s’il s’agit de petits montants (ce qui est généralement le cas dans les applis). Raphael Lebbe évoque un taux de conversion vers le payant dans Prizmo Go de l’ordre de… 1 %. Le défi des développeurs revient donc à rendre les fonctionnalités payantes si attirantes que l’utilisateur ne peut absolument pas résister.

Ils ont dépassé un million de téléchargements (ou presque)

myShopi

myShopi
myShopi

– 5,5 millions de téléchargements dont 1,5 million en Belgique

Concept. Lancée en 2011, myShopi est l’appli incontournable de ceux qui font leurs courses en grandes surfaces. Elle permet aux utilisateurs de dresser des listes de courses, de consulter des dépliants des grandes enseignes, d’intégrer numériquement des cartes de fidélité ou de profiter de bons de réduction. Elle revendique 900.000 utilisateurs actifs mensuels.

Business. A la base, les revenus de myShopi venaient essentiellement du système de bons de réduction proposés dans l’application. Pour en profiter, l’utilisateur doit scanner le code-barres du produit acheté et prendre une photo de son ticket de caisse. Le tout est vérifié par myShopi et payé sur le compte en banque préalablement encodé. Le système 100 % gratuit pour l’utilisateur est évidemment financé par les marques qui disposent également aujourd’hui de tout un catalogue de services dans l’application ; les dépliants digitaux et interactifs, de l’affichage, du sponsoring de catégories dans l’appli liste de courses, etc. En 2014, l’application a été rachetée par le groupe Belgique Diffusion (BD) qui l’a totalement intégrée à ses offres dans l’univers de la distribution.

Speaky

Speaky
Speaky

– 1,4 million de téléchargements

Concept. Un réseau social sur lequel les utilisateurs peuvent entrer en contact avec des correspondants en vue de pratiquer l’apprentissage des langues étrangères. Ils indiquent les langues qu’ils veulent apprendre et leur langue maternelle pour échanger entre utilisateurs. Des modules de discussion (chat) et d’appel (audio) permettent de pratiquer les langues. Speaky a surtout été développé sur Android (l’essentiel des downloads) mais dispose aussi d’un accès web où 400.000 personnes supplémentaires sont inscrites. L’appli quant à elle compterait 350.000 utilisateurs actifs par mois. Et serait particulièrement populaire au Brésil, en Turquie ou en Asie (Taïwan).

Business. La start-up fondée en 2014 compte depuis septembre 2017 le groupe Altissa parmi ses actionnaires (majoritaire). Pour l’instant elle développe essentiellement son audience et mène des tests de fonctionnalités payantes. Dans le module de chat, par exemple, les utilisateurs peuvent avoir recours à un module de traduction. Ce recours est limité et peut être débloqué en s’acquittant d’un abonnement, dont le prix est encore soumis à des tests. A ce stade, il s’agit d’abonnement à 6 euros par mois, ou 50 euros par an. A terme, selon Ludovic Chevalier, cofondateur de Speaky, des modules d’apprentissage des langues pourraient être développés et proposés, de manière payante, dans l’application. Mais pour l’instant, la start-up en est encore au stade des tests.

Tricount

Tricount
Tricount

– Plus de 2 millions de téléchargements

Concept. Cette application fondée en 2010, comme un hobby, par des ingénieurs de formation, permet à ses utilisateurs d’organiser des comptes collectifs. Imaginez : vous partez en week-end avec des amis, chacun paie certaines dépenses et pas d’autres. Difficile de savoir, en fin de séjour qui doit combien à qui. Tricount le fait automatiquement : les utilisateurs encodent au fur et à mesure tous les montants dépensés par chacun et l’appli indique comment arriver à l’équilibre.

Business. A ce stade, Tricount n’a pas encore établi de véritable business model. Elle teste différentes sources de revenus. Si les utilisateurs adoptent l’appli en version totalement gratuite, ils voient de la publicité. Mais ils peuvent supprimer la pub moyennant un abonnement de 1,99 euro par an. Un pack un peu plus costaud à 3,99 euros par an leur permet d’enlever la pub et d’obtenir quelques avantages comme un ” support premium “. Par ailleurs, la jeune pousse permet aux utilisateurs d’effectuer les paiements pour arriver à l’équilibre des comptes entre amis grâce à des partenariats avec des acteurs comme Bancontact, Paypal et Lydia. Il semblerait que ces partenaires rémunèrent la jeune pousse pour ce service, lui offrant ainsi une autre source de revenus. Mais de l’aveu de Michael Renous, le CEO de Tricount, le business model de l’appli se cherche encore. Il devrait annoncer dans les prochains mois plus de détails à ce sujet.

