Quand les marques nous ligotent avec leurs abonnements

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Pour s’assurer des revenus récurrents, les marques tentent par tous les moyens de transformer leurs clients en fidèles abonnés. Grâce à l’explosion du numérique, aucun secteur n’y échappe. En échange d’un tarif mensuel fixe, le consommateur peut désormais recevoir à intervalles réguliers un nouveau smartphone, de la lessive, des bouteilles de vin, des lames de rasoir, des croquettes pour chiens, voire même des sous-vêtements ou un nouveau salon.

Lors de sa dernière keynote, Apple a lancé une formule inédite pour l’achat de son célèbre iPhone. Pour une somme comprise entre 32 et 45 dollars par mois (en fonction des spécifications), le consommateur peut devenir propriétaire d’un smartphone de la marque. Chaque année, il pourra l’échanger avec le modèle le plus récent et bénéficiera d’une garantie durant tout son contrat. En échange, il doit s’engager pour deux ans minimum.

Cette toute nouvelle formule d’abonnement, actuellement disponible uniquement aux Etats-Unis, représente un changement profond dans la stratégie d’Apple. De vendeur de produits, la firme se transforme en fournisseur de solutions de télécommunication. A la clé : une relation encore plus étroite avec ses clients et une récurrence de revenus plutôt appréciable. “Avec cette formule, Apple vise les utilisateurs qui possèdent un smartphone de milieu de gamme et qui ne veulent pas débourser d’un coup le prix d’un iPhone”, décode Ronan de Renesse, analyste spécialisé en technologie chez Ovum.

Si une marque techno comme Apple opte pour ce type de formule d’abonnement, c’est d’abord pour couper l’herbe sous le pied des opérateurs télécoms américains, qui proposent déjà des formules très populaires combinant forfait télécom et smartphone. Mais c’est aussi en raison d’une évolution du marché, qu’il faut anticiper. Comme auparavant celui des PC ou des baladeurs numériques, le marché des smartphones risque d’atteindre prochainement une certaine saturation. Or, dans un marché mature, les produits ont tendance à se “commoditiser” (le processus par lequel un produit perd ce qui le différencie des autres, Ndlr) et à perdre de leur valeur. Au contraire des services. “Quand un marché arrive à maturité, une marque doit développer de nouvelles stratégies, explique Isabelle Schuiling, professeur de marketing à l’UCL. Apple tente ici de fidéliser encore plus ses clients en leur offrant des services supplémentaires.” “Les constructeurs de smartphones ont deux options pour remédier à l’affaiblissement probable de la croissance des ventes, complète Ronan de Renesse (Ovum). Soit ils augmentent la dépense moyenne par appareil en faisant migrer les consommateurs du milieu de gamme vers le haut de gamme, soit ils raccourcissent la durée de remplacement.”

Les fabricants font en effet face à une difficulté nouvelle : le consommateur garde de plus en plus longtemps son smartphone et tarde à acheter un nouveau modèle. D’après une étude du consultant télécom Chetan Sharma citée par Forbes, le taux de remplacement des smartphones est passé de 18 mois en 2010 à 26 mois en 2015. Avec sa formule d’abonnement, Apple court-circuite ce processus. Le consommateur, de son côté, paye l’équivalent d’un nouvel iPhone au bout de deux ans d’abonnement. Il peut en changer chaque année, mais à chaque renouvellement d’appareil, le contrat de deux ans redémarre à zéro… Une excellente tactique pour emprisonner le client de manière durable.

Abonné au lait pour bébé

D’autres entreprises technologiques tentent, comme Apple, de faire migrer une partie de leur clientèle vers des formules d’abonnement. C’est le cas d’Amazon, le numéro un mondial de l’e-commerce. Pour fidéliser ses clients, la plateforme américaine a développé les comptes Premium, qui offrent selon les pays la livraison gratuite, le stockage de photos, l’accès à la bibliothèque Kindle, aux films en streaming… Mais Amazon ne s’arrête pas là.

Le supermarché en ligne propose aussi des abonnements à des livraisons de produits de consommation courante aussi variés que du lait pour bébé, des Krisprolls, un kit sushis, du liquide vaisselle, des croquettes pour chien, des essuie-tout, des rouleaux de scotch, des préservatifs ou des rillettes de saumon (liste non exhaustive). Le client peut confectionner à sa guise son panier garni et en fixer la fréquence d’envoi. En échange, il ne paye pas de frais de livraison et bénéficie de réductions pouvant aller jusqu’à 15 % du prix pratiqué par le site pour ses ventes à l’unité.

Qu’est-ce qui pousse un géant du Net comme Amazon à développer ce genre de formules d’abonnement, avec lesquelles il n’hésite pas à rogner sur ses marges ? “Depuis longtemps, les marques cherchent à remplacer des revenus ponctuels par des revenus récurrents, observe Benoît Gailly, professeur en gestion de l’innovation à la Louvain School of Management. L’idée de base est qu’il est plus coûteux d’acquérir de nouveaux clients plutôt que de conserver des clients existants.” Cette mécanique est identique à celle des fabricants d’imprimantes qui appâtent le chaland avec des machines bon marché, sachant qu’ensuite la vente de cartouches d’encre leur assure des rentrées régulières. Idem pour un Nespresso, qui soigne ses marges sur la vente de capsules de café plutôt que sur les machines.

La paresse des clients

Le deuxième avantage d’une formule d’abonnement est la “paresse” des consommateurs. “Beaucoup de clients ne prennent pas la peine d’annuler leur abonnement. Soit ils oublient, soit ils estiment que les démarches sont trop compliquées”, explique Benoît Gailly. Les banques, les opérateurs télécoms ou les fournisseurs d’énergie profitent depuis longtemps de cette relative inertie des clients.

