Nouvelle lune de miel entre grandes entreprises et start-up ?

/ © istock

Le bouillonnant microcosme des start-up en Europe commence à sérieusement intéresser certaines grandes entreprises, y compris en Belgique. Telenet, KBC et Deloitte emboîtent le pas à GDF Suez et d’autres grands groupes français comme Orange, Total, La Poste, etc.

Chez nos voisins français, la pose de la première pierre du “plus gros incubateur du monde” par Xavier Niel, le patron de Free, et le président François Hollande a fait grand bruit en novembre l’année dernière. La Halle Freyssinet, qui sera opérationnelle en 2016, proposera 33.000 m² pour héberger les start-up françaises et les porter, à coups de millions d’euros, dans la cour des grands. Xavier Niel — qui réalise cet investissement à titre privé — n’est pas le seul patron à s’intéresser à l’écosystème des jeunes pousses. En France comme en Belgique, le retour des corporate ventures commence à se faire remarquer. Cette tendance, qui pousse les grands groupes à investir des fonds dans de jeunes entreprises innovantes, s’était effondrée après la bulle internet au début des années 2000. Mais les initiatives renaissent, qu’elles prennent la forme d’incubateurs, d’accélérateurs ou de post-accélérateurs. En France, poussés par une fiscalité avantageuse, des groupes comme Orange, Total, Alstom, Schneider Electric, Publicis ou GDF Suez s’inscrivent dans cette mouvance. Chez nous aussi, les initiatives commencent à apparaître. Depuis 2009 déjà, Microsoft a organisé son implication dans des start-up au travers de ses trois Microsoft Innovation Center (MIC) situés en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie. Ceci en compagnie des autorités des différentes régions. En mai, GDF Suez a lancé son fonds GDF Suez New Ventures pour “capter de nouveaux marchés dans un secteur énergétique en pleine transformation”. Telenet s’est engagée dans différentes initiatives telles que Idealabs et iStart. La banque KBC s’est adjoint les forces, entre autres, d’Accenture, de Cronos et de Mobile Vikings pour lancer Start it@kbc. Et tout récemment, les consultants de Deloitte ont inauguré, en Wallonie, un innovation centre comme ce fut le cas en Flandre, plus tôt dans l’année (lire l’encadré).

Innovation à grande vitesse

Quelle mouche a donc piqué ces grandes entreprises ? “Pour les grosses sociétés, innover n’est pas toujours aussi évident, observe Donat Rétif, CEO de Truvo (Pages d’Or) et observateur avisé de l’univers des start-up. Elles ont des structures lourdes, des règles, des procédures et de nombreux échelons de management qui ne favorisent pas toujours la réactivité et les processus d’innovation rapide.” Or le marché évolue vite et plus aucun secteur ne peut se dire à l’abri de la révolution numérique. Les taxis et les hôteliers en savent quelque chose, alors qu’ils se battent contre des géants comme Uber ou Airbnb. La question de l’innovation est centrale. Or “on voit clairement que la vitesse d’absorption des technologies par le marché n’a cessé d’augmenter, intervient Jean- François Galloüin, directeur général de Paris Region Lab, qui anime une vingtaine d’incubateurs dans la capitale française. Les technologies évoluent de plus en plus vite mais se révèlent également de plus en plus vite obsolètes. Les grands groupes sont dès lors dans une situation délicate : ils ne peuvent pas se permettre de commercialiser un produit qui ne soit pas de très grande qualité. Ils doivent donc le peaufiner dans les moindres détails, ce qui prend du temps et se révèle de moins en moins compatible avec la vitesse d’absorption des technologies.” C’est d’autant plus vrai dans l’univers numérique.

Un géant dans mon capital, danger ?

Du coup, s’entendre avec ces start-up plus flexibles et plus rapides en termes d’innovation prend tout son sens. Cela se matérialise de différentes façons. Certaines grandes entreprises se lancent dans un processus d’open innovation, c’est-à-dire de partenariats grande boîte/start-up en matière de co-innovation, et de co-développement. D’autres se lancent dans la mouvance du corporate venture capital et créent, par exemple, un incubateur chargé d’investir dans différentes jeunes entreprises. Comme GDF Suez New Ventures, un fonds d’investissements doté d’une enveloppe de 100 millions d’euros (sur plusieurs années) afin de trouver “des start-up à la recherche d’un partenaire industriel pour tester le développement opérationnel de leurs innovations, réagit Guy Dellicour, directeur de la communication chez GDF Suez. Beaucoup de grandes entreprises du secteur de l’énergie ont été innovantes mais en restant cantonnées à leur core business. Or, le secteur change vite et de manière importante. L’investissement dans des start-up devrait nous permettre d’étendre la palette de nos produits et services”. Le premier investissement de ce fonds s’est fait en Belgique en prenant 33 % de la start-up belge Powerdale, spécialisée dans la mobilité électrique. De toute évidence, GDF Suez investit dans une logique industrielle. Autrement dit, le groupe misera le plus souvent dans des technologies qui lui permettront de développer des produits et services dans le spectre de ses propres activités. D’autres grandes entreprises, elles, jouent le rôle d’actionnaires dormants et s’inscrivent, dès lors, dans une logique essentiellement financière. Cette dernière position offre probablement aux créateurs de la start-up une plus grande liberté managériale et stratégique. “Les start-up ne doivent pas courir aveuglément derrière les fonds des corporate, alerte toutefois Jean-Michel Noé, M&A senior manager chez Deloitte. Il faut éviter que leur agenda stratégique ne soit dirigé par les grandes structures. Le risque serait de tuer le projet, notamment par un droit de veto sur des discussions stratégiques. Elles doivent en être conscientes et y réfléchir.”

