Le raz-de-marée Pokémon Go… Tentative d’explication

Le 1er avril 2014, Google s'associait avec The Pokemon Company pour proposer aux internautes de capturer des Pokemons via la cartographie Google. Deux ans plus tard, ce qui ne devait être qu'une blague s'est transformé en véritable raz-de-marée © BELGA

Sorti officieusement début juillet dans nos contrées, le jeu vidéo Pokémon GO a provoqué une véritable tempête médiatique. Tentative d’explication… et de dédiabolisation de cette réalité augmentée.

Pikachu, Salamèche, Ratata, Grotadmorv, Rafflésia… Depuis quelques jours, tous ces noms particuliers – et francisés pour permettre aux enfants de les apprivoiser phonétiquement – ont fait une réapparition remarquée au sein de la culture populaire, 20 ans tout juste après leur création. En débarquant (toujours officieusement) sur les smartphones occidentaux début juillet, le jeu Pokémon GO est ainsi venu s’éclater sur le monde économique, philosophique et du divertissement tel une Pokéball qui capturerait sans aucun souci un vulgaire Poissirène de niveau 3. Il faut dire que ce jeu, développé par Niantis et édité par Nintendo, semble posséder toutes les caractéristiques nécessaires pour faire prendre un nouveau virage à l’univers du jeu vidéo.

Des Pokémon dans le monde réel

Le 1er avril 2014, pour célébrer le fameux jour du poisson blagueur, Google s’était associé avec The Pokémon Company pour proposer aux internautes de capturer des Pokémons via la cartographie Google Maps. Mais visiblement, ce qui ne devait être qu’une blague a fonctionné à un tel point que Niantic, une start-up directement issue de Google – et dont le fondateur John Hanke a auparavant développé Google Maps et Street View – a décidé de garder l’idée au frais… pour proposer un jeu complet deux ans plus tard.

Pour jouer à Pokémon GO, il suffit de connecter son smartphone à l’application GPS qui permet à l’utilisateur de se voir sur une carte virtuelle. C’est sur celle-ci qu’il peut repérer les endroits où se cachent des Pokémon. Une fois sur place, avec la fonction appareil photo du smartphone, le Pokémon virtuel apparaît sur l’écran à travers le décor réel. Le joueur peut alors engager le “combat” pour s’emparer de la bestiole : un simple mouvement de doigt pour lancer une sphère censée conserver le Pokémon. Il est donc tout à fait possible de lutter avec ces drôles d’animaux aux abords d’un bois, devant l’épicerie du coin ou même dans l’église de la paroisse voisine.

Les clés du succès

Dès sa sortie, Pokémon GO a fait fureur. En quelques jours, l’application atteint la même part d’utilisation que Twitter, dépassant au passage Snapchat et WhatsApp. Des vidéos de capture de Pokémon défilent sur la toile et certains ” professeurs” proposent même leurs services contre une somme avoisinant les 20 dollars par heure !

” Pour moi, la grande nouveauté est la démocratisation d’un jeu en réalité augmentée, explique Bjorn-Olav Dozo, chercheur à l’ULg et spécialiste des jeux vidéo. C’est la première fois que le succès immédiat est aussi fort parce que beaucoup de jeux fondés sur la géolocalisation et la réalité augmentée sont déjà sortis sans devenir des killer apps.”

Deux paramètres sont importants dans ce succès : d’une part la facilité avec laquelle on peut manier les techniques que sont le GPS et l’appareil photo sur un smartphone, et d’autre part, Pokémon. “Le thème se prête admirablement bien à cette application, relance Bjorn-Olav Dozo. La génération qui utilise le plus Pokémon GO a actuellement 20 ans et a grandi avec ce dessin animé ou le jeu sur console. Et puis, à la base, Pokémon représente des gens qui cherchent quelque chose dans un univers fictionnel… Ici ça a été transporté dans notre univers, bien réel.”

