La start-up Real Impact Analytics devient Riaktr et change d’orientation

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Présentée comme l’une des start-up bruxelloises les plus prometteuses de sa génération, Real Impact Analytics a récemment changé d’identité : elle se nomme désormais Riaktr. Un “rebranding” symbolique au moment même où la firme est en passe d’achever un gros changement stratégique et entre dans le club des entreprises vendeuses de logiciels… Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain.

Ri-hack-teur “. ” Raïe-hèk-tor “. ” Ré-acteur “… Sur une vidéo YouTube, une petite vingtaine de personnes, au Brésil, en Belgique, France ou Afrique du Sud, tentent de prononcer correctement ” Riaktr “, le nouveau nom de la start-up belge Real Impact Analytics. Ce sont quelques-uns de la centaine d’employés de la firme.

Plus compact, plus moderne, plus sexy, le nom Riaktr augure le changement. Ce nouveau nom doit suggérer l’ambition de la jeune pousse à accélérer le développement de son activité. Tout comme il doit témoigner du fait que l’action a plus d’importance que la donnée elle-même : ” Notre software aide les équipes opérationnelles à prendre des décisions mieux informées et à obtenir de meilleurs résultats “, précise Sébastien Deletaille, cofondateur et CEO de Riaktr. Mais surtout, ce rebranding commercial (pour l’instant, les entités juridiques de la firme conservent le nom Real Impact Analytics) intervient à un moment crucial de l’entreprise : la réalisation d’un ” pivot “. Comprenez : un véritable changement de business. Une transformation copernicienne des activités de la firme : Real Impact Analytics qui réalisait de la ” consultance ” devient Riaktr qui ” vend des softwares “.

Premiers développements en Afrique et pays émergents

Lorsqu’en 2009, Sébastien Deletaille et son ami d’enfance Loïc Jacobs van Merlen se lancent dans l’aventure Real Impact Analytics, leur objectif est clair : aider les entreprises télécoms dans leurs décisions. Qu’il s’agisse de les aider dans les processus de vente ou dans leurs décisions stratégiques de développement des infrastructures, Real Impact Analytics croit dans la compréhension des données (big data) pour apporter des réponses.

Le modèle de la vente de licences excite davantage les investisseurs et assure une valorisation plus élevée de l’entreprise.

Dans un premier temps, c’est en Afrique que la jeune pousse se développe grâce à des contrats auprès des opérateurs locaux. Puis, sur différents marchés émergents. La start-up s’appuie sur des outils d’analyse de données mais son modèle est essentiellement celui du conseil : ses employés travaillent chez les clients et, in fine, Real Impact Analytics facture des heures de consultance.

Cette proposition de la start-up belge séduit un certain nombre d’opéra- teurs télécoms, majoritairement hors Belgique. Après quelques années, elle emploie une centaine de personnes réparties sur les différents marchés. ” Mais le modèle du service nous a rapidement mis face à une difficulté majeure, admet Sébastien Deletaille, celle de la croissance. Non seulement, une fois qu’on atteint une certaine taille critique, il est difficile de grandir mais en plus, il s’agit d’un modèle dans lequel on peut subir de front une mauvaise année et où les événements macro-économiques peuvent avoir un impact assez direct : on a, par exemple, été affectés par les crises au Brésil. ”

La stratégie du “pivot”

Pour changer la donne, les fondateurs de Real Impact Analytics envisagent le lancement et la vente de leur propre solution. Avoir un logiciel qui tourne chez le client et assure à la start-up des revenus récurrents sur plusieurs années est alléchant. Le modèle de la vente de licences a d’ailleurs largement fait ses preuves et se révèle forcément plus simple à rendre ” scalable “. Sans compter que, stratégiquement, le modèle de la vente de licences excite largement plus les investisseurs et assure une valorisation plus élevée de l’entreprise. ” Dans le service, la valorisation s’établit autour d’une à une fois et demie le revenu de la start-up, précise Sébastien Deletaille. Tandis que dans le logiciel, cette valorisation passe à une fourchette entre trois et huit fois les revenus. ”