Cette mouvance de corporate venture n’est en réalité pas totalement nouvelle. Dans leur genre, des groupes le font depuis des années. Bekaert, par exemple, dispose de son bras armé — Bekaert Venturing — actif en Europe comme en Asie pour investir dans des start-up issues de son secteur ou dans l’univers prometteur des cleantechs. Pareil pour le groupe Solvay et son entité Solvay Venture. Mais aujourd’hui, c’est pour beaucoup le numérique qui aiguise les appétits. La plupart des grosses structures constatent qu’il devient urgent d’innover sur ce créneau sous peine de voir leur coeur d’activité grignoté par quelques jeunes entrepreneurs actifs dans un garage. “Dans 60 à 70 % des nouveaux cas, on constate que l’attention se focalise sur le digital”, observe Jean-François Galloüin.

Simples effets d’annonce ?

Bien sûr, en période de crise, le pari peut paraître osé. Car investir dans une start-up peut se révéler dangereux quand on connaît leur taux d’échec (pas loin de 50 % des start-up meurent dans les cinq premières années, même si cela varie d’un pays à l’autre). Les observateurs les plus grinçants épingleront toutefois les montants investis parfois peu élevés par nos grandes entreprises. Telenet annonce débloquer 1 million d’euros sur deux ans pour soutenir l’entrepreneuriat flamand. Pas mirobolant, au vu du bénéfice net de l’opérateur de Malines, qui dépasse 48 millions d’euros sur les six premiers mois de 2014. “Il y a beaucoup d’effets d’annonce et de communication, tranche un observateur. Certains des grands groupes ne consacrent réellement que des cacahuètes aux start-up mais se servent de cela pour se donner une image. Il y a, pour l’instant, peu d’exemples de grosses structures qui mettent vraiment le paquet en Belgique pour soutenir les start-up.”

Chez Deloitte, on se défend. “Quand on dépasse le million d’euros d’investissement, on peut clairement voir que cela dépasse la simple opération de communication, réagit Jean-Michel Noé, également impliqué dans le lancement du Deloitte Innovation Centre en Wallonie et à Bruxelles. Ce qui importe, c’est de voir que de tels projets sont soutenus par la direction de la firme qui investit. Chez Deloitte, il s’agit de l’initiative du genre qui bénéficie du plus gros budget financier. Et on compte Guido Vandervorst, associé en charge de l’innovation et du Deloitte Innovation Centre, représenté au comité de direction.” De son côté, le responsable de Paris Region Lab, Jean-François Galloüin, constate en effet que, dans certains cas, il s’agit de communication. “Mais ce n’est pas forcément négatif, insiste-t-il. Se lancer dans le corporate venturing peut aussi servir de signal en interne et souligner que l’innovation ne vient pas que de l’entreprise. L’idée est de passer progressivement de l’image négative du non invented here au proudly found elsewhere.”

Les entrepreneurs y voient une chance énorme de trouver des capitaux, alors que les institutionnels et les banques émettent de plus en plus de réserves à libérer des fonds pour des entreprises qui n’ont pas encore atteint le seuil de rentabilité voire n’ont pas encore de chiffre d’affaires. Reste évidemment à faire la part des choses entre toutes les initiatives qui encadrent la création d’entreprises et leur croissance. “Au niveau de la création de start-up en Belgique, il existe énormément d’initiatives, souligne un observateur. Même trop. Au point que les entrepreneurs ne savent pas toujours à quelle porte frapper. La situation est problématique car le forces sont dispersées et, pour être honnête, trop rares sont les success stories qui émanent de ces initiatives.” Les corporate venture, de leur côté, interviennent généralement à un stade plus avancé dans la vie de l’entreprise. “On vise déjà un certain niveau de développement”, confirme Guy Dellicour de GDF Suez. Et bien sûr, avec une perspective de rentabilité à court ou moyen terme.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content