Avec 7,5 millions de téléchargements aux Etats-Unis quelques jours seulement après sa sortie, Pokémon GO a écrasé la concurrence et est devenu un des plus grands succès rapides de l’histoire du jeu vidéo. Avec un avenir radieux devant lui ? ” Dans un jeu gratuit comme Pokémon GO, il existe deux types de joueurs : ceux qui s’amusent sans rien ajouter et ceux qui payent pour profiter de certaines fonctionnalités supplémentaires, précise Thibault Philippette, autre spécialiste du jeu vidéo et docteur en information et communication. Reste à voir si ce modèle économique ne va pas créer un déséquilibre trop important entre les joueurs, ce qui pourrait casser l’esprit de base du jeu.”

Critiques acerbes

Evidemment, ce trop-plein de succès ne pouvait pas rester inattaqué. A peine arrivé sur le marché, Pokémon GO a ainsi rencontré un (grand) lot de critiques. A côté des problèmes plus techniques (la batterie se décharge à une vitesse folle et le smartphone chauffe aussi rapidement que fortement dès qu’il utilise l’application), c’est cette sempiternelle question de la protection des données privées qui est revenue. Il faut en effet utiliser un compte Google pour jouer à Pokémon GO, autorisant du même coup Niantic à accéder aux mails et autres documents… ce qui ne relève pour autant pas du phénomène rarissime, il faut bien le concéder.

Il y a un côté social dans cette application car elle intègre notre réalite quotidienne au sein d'un univers virtuel
Il y a un côté social dans cette application car elle intègre notre réalite quotidienne au sein d’un univers virtuel© AFP

Sur le blog français Affordance, Olivier Ertzscheid, enseignant chercheur à l’Université de Nantes, s’est, quant à lui, posé la question des risques causés par les problèmes techniques. “Qu’advient-il si la cartographie GPS comporte une erreur ou une défaillance de mise à jour et, par exemple, oublie de vous signaler que nous n’êtes pas à 150 mètres du bord d’une falaise mais à seulement 1,50 mètre ? La question n’est pas tant de savoir “où” apparaissent lesdits Pokémon que de s’interroger sur la capacité de la personne les apercevant à interrompre et à interférer avec une situation donnée (qu’elle soit une situation de soins, de conduite, un rituel social, etc.).”

L’arrivée de Pokémon GO sur les smartphones du monde entier a en effet provoqué de nombreux couacs depuis début juillet, certains pouvant mener certains utilisateurs jusqu’à la mort (lire l’enca- dré “Les accros”). Mais pour Thibault Philippette, il faut relativiser ces faits extrêmes. “Evitons de considérer certains comportements temporels et dus au grand effet du lancement et de la mode comme définitifs. Il faudra voir avec la stabilisation du jeu. En observant Pokémon GO, on repère en effet déjà différents types de jeux et de joueurs, dont certains développent une forme de maturité.”

Peur de la nouveauté

Les deux spécialistes des jeux vidéo se rejoignent sur un point assez important : si Pokémon GO déplaît à certains, c’est probablement en grande partie pour son côté “trop” innovant. “Certains réagissent comme à l’époque de l’arrivée des téléphones portables dans les lieux publics ; c’était alors considéré comme quelque chose d’indigne, rappelle Bjorn-Olav Dozo. Selon moi, la plupart des critiques actuelles sont liées à la rhétorique des années 1990 sur les dangers et abus du jeu vidéo : le caractère asocial, violent – même si c’est moins le cas ici – et dépendant. C’est toujours le même type de discours qui peut être balayé assez rapidement.”

Prenons dès lors le caractère asocial. Certes Pokémon GO amène l’utilisateur à se focaliser sur son écran au point qu’il ne serait pas impossible de le voir bousculer son voisin de métro au cas où un Reptincel passerait entre les stations Porte de Namur et Arts-Loi. “Mais pour moi, il y a un côté social dans cette application car elle réintègre notre réalité quotidienne au sein d’un univers virtuel, glisse Bjorn-Olav Dozo. Les gens sortent de chez eux, on voit des chasses de Pokémons organisées à plusieurs et qui développent une dimension très collective dans l’utilisation du jeu : on n’est pas vraiment dans un cas où tout le monde est dans son coin.”