Il n’en faut pas plus pour convaincre les dirigeants de Real Impact Analytics de faire ce que l’on appelle dans le jargon un ” pivot “. De quoi s’agit-il ? ” Le pivot, c’est la légende des trajectoires entrepreneuriales, c’est un mot culte pour les start-up, explique Bruno Wattenbergh, ambassadeur d’EY pour l’innovation et professeur d’entrepreneuriat à la Solvay Business School. Aujourd’hui, l’entrepreneur agile va privilégier une trajectoire basée sur des hypotrhèses. Et chaque hypothèse va être testée sur le terrain. Si l’hypothèse ne se vérifie pas, on pivote, on change de direction, on modifie la stratégie, la proposition de valeur ou encore… le business model. ”

C’est dans ce dernier cas que s’inscrit le changement de Real Impact Analytics. Mais passer d’une entreprise de services à un vendeur de logiciels ne se fait pas d’un coup de baguette magique. ” Je pensais qu’il nous faudrait entre six et neuf mois pour réaliser ce pivot, admet le CEO de la start-up désormais rebaptisée Riaktr. Mais cela s’est révélé plus complexe que nous le pensions. ” En effet, proposer ses services ou vendre un logiciel n’est pas franchement comparable. ” Nous avions donc besoin de profils très différents, commente le CEO de la start-up, puisque nous avions beaucoup de profils orientés services. ” Le renouvellement s’est fait au fil du temps, grâce aux départs naturels d’un certain nombre d’employés, à en croire le CEO qui souligne le taux de rotation important dans l’univers de la tech.

Sébastien Deletaille
Sébastien Deletaille” Le pivot s’est révélé plus complexe que nous le pensions. “© pg/www.bdkz.net

Des cycles plus longs pour les logiciels

La vente d’un logiciel ne se fait pas du jour au lendemain. Outre le développement, ” le cycle de vente est plus long, admet Sébastien Deletaille. Les clients ont besoin d’essayer le produit et nous devons pouvoir leur présenter des cases. Tout cela prend pas mal de temps “. Sans compter que pendant cette période transitoire, la question du financement est cruciale. ” Une des contraintes d’un pivot, souligne Bruno Wattenbergh, consiste à disposer encore d’assez d’argent pour pivoter. Si la start-up s’entête trop longtemps dans un modèle qui ne fonctionne pas, elle risque de ne plus disposer d’assez de cash pour financer son pivot et tester le nouveau modèle. C’est la raison pour laquelle nous expliquons aux candidats entrepreneurs que leur devise doit être de se planter rapidement, fort, et à peu de frais … à moins d’avoir des poches très profondes, ce qui est rarement le cas des start-up. ”

En 2016, les frais de personnel de la firme ont augmenté de 20 %, essentiellement à cause des investissements nécessaires pour construire l’offre de produits. Mais Real Impact Analytics a pu s’appuyer sur une petite réserve : en juin 2016, la jeune pousse annonçait avoir levé pas moins de 12 millions d’euros auprès de Fortino, le fonds lancé par Duco Sickinghe (ex-CEO de Telenet), de la GIMV et du fonds Endeit Capital. De quoi encaisser le choc des développements de ses solutions logicielles.

Le décollage de Riaktr

Aujourd’hui, Real Impact Analytics a changé de nom et s’appelle désormais Riaktr. Un changement qui intervient au moment où la start-up estime avoir réalisé avec succès son pivot stratégique. Sur quoi se base-t-elle ? Sur le fait que 90 % des deals sont basés, selon Sébastien Deletaille, sur la vente de ses deux solutions logicielles.

Une des contraintes d’un pivot consiste à disposer encore d’assez d’argent pour pivoter.

