L’offensive des start-up sur le vélo partagé

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Le vélo partagé devient-il le nouveau “hype” de l’univers start-up ? L’offensive consécutive d’oBike et de GoBee sur le marché bruxellois le laisse penser. Derrière les sympathiques vélos colorés qui bourgeonnent se cachent des start-up asiatiques lourdement financées qui se lancent dans une course pour s’emparer du marché. Une prochaine bulle ?

Ils sont verts, orange et gris, noirs et bleus, et bourgeonnent partout dans Bruxelles depuis quelques semaines. Les vélos partagés en free-floating (comprenez des vélos que vous pouvez louer sur une courte durée mais qui ne doivent pas être ramenés à une borne) se multiplient dans nos rues. Dernier arrivage en date : les GoBee Bikes verts dans le sud de Bruxelles, notamment dans la commune d’Uccle. Avant cela, c’était les vélos orange et gris de la firme oBike qui, en une nuit, avaient été déposés par dizaines sur les trottoirs de notre capitale, suscitant tout à la fois le ” buzz ” et l’étonnement, tant du public que des autorités.

Ces nouveaux acteurs permettent aux citadins, utilisateurs d’applications mobiles sur smartphone, de géolocaliser un vélo à proximité, de le déverrouiller avec leur téléphone, puis de partir avec. Une fois à destination, l’utilisateur peut le laisser plus ou moins n’importe où et le verrouiller, sans même devoir le ramener à une borne fixe. Cette pratique du free-floating a littéralement explosé en Chine où l’on compte ce type de vélos à tous les coins de rue. Sur le marché chinois, ces vélos se comptent déjà en… millions sur les pavés des villes, et l’on assiste déjà à une guerre de start-up locales pour emporter le marché. Plusieurs gros acteurs s’y affrontent, notamment Mobike et Ofo. Le premier, fondé par des anciens responsables d’Uber à Shanghaï et financé par le géant Tencent, a également noué un partenariat avec Foxxconn pour parvenir à fabriquer pas moins de 10 millions de vélos par an ! Le second revendique la place de n°1 du secteur avec plus de 6 millions de vélos, 2 milliards de courses réalisées par ses 100 millions d’utilisateurs. Il est déjà parvenu à lever plus d’un milliard de dollars auprès d’investisseurs comme Alibaba, Didi Chuxing (l’Uber local) et DST Global. Dans leur course au gigantisme, les acteurs chinois du vélo partagé sans borne veulent rapidement s’internationaliser. Et placent l’Europe en point de mire.

Billy Bike

L'offensive des start-up sur le vélo partagé
© PG

Origine : Belgique

Lancement : 2017

Funding : n/c

Personnel (Belgique) : 5

Villes actives : 1 (Bruxelles)

Vélos à Bruxelles : 150

Tarifs : 0,15 euro/min (max 5 euros/h) ou 25 euros/24 h

C’est ainsi que notre capitale, parmi d’autres villes européennes, les voit débarquer. Le fait que d’importantes start-up asiatiques viennent proposer leur service sur notre marché est assez rare pour être souligné. Car si GoBee a été fondée par deux Français en début d’année, c’est bien à Hong Kong qu’est basée l’entreprise. Elle a levé 9 millions de dollars cet été pour assurer son développement et son internationalisation. Et (accessoirement ? ) rivaliser avec les autres acteurs du créneau. Car oBike qui est venu déposer en septembre ses vélos à Bruxelles est, elle aussi, une firme d’origine asiatique. Elle a levé cet été 45 millions de dollars pour assurer son développement. C’est la course sur le marché européen. ” En Asie, les deux gros acteurs que sont Mobike et Ofo ont levé des milliards de dollars et occupent le marché, analyse Pierre de Schaetzen, chief experience chez Billy Bike, une start-up belge qui développe un système de vélo électrique partagé. Ces deux acteurs ont des millions de vélos partout en Asie. ” Du coup, les plus petits acteurs du créneau se pressent en Europe, et notamment à Bruxelles, pour leur couper l’herbe sous le pied. Même si, d’après nos informations, tous les grands ont aussi placé Bruxelles sur leur échiquier.