Des Pokémon tours ?

Pour s’assurer justement que des dizaines de joueurs ne se côtoient pas sans communiquer, Thibault Philippette insiste sur l’importance de l’éducation de l’utilisateur. “Pokémon GO va poser beaucoup de questions sur cet univers du jeu qui est circonscrit et sécuritaire – on peut mourir dans un jeu tout en restant vivant dans le réel – et qui vient se greffer à des contraintes réelles qui ne sont pas les mêmes que celles du jeu. Il faut donc alerter ou éduquer certains joueurs qui n’auraient pas la réflexion pour se rendre compte de cela.” Il suffirait alors d’un peu de prévention pour diminuer drastiquement le nombre (néanmoins peu élevé) d’utilisateurs qui ne comprennent pas qu’un Pokémon placé aux abords de la E411 est un bug du jeu et dangereux.

Heureusement, il existe également des lieux bien plus agréables, voire loufoques, pour lancer sa Pokéball. A Wellington, en Nouvelle-Zélande, deux ” dresseuses” ont ainsi loué un kayak pour aller capturer les Pokémon d’une “arène” située… au beau milieu du port. “S’il ne s’agit pas d’un cas isolé, on peut toutefois se demander comment la municipalité de Wellington réagira si l’arène est amenée à rester… Peut-être la mettra-t-elle à profit pour proposer un nouveau service de circuits touristiques spécialement dédiés aux dresseurs ?”, se demande le journaliste Philippe Gargov sur le site internet Pop-Up-Urbain.

Du tourisme grâce aux Pokémon ? Pourquoi pas. Sur le site internet de la marque, on apprend en tout cas que les joueurs peuvent se fournir en matériel lié au jeu de manière originale : il suffit ainsi de se rendre près d’un endroit tel qu’une création artistique publique ou un monument historique et de le prendre en photo pour obtenir des Pokéballs ou autres objets. Le joueur repartira grandi aussi bien matériellement que culturellement.

Les accros

Top 5 des situations les plus extrêmes ou loufoques engendrées par Pokémon GO :

– Au front, face à l’Etat Islamique, un soldat volontaire américain s’est filmé en train de capturer son premier Pokémon.

– Alors qu’elle cherchait un Pokémon, une Américaine est tombée sur un cadavre. Un vrai.

– Le musée de l’Holocauste a demandé à être retiré de Pokémon GO après qu’un Smogo (Pokémon qui dégage du gaz mortel) ait été capturé sur place.

– Absorbés par leur partie de Pokémon Go, deux adolescents ont traversé illégalement la frontière américaine.

– Un Néo-Zélandais a décidé de quitter son boulot pendant deux mois pour devenir… chasseur de Pokémon professionnel.

L’aube d’une révolution ?

Bien entendu, ce phénomène Pokémon GO interpelle les spécialistes du jeu vidéo qui se rendent compte qu’une page importante est peut-être en passe de s’écrire. “C’est difficile de parler en termes de révolution ponctuelle, calme néanmoins Bjorn-Olav Dozo. Mon collègue Julien Annart dit que ‘le jeu vidéo a révolutionné le monde mais le monde ne le sait pas encore’. Je trouve que c’est une bonne formule car certaines des technologies actuelles existent et sont présentées comme des révolutions depuis quelque temps mais n’avaient jamais eu une telle popularité. C’est donc la massification qui est vraiment intéressante à observer dans ce phénomène.”

A l’instar du cinéma, capable de se réinventer au fil du temps, le jeu vidéo semble donc en passe de poursuivre son développement entre convergences de différents types de jeux, évolution du support et des thématiques… Nul doute que Nintendo aura un rôle à jouer, elle qui a vu son action augmenter ponctuellement de 100 % quelques jours seulement après la sortie de Pokémon GO.

Par Emilien Hofman

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content