Riaktr commercialise S&D (Sales and Distribution), un logiciel à destination des pays émergents pour l’optimisation de la vente indirecte, c’est-à-dire les points de ventes qui n’appartiennent pas à la marque cliente. Son autre logiciel, SmartCapex, pour les pays plus développés, aide les opérateurs dans leurs décisions relatives au développement de leurs infrastructures de réseau : 4G, fibre et 5G. Dans les deux cas, le logiciel offre l’avantage de la récurrence et, si tout se passe bien, les clients devraient avoir du mal à s’en passer.

” Dans le cas de notre logiciel S&D, 50 % des utilisateurs l’utilisent quotidiennement “, se réjouit Sébastien Deletaille. Les deux solutions se vendent aujourd’hui, un peu partout : Afrique, Brésil, Europe. Riaktr compte quelques grands noms parmi ses clients : Proximus, VEON, MTN, Etisalat… mais également le groupe Orange, avec qui elle a récemment signé un accord-cadre. De quoi lui assurer, à l’avenir, une série de nouveaux contrats avec les filiales du groupe.

La forte concentration de la clientèle

Reste que, comme l’admet l’ambitieux CEO de la firme, ” on est loin d’être arrivés quelque part : nous ne sommes pas à l’abri d’un grand concurrent qui se lancerait dans un domaine que nous sommes en train d’explorer. Nous restons à la recherche du product market fit ( qui répond parfaitement à la demande du marché, Ndlr). ” De quoi laisser entendre que la firme n’est pas encore dans le vert, ce qui n’a rien de surprenant au vu des ambitions mondiales de sa direction.

Sébastien Deletaille reste néanmoins discret sur les chiffres de sa société. La structure de cette dernière est d’ailleurs organisée de sorte à ne pas permettre aux observateurs extérieurs de redessiner la photo complète de ses activités : un holding au Luxembourg, une entité belge qui perdait 6,5 millions d’euros en 2016, et des entités en Afrique du Sud et au Brésil.

Reste que Riaktr, qui avait été épinglée Entreprise prometteuse de l’Année en 2016 par EY et L’Echo, ne manque pas d’ambition. Son CEO sait bien qu’il se trouve sur un marché où ses concurrents s’appellent IBM, Oracle ou encore Huawei. Et qu’il s’adresse à un marché de grandes entreprises, donc où la concentration de ses clients est relativement grande, certains gros clients représentant un pourcentage important de son chiffre d’affaires.

Aussi, même si Riaktr veut créer une niche où elle sera leader, elle mise sur la diversification et commence à sortir du seul secteur des télécoms : elle affiche déjà quelques clients comme Johnson & Johnson, AB InBev ou Mars.

“Pivoter ne veut pas dire et faire n’importe quoi !”

Bruno Wattenbergh
Bruno Wattenbergh© Fr. Hubert

Pour Bruno Wattenbergh, ambassadeur d’EY pour l’innovation et professeur d’entrepreneuriat à la Solvay Business School, ” la plupart des pivots arrivent quand l’on parle avec les clients “. Le professeur précise : ” Steve Blank, un serial entrepreneur qui donne cours à Stanford, explique avec un sourire qu'”aucun business plan ne résiste au contact avec les clients”. A la Solvay Business School,

nous disons aussi que “l’entrepreneuriat est un sport de contact … surtout avec les clients”. Ces deux citations amusantes illustrent le fait que les idées n’ont pas vraiment de valeur avant d’être testées sur le terrain… et qu’en les testant, on ne peut que pivoter, car la réalité n’est jamais celle que la start-up avait pu imaginer. Pivoter ne veut cependant pas dire et faire n’importe quoi ! Le pivot est pertinent s’il permet de résoudre un vrai problème sur le marché, s’il résulte d’une réelle écoute des clients. Mais aussi s’il respecte l’identité de la start-up et de ses fondateurs. ”

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