Les géants comme Amazon et Apple poursuivent aussi un autre but : faire basculer une partie de leur business de la vente de produits vers la vente de services et de solutions. “Plutôt que de vendre un objet, ils vendent ses fonctionnalités, pointe Benoît Gailly. En axant leur offre sur le service, ils ont la capacité de se différencier.” Benoît Gailly tente une analogie avec le monde du fast-food : “Vendre des burgers, tout le monde sait le faire. Mais concurrencer des enseignes comme Quick ou McDonald’s, qui ont atteint un certain niveau de service sur des décennies d’activité, c’est beaucoup plus difficile. Et plus ces enseignes sont en contact avec leurs clients, plus elles s’améliorent et deviennent efficaces.” C’est la même chose pour le commerce. Vendre des langes pour bébé, ce n’est pas compliqué. Mais développer une infrastructure logistique comme celle d’Amazon permettant de les livrer à domicile de façon régulière à prix réduit est beaucoup plus complexe.

La mode des box

Les grosses sociétés technologiques ne sont pas les seules à s’intéresser au business des abonnements. Une kyrielle de start-up se sont lancées ces dernières années sur ce créneau. La grande mode des box, ces boîtes au contenu parfois surprenant, est toujours d’actualité. C’est sur ce créneau que surfe MyWineBox, un site belge basé sur le principe de l’abonnement et de la livraison à domicile d’un assortiment de vins. “Le concept de box a explosé partout. C’est plus qu’un effet de mode, assure Yves Lacomble, cofondateur de MyWineBox. Nous apportons un service à valeur ajoutée, qui permet à nos clients de recevoir des vins sélectionnés pour eux et livrés à domicile, avec un bon rapport qualité-prix.”

La plateforme s’adresse à une clientèle de novices du vin, qui sont incapables, comme la plupart des consommateurs, de faire un choix éclairé dans les rayons des supermarchés. Le système de l’abonnement (à partir de 55 euros par livraison de six bouteilles) permet de contourner cette étape fastidieuse de la sélection. Le caviste en ligne, qui compte environ 250 clients, n’est pas le seul dans son secteur, où évoluent des sites comme Le Vin du Mois ou les français MyVitiBox, VineaBox ou Trois Fois Vin.

Ce système de box a essaimé dans un grand nombre de secteurs d’activité. Le site BelgiBeer, qui propose la livraison de bières spéciales à domicile, a récemment levé plus de 120.000 euros via la plateforme de crowdfunding MyMicroInvest. Dans le secteur de la beauté, quantité de services sont apparus ces dernières années : Deauty Box, BirchBox, My Little Box… La “YouTubeuse” star Michelle Phan vient même de lever 100 millions de dollars aux Etats-Unis pour lancer son propre service. Chaque fois, le principe est le même : découvrir des produits de beauté et de maquillage chaque mois dans une boîte surprise, pour un montant mensuel fixe (13 à 17 euros environ).

Quantité de déclinaisons de cette formule d’abonnement sont apparues : Emma & Chloé (box bijoux), My Cocoon Box (pour les jeunes ou futures mamans), Woufbox (accessoires pour chien), Kity Box (pour les chats), Box Franquette (produits du terroir), La boite d’Hortense (boîte de thés), Dandy Box (pour hommes), Darling box (accessoires X), Run & Co (pour les sportifs), Designer Box (objets design), Little cigogne (vêtements pour enfants), La Box de Pandore (littérature pour enfants), HiTek Box (pour les geeks)…

Le Netflix du slip

A côté de ce système de box, les formules d’abonnement ont aussi explosé pour des produits “récurrents” comme les lames de rasoir (razwar.com) ou la lessive (Dash Button de Amazon). Le principe s’étend même à des produits a priori plus étonnants. Gregory de Harlez a fondé le site Escuyer, spécialisé dans la vente de vêtements “basiques” pour hommes : T-shirts, slips et chaussettes. Il combine e-commerce classique et abonnement avec réduction de 10 %. Le site compte actuellement 80 abonnés. “En Belgique, on est encore frileux par rapport aux formules d’abonnement. En Angleterre, les consommateurs sont déjà plus habitués au modèle”, assure Gregory de Harlez.

Un autre modèle s’est développé dans le domaine de la mode : celui de la location de vêtements. Le site français Le Closet, qui compte quelque 500 références et plus de 1.000 clientes dont 10 % de Belges, a mis sur pied un système d’abonnement comparable à celui que Netflix ou DVDPost avaient créé pour la location de DVD. Moyennant un forfait mensuel de 49 euros, chaque cliente reçoit trois vêtements et deux accessoires figurant dans sa liste d’envie. Elle peut ensuite les échanger quand elle le souhaite. “Ce système répond à un nouveau mode de consommation, explique Ralph Mansour, fondateur de Le Closet. Les clientes ne veulent plus forcément acheter, mais elles veulent pouvoir changer régulièrement de vêtements. Contrairement au système de box, il n’y a pas de lassitude qui s’installe parce que notre catalogue est renouvelé en permanence.” Ralph Mansour assure que le taux de rétention de ses clientes est deux fois plus élevé qu’avec un système de box. L’avantage de ce modèle est aussi qu’il permet de contourner une des principales difficultés de l’e-commerce : les retours de produits, qui sont très fréquents et coûteux.

Aujourd’hui, il est donc possible de s’abonner à tout ou à peu près. Le consommateur a l’habitude : cela fait longtemps qu’il paye son abonnement à son fournisseur d’énergie, à son télédistributeur, à son opérateur mobile, à son magazine préféré… Mais la multiplication des formules d’abonnement, poussée par le numérique, représente une part de plus en plus importante de ses dépenses mensuelles.

Quand les marques nous ligotent avec leurs abonnements
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