My Noises

MyNoise
MyNoise

– 825.000 téléchargements

Concept. Utiliser des sons pour masquer les bruits environnants qui dérangent. Cette idée développée par l’ingénieur Stéphane Pigeon sous forme d’un site web dès 2013 a été, par la suite, proposée dans une application mobile, à la demande des utilisateurs. Le concept s’adresse aussi aux personnes travaillant dans un open space , celles à la recherche d’ambiances de relaxation ou encore celles qui tentent de régler des problèmes d’acouphènes. L’une des particularités de MyNoise réside dans le paramétrage des sons par l’ingénieur pour doper les propriétés de masquage. De même, les utilisateurs peuvent eux-mêmes régler une dizaine de paramètres des sons.

Business. Si le site web, qui attire 2 millions de visiteurs uniques par an fonctionne essentiellement sur le modèle du don (le service est gratuit et les gens donnent ce qu’ils veulent), l’application quant à elle est un freemium . C’est-à-dire qu’elle propose gratuitement une série d’ambiances sonores (pluie, océan, choeurs tibétains, etc.). Mais les utilisateurs peuvent avoir accès à une bibliothèque complète et illimitée pour 9,99 euros. De l’aveu de Stéphane Pigeon, les rentrées liées à l’application permettent essentiellement de financer le développeur indépendant de l’appli. Les véritables revenus proviennent des dons en ligne que font quelque 0,4 % des utilisateurs. En mars, MyNoise a été élue ” App du jour ” par Apple aux Etats-Unis et en Europe. Ce qui lui a permis doper considérablement pendant quelques jours le nombre de ses téléchargements.

QuickLyric

QuickLyric
QuickLyric

– 950.000 téléchargements

Concept. Permettre aux possesseurs de smartphone de voir les paroles des chansons qu’ils écoutent. L’application QuickLyric reconnaît automatiquement la chanson jouée et l’endroit dans la chanson où en est l’écoute et affiche les paroles. L’application lancée l’année passée a une portée mondiale et attire pas mal de monde en Indonésie, en Inde, au Mexique ou aux Etats-Unis, notamment. Au total, QuickLyric compterait quelque 200.000 utilisateurs actifs par mois. Uniquement sur Android puisque QuickLyric n’est pas encore disponible sur les appareils d’Apple.

Business. Pour pouvoir afficher les paroles à ses utilisateurs, l’appli doit s’acquitter de droits d’auteurs. Pour cela et pour soutenir le développement de la start-up derrière l’appli, les utilisateurs voient de la publicité s’afficher. Et ceux à qui cela pourrait déplaire peuvent payer un abonnement mensuel (2 euros) ou annuel (5 euros) pour supprimer la pub. ” Quelques pour cent des utilisateurs passent à l’abonnement “, détaille Guillaume Hachez, cofondateur. Cela n’assure pas encore la rentabilité de la jeune pousse, pour l’instant financée grâce à un prêt convertible du WING.

Prizmo Go

Prizmo GO
Prizmo GO

– 700.000 téléchargements

Concept. Prizmo Go, lancée en 2017, est la version gratuite de l’appli Prizmo. Elle propose à ses utilisateurs de scanner des documents dactylographiés et de les transformer en textes éditables. L’utilisateur peut alors copier le texte ou même le traduire, depuis l’application.

Business. A l’origine Prizmo était proposée en version payante (10,99 euros) pour son scanner pro, sa reconnaissance de texte et la possibilité de réaliser des PDF. La version gratuite (Prizmo Go) lancée en 2017 est gratuite mais limitée. L’utilisateur peut alors activer différents packs pour des fonctionnalités plus avancées. Le pack premium à 7,99 euros donne accès à toutes les fonctions d’export du texte (copier-coller, etc), la traduction dans 59 langues et l’usage d’une reconnaissance de texte (OCR) en ligne plus efficace et qui prend en charge l’écriture manuscrite. D’autres packs à 5,49 euros permettent de n’ajouter que les fonctions d’export ou que les fonctions d’OCR en ligne.

Note : nous reprenons ci-dessus le nombre de téléchargements déclaré par les éditeurs d’applications eux-mêmes. Si la boutique de Google donne des fourchettes de “downloads “, ce n’est pas le cas pour Apple. Par ailleurs, il s’agit d’une sélection d’applis (pas un ranking exhaustif) et nous avons exclu les applis des banques, des entreprises de télécoms et autres grandes entreprises qui dépassent le million de téléchargements.

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