Livre électronique : comment Amazon joue avec les chiffres

© Reuters

C’est le buzz du moment: Amazon vendrait plus de livres électroniques que de livres papier. Pas tout à fait vrai… Décryptage.

Il faut se méfier des communiqués d’Amazon. La société n’est pas du genre à dévoiler ses chiffres. Et quand elle le fait, elle s’arrange toujours pour sélectionner habilement ceux qui l’arrangent. Depuis ce mardi, l’information selon laquelle Amazon vend plus de livres électroniques que de livres reliés se répand comme une trainée de poudre dans la presse et sur le web. Ce n’est pas tout à fait vrai. Car Amazon ne dit pas tout, loin de là.

Amazon cherche à développer Kindle, son e-Book, et c’est logique : chaque client du Kindle devient un client captif pour Amazon, puisque c’est le seul endroit où il peut se procurer les livres lisibles sur cette tablette de lecture. Pour cela, la société cherche à s’imposer dans l’esprit des consommateurs comme le leader sur ce marché et comme l’acteur le plus innovant. Ce qu’il était au départ, à l’époque où le premier Kindle est sorti. Mais entre temps la concurrence – notamment celle de l’iPad – s’est faite plus rude. Elle l’a conduit, entre autres, à baisser les prix de sa tablette de lecture.

Alors, pour que le réflexe “livre électronique = Amazon” reste gravé dans la tête des internautes, Amazon est prêt à quelques raccourcis. Ou à faire en sorte que la presse les fasse elle-même. Florilège.

“Pour un même ouvrage, Amazon vend plus de versions électroniques que de versions papier” : Cette interprétation, que l’on a vue dans la presse, est fausse. Les chiffres donnés par Amazon sont des moyennes : “Sur les trois derniers mois, pour 100 livres papier vendus par Amazon.com, il s’est vendu 143 versions Kindle” précise simplement le communiqué. Il ne s’agit pas d’un chiffre référence par référence.

“Les clients d’Amazon.com achètent désormais plus de livres électroniques que de livres papiers” : le terme de livre papier, dans le texte, est celui de “hardcover”, ce qui exclut les livres de poche (“paperback”). Le message principal d’Amazon est donc complètement faussé, puisqu’il exclut de son champ les livres de poche, qui représentent environ 46% du marché américain selon l’Association of American Publishers.

“Amazon a vendu plus de 3 fois plus de livres électroniques au premier semester 2010 qu’au premier semestre 2009” et “le taux de croissance des ventes de tablettes Kindle a triplé depuis que nous avons baissé le prix de 259 dollars à 189 dollars” : Amazon n’a jamais fourni de chiffres en valeur absolue et joue sur les coefficients multiplicateurs. Impossible d’avoir une vision d’ensemble de son activité.

Ces chiffres correspondent à “l’ensemble de l’activité livres d’Amazon.com aux Etats-Unis et incluent les ventes de livres papier y compris quand ils n’ont pas d’équivalent en version Kindle. Les livres électroniques gratuits sont exclus (…)” : Amazon tient compte des livres papier pour lesquels il n’existe pas de version Kindle, on se dit donc que si tous les livres sortaient en version Kindle, les chiffres seraient encore plus impressionnants… Mais premièrement, si l’on pose comme hypothèse que les livres les plus téléchargés sont les mêmes que les best-sellers papier (c’est ce qui se passe en France), et vu que le Kindle Store aligne déjà 106 des 110 best-sellers de la liste du New York Times, la marge de progression est moins élevée que cela n’y paraît de prime abord. Deuxièmement, les chiffres du communiqué incluent inversement les livres Kindle pour lesquels il n’existe pas de version papier. Dans le Kindle Store (qui aligne 630.000 références), on trouve aussi des livres autopubliés (un service gratuit pour les auteurs).

On ne connaît pas les marges d’Amazon. Est-il plus intéressant pour la société de vendre plus de livres électroniques que de livres papier ? Cela se traduit-il dans les résultats financiers ? La seule chose dont on est sûr, c’est qu’Amazon a tout intérêt à vendre davantage de Kindle. Mais vendre plus de livres électroniques ne signifie pas vendre plus de Kindle, car l’application Kindle est aussi disponible sur l’iPad ou encore sur les téléphones Android.

On accordera tout de même à Amazon que le marché du livre électronique est bel et bien sur une pente ascendante. Selon l’Association of American Publishers, les ventes ont progressé de 162,8% sur un an en mai 2010 à 29,3 millions de dollars, et de 207,4% de janvier à mai 2010. Les livres électroniques captent désormais plus de 8% du marché du livre aux Etats-Unis, contre moins de 3% un an plus tôt.

Raphaële Karayan

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