Cette start-up liégeoise transforme l’énergie solaire en bitcoins

Pierre-Henry Lefebvre et Leila Rebbouh, cofondateurs de NR Mine. © PG

La start-up NR Mine récupère les excédents d’énergie produits par des panneaux photovoltaïques, afin d’alimenter de puissants serveurs qui façonnent de la crypto-monnaie. Ce projet astucieux met en lumière l’impact environnemental insoupçonné du bitcoin.

La création frénétique de monnaies virtuelles comme le bitcoin produit des effets inattendus. Derrière l’évolution (affolante) du cours du bitcoin se cache un réseau informatique complexe qui produit des devises… au prix d’énormes dépenses énergétiques. Explications.

La fabrication de devises numériques (une opération que l’on appelle ” minage “) nécessite d’importantes capacités informatiques. Basé sur la technologie décentralisée de la blockchain, le minage de crypto-monnaies utilise des serveurs disséminés dans le monde entier. Des particuliers ou des groupes plus structurés mettent la puissance de leurs ordinateurs à disposition de cette gigantesque entreprise de création monétaire. Mis bout à bout, ces serveurs constituent une sorte de banque centrale digitale et décentralisée, qui ” frappe ” différentes monnaies virtuelles, dont la plus célèbre est le bitcoin.

Le bitcoin consomme plus qu’un pays comme l’Irlande

Les envolées successives de ces crypto-monnaies créent une forte demande, qui elle-même sollicite des capacités informatiques toujours plus grandes. Les machines tournent à plein régime, et consomment une quantité d’électricité à peine croyable. D’après Digiconomist, un bureau d’analyse spécialisé en crypto-monnaies, le bitcoin consomme à lui seul près de 30 térawattheures (TWh) par an ; c’est plus qu’un pays entier comme le Nigéria (24 TWh), l’Irlande (25 TWh) ou le Maroc (29 TWh) ! Dans l’état actuel des choses, le bitcoin aspire 0,13 % de l’électricité produite dans le monde. Et ce n’est pas fini, puisqu’en un mois seulement, la consommation d’électricité liée au minage du bitcoin a progressé de près de 30 %.

Une transaction en bitcoins consomme 2.500 fois plus d’électricité qu’une transaction réalisée avec une carte Visa.

Même si certains défenseurs des crypto-monnaies contestent ces chiffres, qui seraient trop alarmistes, il est établi que le minage est une activité hautement consommatrice d’énergie. Cette boulimie d’électricité est due au mode de fonctionnement de la blockchain : son système de validation serait beaucoup trop lourd, et solliciterait par conséquent trop de capacités informatiques. Certains évoquent un défaut de construction. Le site Digiconomist a ainsi estimé qu’une transaction en bitcoins consomme 2.500 fois plus d’électricité qu’une transaction réalisée avec une carte Visa. Pas très efficace…

Du coup, les spécialistes du secteur planchent sur une solution permettant d’optimiser la consommation énergétique des crypto-monnaies. Le réseau Ethereum, sur lequel est basée la monnaie virtuelle ether, l’une des plus connues après le bitcoin, va faire un test en ce sens d’ici la fin de l’année.

La nouvelle ruée vers l’or numérique

En attendant, les capacités informatiques nécessaires pour ” miner ” ces crypto-monnaies suscitent toutes les convoitises. La raison est simple : les ” mineurs ” sont rémunérés pour ” frapper ” ces monnaies. D’après une étude récente sur les crypto-monnaies menée par l’Université de Cambridge, les revenus mondiaux issus du minage ont dépassé les 2 milliards de dollars en 2016.

Cette activité est devenue la nouvelle ruée vers l’or numérique. Les chercheurs d’or 2.0 n’investissent pas dans des tamis, mais dans de puissants ordinateurs équipés de cartes graphiques spécialement conçues pour le minage. En échange, ils reçoivent du bitcoin, de l’ether ou toute autre crypto-monnaie qu’ils choisissent de miner.

C’est évidemment une activité financièrement risquée. Si le cours de leur monnaie virtuelle est stable ou progresse (comme c’est le cas du bitcoin pour le moment), leur investissement en matériel sera rapidement remboursé. Si le cours s’effondre, ils risquent d’attendre longtemps avant de rentrer dans leurs frais.

Un serveur minant du bitcoin peut atteindre 80 degrés

L’équation financière est rendue plus complexe encore en raison d’une autre source de coût non négligeable : l’électricité. Comme nous l’avons vu plus haut, le minage d’une crypto-monnaie consomme énormément d’électricité. Un serveur minant du bitcoin à pleine puissance est un véritable radiateur électrique : il chauffe en permanence, au point d’atteindre des températures comprises entre 60 et 80 ° C ! L’addition peut vite se révéler indigeste.

