Non, le numérique ne tuera pas le livre!

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C’est la thèse centrale d’un manifeste rédigé par l’auteur Paul Vacca. Dans “Délivrez-vous !”, il dresse un plaidoyer argumenté en faveur du bon vieux livre papier.

Les oiseaux de mauvaise augure lui prédisent une disparition certaine. A l’ère du tout numérique, le livre serait désuet, dépassé, inadapté. Ce n’est pas la conviction de Paul Vacca. Ecrivain et chroniqueur pour Trends-Tendances, ce fin observateur des mutations digitales est persuadé que le livre est plus que jamais d’actualité. Il confie son attachement viscéral à l’objet autant qu’à son contenu : ” Quitte à passer pour un vieux con, je le dis : il faut garder le contact avec le livre “, soutient Paul Vacca. Dans Délivrez-vous ! Les promesses du livre à l’ère numérique, il pourfend les ” darwinistes ” qui ont déjà enterré le livre, et dresse le portrait d’un média ancestral taillé pour résister à la tempête numérique.

Pour Paul Vacca, le livre est un véritable exutoire. A contre-courant du brouhaha continu des médias sociaux, il capte l’attention du lecteur, lui offre la possibilité de prendre du recul. ” J’adore Internet, mais il y a des limites, pointe Paul Vacca, par ailleurs très actif sur Twitter. Le livre est un véritable outil de différentiation par rapport au numérique. A notre époque hyper-connectée, la lecture a presque un côté subversif. ”

La disparition du livre est un mythe. Il repose sur une illusion qui voudrait qu’un nouveau support, prétendument plus perfectionné, chasse l’autre. ” Paul Vacca

Le livre constituerait une sorte d’antidote aux notifications de nos applications, aux mails professionnels arrivant à toute heure du jour et de la nuit, aux querelles permanentes sur les réseaux sociaux… qui commencent à user les utilisateurs. Au point que les grands pontes de la Silicon Valley plaident aujourd’hui pour la déconnexion, véritable sas de décompression pour les mordus du smartphone. Le patron de Facebook Mark Zuckerberg lui-même a soutenu publiquement l’initiative ” Time Well Spent ” (Bien utiliser son temps), qui alerte sur l’overdose d’Internet ! Cette surconsommation démontrerait que la fracture numérique, qui touchait auparavant les exclus du digital, est en train de s’inverser : ” Alors que la connexion s’est démocratisée, c’est la possibilité de se déconnecter qui est devenue un luxe “, écrit Paul Vacca. Et la déconnexion ultime, vous l’aurez compris, c’est le livre papier.

Au fil de sa déclaration d’amour pour l’imprimé, l’auteur en profite pour régler ses comptes avec l’e-book, cet avatar raté de son illustre ancêtre. ” Le livre numérique est finalement assez symptomatique de bon nombre d’innovations numériques dont l’ambition semble se borner à apporter des solutions à des problèmes qui ne se posent pas “, grince Paul Vacca dans son ouvrage. La supériorité technologique de l’e-book est un leurre, estime-t-il. L’absence de reflets, l’autonomie de la batterie et la facilité de transport des liseuses sont des avantages bien peu compétitifs en comparaison de son équivalent physique.

Pas de raz-de-marée

Force est de constater que le livre numérique n’a pas réalisé un raz-de-marée sur le secteur de l’édition. D’après les derniers chiffres de l’Adeb (l’association des éditeurs belges), 7 % des lecteurs lisent exclusivement en numérique. Mais il est intéressant de constater que les deux formats coexistent : 44 % des lecteurs utilisent le papier et le digital. Logique, selon Philippe Goffe, patron de la librairie Graffiti à Waterloo et administrateur de Librel.be, le portail numérique des libraires francophones : ” L’e-book n’est pas une fausse bonne idée, c’est plutôt l’idée qu’on s’en est fait qui est fausse, explique-t-il. Ce n’est en fait qu’un support, complémentaire au papier. C’est une bibliothèque portative, bien pratique lorsqu’on nomadise. Il pourrait représenter une alternative au papier pour ce que j’appelle le fast book. Les clients en librairie le disent : ils sont entourés, parfois encombrés, de trop de livres proposés par l’actualité, et qu’ils ne garderont pas. Une bonne partie de nos ventes en numérique, ce sont ces ‘livres rapidement lus’. ”