Si cette effervescence sur le marché du vélo partagé fait rage en ce moment, ce n’est probablement pas un hasard. L’économie de la fonctionnalité, celle qui prône l’usage d’un bien plutôt que sa possession, se décline dans toujours plus de secteurs. Dans la musique et la vidéo, le streaming remplace l’achat de CD et DVD ou le téléchargement de musiques et de films. Et tous les constructeurs automobiles s’activent, eux aussi, dans l’univers de la location de véhicules qui a le vent en poupe. Logique, donc, que les vélos subissent le même engouement. D’autant que le deux-roues devient, lui aussi, de plus en plus trendy. ” Voici quelques années encore, faire du vélo était le résultat d’une conviction, soit écologique soit sportive, intervient Pierre de Schaetzen. Désormais, c’est une réponse aux questions de mobilité dans nos villes. ” Enfin, les technologies sont arrivées à un stade de maturité permettant la naissance de services de free-floating. Le tracking de biens, la géolocalisation, le smartphone se généralisent. ” Et elles deviennent suffisamment bon marché pour les intégrer dans un vélo “, continue le cofondateur de Billy Bike. C’est d’ailleurs un mini panneau solaire intégré dans le panier du vélo qui assure son énergie. Reste une série de questions liées au marché de la location de vélos et au business model de ces nouveaux acteurs.

Villo ! (JCDecaux)

L'offensive des start-up sur le vélo partagé
© Image Globe / NICOLAS MAETERLINCK

Origine : France

Lancement : 2009

Funding : + 10 millions d’euros

Personnel (Belgique) : 40

Villes actives : 88 dans le monde

Vélos à Bruxelles : 4.500

Tarifs : Abonnement 33,6 euros/an + (environ) 1 euro de l’heure après la première demi-heure

Le “business model” est-il viable ?

Comment ces nouvelles start-up peuvent-elles atteindre la rentabilité ? Si les Villo ! de JCDecaux récoltent 2/3 de leurs revenus de la publicité et 1/3 des abonnements, les nouvelles start-up du free-floating font le pari de gagner leur vie sans publicité. ” Notre business se joue sur le taux d’utilisation, détaille Geoffroy Marticou, responsable de GoBee sur les marchés français et belge. Le but, pour amortir le plus vite possible le prix des vélos, c’est d’avoir un maximum d’utilisation. ” Car visiblement, la location de vélos ” n’offre que des marges extrêmement petites, nous glisse un observateur avisé du marché. Il faut compter plusieurs années avant d’espérer arriver à la rentabilité. ” Outre le coût des vélos (même si ces vélos mis dans nos rues par les start-up asiatiques sont visiblement bon marché), cette activité requiert du service. Il ne suffit pas de placer les vélos sur la route. Encore faut-il assurer l’assistance aux utilisateurs (un vélo qui ne se débloque pas ou ne se verrouille plus), la gestion du parc (réparer ceux endommagés, déplacer ceux qui seraient stratégiquement mal placés, etc.). Les mauvaises langues prétendent toutefois que ces vélos seraient tellement bon marché que ces start-up peuvent se permettre d’en ” abandonner ” certains et de ne prévoir qu’un nombre assez limité d’agents de terrain. Enfin, s’ajouteront les coûts de l’indispensable marketing pour se faire connaître et surtout, tenter de s’imposer sur ce marché devenu déjà concurrentiel. Voilà pourquoi les acteurs venus d’Asie sont lourdement capitalisés. De son côté, Billy Bike, qui propose des vélos électriques, fait le pari du haut de gamme : pour financer ses vélos plus onéreux, la start-up belge définit un prix de 15 centimes la minute avec un maximum de 5 euros de l’heure (plus du double de ses concurrents non électriques). Avec une cible différente : les eurocrates, les avocats qui se déplacent dans la ville pour leur boulot. Certains voient néanmoins une bulle dans ce marché et s’attendent à de nombreuses disparitions ou rachats de ces start-up…

GoBee

L'offensive des start-up sur le vélo partagé
© PG

Origine : Hong Kong

Lancement : 2017

Funding : 9 millions d’euros

Personnel (Belgique) : +/-10

Villes actives : 4 (Paris, Lille, Bruxelles, Hong Kong)

Vélos à Bruxelles: 200

Tarifs : Caution de 25 euros + 0,5 euro par demi-heure

Le vandalisme peut-il avoir raison de leur business ?