Pour alléger la facture d’électricité – et donc pour rembourser plus vite leur investissement -, les mineurs tentent logiquement de trouver la source d’énergie la moins chère possible. C’est la raison pour laquelle on retrouve beaucoup de mineurs en Chine, où l’énergie (essentiellement issue du charbon) est bon marché. De gigantesques ” fermes de minage ” se sont même créées. D’après l’étude précitée de l’Université de Cambridge, 58 % de ces fermes sont situées en Chine. A Ordos, dans le nord du pays, une mine de bitcoins, visitée par le site d’information Quartz, emploie 50 personnes qui veillent sur 25.000 machines.

Cette start-up liégeoise transforme l'énergie solaire en bitcoins

Récupérer les excédents d’énergie photovoltaïque

Chez nous, l’électricité est plus chère qu’en Chine, ce qui a un impact sur la rentabilité espérée de ces opérations de minage. Pour contourner cet écueil, une start-up liégeoise a mis sur pied un astucieux mécanisme (voir graphique “Le modèle d’affaires de NR Mine” plus haut). Pour diminuer les coûts énergétiques, NR Mine récupère les excédents d’énergie issus de panneaux photovoltaïques. Il arrive que les entreprises ou les particuliers qui installent des panneaux solaires produisent plus d’électricité que ce qu’ils consomment. Cette énergie excédentaire est soit tout simplement perdue, soit revendue à un fournisseur d’énergie (Electrabel, Lampiris, Luminus, etc.).

NR Mine court-circuite ce modèle en branchant ses installations directement chez le producteur d’énergie photovoltaïque. Pour appâter le propriétaire des panneaux, la start-up lui propose un tarif supérieur à celui proposé par l’acteur traditionnel du secteur. Quand les fournisseurs d’énergie paient l’excédent à 20 % du prix du marché, NR Mine propose un tarif supérieur, situé à 25 % du prix du marché. Même si NR Mine paie un surcoût pour ces excédents d’énergie photovoltaïque, le coût de l’énergie reste nettement plus abordable pour la start-up que sur le circuit classique. Tout bénéfice pour son activité de minage.

Avec cette électricité acquise à bas prix, NR Mine alimente en effet ses machines, des serveurs ultra-performants qui minent de la crypto-monnaie. Il s’agit en l’occurrence de Zcash, une alternative au bitcoin, qui offre selon la start-up de meilleures perspectives de rendement.

Un investissement remboursé en 10 mois ?

Le Zcash est versé aux clients de NR Mine. Ceux-ci sont des particuliers attirés par les rendements potentiels de la crypto-monnaie, qui préfèrent sous-traiter tous les aspects techniques du minage. Le client paie une avance puis reçoit la monnaie virtuelle produite par la machine. ” Le client paie anticipativement deux ans de coût énergétique. En échange, il récupère progressivement les fruits en crypto-monnaie. Au cours actuel du Zcash, il est remboursé de son investissement de départ en 10 mois “, explique Leila Rebbouh, cofondatrice de NR Mine. Elle a investi dans ce projet sur fonds propres avec son collègue Pierre-Henry Lefebvre (SpatioData).

Positionné entre le producteur d’électricité et le client final, NR Mine se rémunère via une commission, située entre 10 et 15 %. Créée en septembre dernier, la start-up a installé ses machines chez un premier client belge, qui dispose d’une installation photovoltaïque. Les serveurs de NR Mine sont aussi installés dans une tour commerciale à Tel-Aviv.

Un accord vient également d’être signé avec le propriétaire d’une centrale hydraulique du côté de Rochefort. Les machines de la start-up liégeoise peuvent en effet se greffer sur n’importe quel type de système de production d’énergie. Une simple roue à aubes, comme il en existe encore sur les anciens moulins, peut même faire l’affaire.

Smart Grid

La start-up NR Mine ne vient pas de nulle part. Elle est liée à un projet baptisé NR Grid, développé par Leila Rebbouh au sein de l’Université de Liège. Financé à hauteur de 700.000 euros par l’ULiège, ce projet a pour but d’optimiser la consommation d’électricité en développant des systèmes décentralisés de gestion de l’énergie, les micro grids. Dans ce modèle collaboratif, l’énergie (photovoltaïque, éolienne, hydraulique, etc.) produite au niveau d’un quartier y est stockée et utilisée localement.

” Nous avons voulu aller plus loin en appliquant la technologie décentralisée de la blockchain à ce modèle. Mais nous n’avons pas obtenu de financement pour progresser dans ce sens “, regrette la CEO de NR Mine. Ce type de système décentralisé pourrait avoir pour conséquence ultime de rendre obsolètes les intermédiaires que sont les fournisseurs d’énergie. Cela ne plaît pas à tout le monde dans le secteur, remarque Leila Rebbouh.

Etant également entrepreneuse, la chercheuse a choisi de développer l’aspect blockchain du projet via sa start-up NR Mine. ” Un projet sociétal comme NR Grid, personne n’en veut, grince Leila Rebbouh. Par contre, un bon plan de minage de crypto-monnaie, ça fonctionne tout de suite. ” L’entrepreneuse ne désespère cependant pas de voir son premier projet aboutir, pourquoi pas en le finançant via les rentrées engrangées par NR Mine.

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