Netflix, concurrent numéro un

Paul Vacca,
Paul Vacca, “Délivrez-vous ! Les promesses du livre à l’ère numérique”, Les Editions de l’Observatoire, 104 pages, 10 euros.© pg

Le livre ne serait donc pas directement menacé par le numérique. ” La disparition du livre est un mythe, écrit Paul Vacca. Il repose sur une illusion qui voudrait qu’un nouveau support, prétendument plus perfectionné, chasse l’autre. ” A l’heure du streaming musical, le vinyle, que l’on pensait éculé, fait son grand retour. Internet ne s’est pas substitué à la télévision, à la radio ou à la presse écrite. Les médias ont tendance à s’additionner plutôt qu’à se soustraire. Reste que la tornade numérique fait de la casse, grignotant la part des marché des supports traditionnels.

” Aujourd’hui, le concurrent numéro un du livre, c’est Netflix “, plante Paul Vacca. Toutes les formes de sollicitations, qu’elles soient intellectuelles ou de pur divertissement, sont aujourd’hui en concurrence. C’est ce que l’on appelle le business de l’attention. Et le numérique y prend une place de plus en plus importante. Les méthodes narratives perfectionnées de Netflix, le géant du streaming vidéo, sont à ce titre devenues un cas d’école. La plateforme est capable d’attirer l’utilisateur grâce à ses recommandations ciblées, à le maintenir en haleine avec ses séries ciselées, et enfin à le faire revenir encore et encore en poussant le spectateur au binge watching (consommation effrénée d’épisodes). En face, le livre tente de s’adapter à cette nouvelle donne : ” De plus en plus de livres sont aujourd’hui ‘sérialisés’, remarque Paul Vacca. C’est le cas par exemple de toute la littérature de fan fiction (livres écrits par des fans) autour de Game of Thrones. Dans un autre genre, un auteur comme Marc Levy est parvenu à trouver une formule qui marche et qui attire les lecteurs à chaque nouvelle sortie “.

La menace Amazon

Résultat paradoxal : les romans sont aujourd’hui touchés par un phénomène d’inflation incontrôlable, qui commence à ressembler au flux permanent du numérique. Lors de la dernière rentrée littéraire, 567 nouveaux romans sont venus garnir les rayons des librairies. Comment s’y retrouver ? Pour Paul Vacca, c’est là que le libraire ou le bibliothécaire joue son rôle utile de ” passeur “. C’est lui qui peut amener le lecteur vers des ouvrages moins connus, ou vers des domaines ou des sujets surprenants auxquels il n’aurait peut-être jamais songé. Le libraire Philippe Goffe approuve : ” Un best-seller, fabriqué ou non, n’a pas besoin de longs discours : s’il est lisible, avec un peu de marketing, un effet d’entraînement suivra. La parole du libraire sera par contre indispensable pour d’autres livres, ceux qui côtoient les premiers sans qu’on les connaisse. C’est le retour aux fondamentaux du métier “.

Un travail qui se situe à 1.000 lieues des froids calculs de l’algorithme de recommandation du géant du numérique Amazon, souvent présenté comme le fossoyeur des librairies. L’immense catalogue et la rapidité des livraisons via la plateforme américaine ont fait basculer une partie du marché vers les commandes en ligne. D’après les derniers chiffres publiés par le SNI (Syndicat neutre pour indépendants), le nombre de librairies a diminué de 17,8 % sur les cinq dernières années. Le dernier rapport de l’Adeb montre aussi qu’en 2017, le consommateur belge a dépensé en moyenne 129 euros pour l’achat de livres imprimés. Certes, c’est un recul de 3,7 % sur un an. Mais le livre n’est pas mort : il reste malgré tout le premier bien culturel dans le budget des ménages.

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