La “neutralité du net”, symbole de liberté ou frein à la technologie ?

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L’Agence fédérale des communications américaine (FCC) se prononce ce jeudi sur un projet d’abrogation de la règle assurant la “neutralité du net”, estimant qu’elle est un frein aux investissements alors que ses détracteurs craignent la création d’un “internet à deux vitesses”.

La neutralité, c’est quoi ?

Le concept date des débuts d’Internet et oblige les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à traiter les contenus de manière égalitaire. Le débat oppose les différents acteurs, qui affirment tous vouloir défendre un internet “ouvert et libre”, depuis plus d’une décennie, et s’est déjà porté devant les tribunaux.

Les défenseurs de la neutralité craignent que ces opérateurs de télécommunications ne créent un “internet à deux vitesses” en faisant payer davantage pour un débit plus rapide ou en bloquant certains services leur faisant concurrence comme la vidéo à la demande, la téléphonie par internet ou les moteurs de recherche.

Pour les partisans du projet de la FCC, les règles actuelles assimilent les opérateurs à des services publics et empêchent les investissements dans de nouveaux services comme les vidéo-conférences, la télémédecine et les véhicules connectés qui ont besoin du haut-débit.

La neutralité, c’est depuis quand ?

Pour Tim Wu, professeur de droit, à qui l’on doit le terme de “neutralité du net”, le principe général date des années 1970, quand les régulateurs ont cherché à empêcher AT&T, qui possédait alors le monopole des télécommunications, de bloquer ou perturber l’essor des nouvelles sociétés de téléphonie.

Au début des années 2000, des tentatives de régulation s’étendant au monde de l’Internet naissant ont échoué, plusieurs décisions de justice refusant d’assimiler les FAI à des “entreprises de télécommunications”.

Ce n’est qu’en 2015 que la FCC a finalement pu assimiler ces fournisseurs d’accès à internet à haut-débit à des entreprises de télécommunications, mais en utilisant une loi remontant à… 1934.

Ajit Pai, nommé à la tête de la FCC par le président Donald Trump, affirme que les régulations actuelles découragent les investissements dans le haut-débit. Il plaide pour le retour à une “approche réglementaire légère” revenant à la situation du début des années 2000 qui a permis à l’Internet de s’épanouir.

Mais pour les entreprises technologiques et les défenseurs des droits numériques, cela pourrait mener à la mort de l’Internet dans sa forme actuelle.

La neutralité, c’est fini ?

Ce que feront les FAI après ce changement reste incertain. Les grands opérateurs – dont AT&T, Comcast et Verizon – assurent que le fonctionnement d’Internet ne changera pas et qu’ils auront les mains libres pour investir dans de nouvelles technologies.

“Il y aurait beaucoup de résistance” en cas de blocage de contenus, estime Doug Brake, de la Fondation des technologies de l’Information et de l’Innovation, un centre de réflexion basé à Washington. Il cite la “pression sociale” et les menaces d’enquêtes des autorités anti-monopole qui pourraient aboutir au retour d’une neutralité stricte après un nouveau changement d’administration.

Mais les défenseurs de la neutralité craignent qu’une différenciation imposée par les opérateurs n’entraîne une hausse des coûts des gros utilisateurs de données comme Netflix ou d’autres services de vidéo en continu, qu’ils compenseraient ensuite en augmentant leurs abonnements.

Pour les jeunes entreprises technologiques, qui n’ont pas les ressources de Google ou de Facebook, la nouvelle directive est “une barrière à l’innovation et à la concurrence”, estime Ferras Vinh, du Centre pour la démocratie et la technologie, qui défend la neutralité. “C’est un combat pour que la prochaine génération de jeunes pousses ait un espace pour innover et diffuser de nouvelles idées”.

La FCC promet la “transparence” et assure que les plaintes seront traitées par une autre agence, la Commission fédérale de la concurrence (FTC), spécialisée dans la protection des consommateurs et les règles anti-monopole.

La nouvelle directive pourrait aussi être attaquée en justice.

La neutralité, c’est mondial ?

De nombreux pays basent leurs législations Internet sur le modèle américain. L’Union européenne a voté des directives mais chaque Etat-membre a sa propre régulation.

La situation américaine est unique car ce sont des opérateurs privés qui créent et investissent dans leurs propres réseaux, alors qu’ailleurs, les infrastructures appartenant à un actuel ou ancien monopole sont partagées. “Cela va pousser les opérateurs à explorer de nouvelles voies pour être compétitifs dans un secteur où les coûts fixes sont élevés”, estime Doug Brake.

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