Les dernières semaines le démontrent à Bruxelles : certains citadins indélicats aiment s’en prendre aux vélos en libre-service. Le vandalisme et les dégradations moins volontaires constituent l’une des difficultés que rencontrent les acteurs du vélo partagé, même s’ils en minimisent l’impact. ” Le vol et le vandalisme demeurent maîtrisés, rétorque Geoffroy Marticou de GoBee. Nos algorithmes peuvent en effet détecter des comportements inhabituels. Sans oublier que l’on retrouve toujours nos vélos grâce au GPS. A ce stade, le phénomène reste très limité. ” Concernant le vol, le rapport annuel de Villo ! nous donne quelques indications : en 2016, JCDecaux aurait enregistré 383 vols de vélos… dont 282 ont été retrouvés. Ce qui fait une perte nette de 101 vélos sur un parc de 4.259. Mais le rapport ne parle pas des actes de vandalisme. Du côté des start-up, on maintient néanmoins que le phénomène est intégré dans le business model. Et un examen des vélos tend à montrer qu’ils ont été étudiés pour souffrir le moins possible des dégradations : vis spécifiques, selle attachée, absence de vitesses, sonnette intégrée dans la poignée, etc.

oBike

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Origine : Singapour

Lancement : 2017

Funding : 45 millions d’euros

Personnel (Belgique) : 3

Villes actives : 43 dans le monde

Vélos à Bruxelles : 500

Tarifs : Caution de 49 euros + 1 euro par demi-heure

Quel impact sur nos villes ?

Le ministre bruxellois de la Mobilité Pascal Smet n’était pas content de ne pas avoir été informé de l’arrivée d’oBike dans sa ville. Il faut dire que le risque est grand de voir les vélos en free-floating lâchés un peu partout dans Bruxelles (c’est le concept), dérangeant potentiellement l’ordre public et défigurant nos artères. C’est d’ailleurs la principale remarque de Jérôme Blanchevoye, directeur général adjoint Villes et Finance Belux chez JCDecaux et en charge de Villo ! . ” De notre point de vue, la principale question de ces services réside dans l’occupation gratuite et non régulée de l’espace public. ” Pour l’instant, les nouveaux acteurs du vélo partagé ” peuvent faire ce qu’ils veulent car il n’existe aucun cadre légal encadrant la pratique, nous glisse-t-on au cabinet de Pascal Smet. Bien sûr on veut encourager l’utilisation du vélo dans la ville, mais il faut tracer des lignes. ” Une ordonnance serait en cours de préparation pour dessiner un cadre au vélo partagé en free-floating. Son contenu n’est pas communiqué, mais on peut imaginer des limitations du nombre de vélos dans un espace dédié, etc. Une attitude similaire est affichée par Boris Dilliès, qui a accueilli GoBee dans sa commune d’Uccle. ” Ce sont des entreprises privées qui occupent l’espace public, reconnaît le bourgmestre. Mais elles constituent une petite révolution en matière de mobilité et je n’envisage pas de taxer tout ce qui bouge : nous les suivons de près et mettrons en place une politique d’encadrement pour que cela se passe dans les meilleures conditions. ” Car il faudra à tout prix éviter qu’on arrive à Bruxelles à une situation similaire à ce qui se passe en Chine, où des vélos abandonnés et défectueux s’entassent à certains endroits…

La concurrence avec un acteur comme Villo ! est-elle saine ?

Vandalisme et dégradations sont l'une des difficultés à prendre en compte dans ce
Vandalisme et dégradations sont l’une des difficultés à prendre en compte dans ce “business model”. © PG

Quand on écoute Jérôme Blanchevoye de chez JCDecaux, les nouvelles start-up ne créent pas d’ombre à Villo ! . ” D’abord, les quantités de vélos mises à disposition sont très petites : on parle de quelques centaines de vélos seulement. Ensuite, le coût d’utilisation est assez élevé et le niveau de service n’est pas le même. ” Et le discours général des acteurs du secteur s’articule autour de la ” complémentarité “. Les utilisateurs de Villo ! trouveraient un usage différent au free-floating. Reste que le concept même du free-floating semble offrir aux start-up un avantage réel : elles ne doivent pas déployer d’installations physiques onéreuses (les bornes pour accueillir les vélos), ni répondre à un cahier des charges de développement et de service : assurer un nombre défini de bornes, de vélos, etc. Des obligations auxquelles doit répondre JCDecaux dans le cadre de sa concession obtenue auprès de la Région et qui court jusqu’en 2026. En contrepartie, Villo ! s’assure de pouvoir faire de la pub. Et, selon Jérôme Blanchevoye, rien n’empêche Villo ! ” d’évoluer technologiquement “. De là à imaginer des Villo ! électriques et connectés, comme ceux que l’afficheur installera à Stockholm…, il n’y a qu’un pas.

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