Paul Vacca

La culture est-elle utile dans le monde des start-up ?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

On a pu lire de-ci de-là que l’avenir du management, c’était la bienveillance. Même le magazine Forbes prétend que c’est la clef de la réussite. Pourtant en scrutant le célèbre classement de ce même magazine, le rôle de la bienveillance dans la réussite des entrepreneurs ne saute pas franchement aux yeux. Ou alors c’est qu’ils cachent bien leur jeu. Et il en va un peu de même avec la culture…

Certaines tribunes vantent l’effet compétitif des humanités ou de la culture générale dans l’entreprise. En interview, les entrepreneurs avouent que se cultiver leur permet de prendre du recul, de s’ouvrir sur le monde, de mieux saisir la complexité qui les entoure, d’être plus affûtés, et qu’elle les rend même plus productifs…

Là aussi quelque chose nous a échappé. Car dans la réalité – et notamment celle de la nouvelle économie – il semble qu’il en aille un peu autrement. La culture est-elle vraiment aussi utile que cela à l’heure des start-up ? Car à écouter certains évangélistes de la transformation digitale ou promoteurs de l’intelligence artificielle la réponse est clairement non. A part pour briller dans un TEDx talk ou gagner un pari, la culture est tout simplement inutile. Pourquoi se cultiver alors qu’on a Google ? Pour certains, la connaissance serait même devenue une simple commodité – une marchandise – qui ne vaudrait plus rien puisque n’importe quelle information est disponible à portée de clic. Et puis les robots seront toujours plus forts de nous au jeu de la liste des merveilles du monde, des batailles napoléoniennes ou pour les meilleures années en bordeaux.

Non seulement la culture est inutile, mais c’est une pure perte de temps. Lire Proust ou s’intéresser à l’art préraphaélite, c’est autant de temps perdu à ne pas prendre la révolution en marche. Celle de l’intelligence artificielle, du machine learning, des algorithmes ou du code. Le grand penseur Tim Cook – accessoirement patron d’Apple – n’a-t-il pas déclaré qu’apprendre à coder était plus important qu’apprendre une langue étrangère aujourd’hui ? Heureusement que Microsoft, Google et Facebook lancent des campus ou des plateformes en Europe pour dispenser ce savoir de façon si désintéressée.

Comment ne pas penser au journaliste Sidney J. Harris pour qui le vrai danger n’était pas que l’ordinateur pense comme l’homme, mais que l’homme se mette à penser comme un ordinateur.

Le problème est plus profond que cela encore. La culture est non seulement inutile, elle est de fait contre-productive, nuisible même. Dans ce monde de la ” transformation digitale “, où tout est bousculé dans l’urgence du futur immédiat, la culture représente nécessairement une attache qui nous arrime au passé. La disruption – et le paradigme de la rupture sur lequel se fonde la nouvelle économie – s’accommode mal avec l’idée de culture. C’est une incompatibilité fondamentale.

Cette essence ” a-culturelle ” portée par Internet, Alessandro Baricco l’avait parfaitement pressentie dès 2006, date de la parution en Italie de son essai intitulé Les Barbares (Gallimard). Il y décrit la mutation numérique. Le village de la culture est-il mis à sac, se demande-t-il ? Et il répond par l’affirmative. Avec une certaine fascination pour ceux qu’il appelle les barbares. Car bien sûr il y a eu quelque chose de galvanisant dans cette révolution. Comme les sursauts des avant-gardes artistiques avec leur manifestes électriques en tension vers le futur, sans aucune révérence pour le passé. Quelque chose du futurisme ou du punk. La fascination pour les tabulae rasae.

Mais aujourd’hui cette énergie des avant-gardes semble s’être dissipée, en cédant sa place à une forme d’académisme : l’académisme de la disruption. Le mouvement s’est enferré dans un paradoxe à la Zénon : un effet stroboscopique du plus bel effet où la gesticulation se fige en immobilisme. Rien ne semble plus statique que cet appel perpétuel au mouvement. Et rien ne paraît plus codifié que cette injonction permanente à être différent, à agir autrement, à penser out of the box. Du coup, l’idée même d’innovation a pris un coup de vieux. Et les nouveaux campus offerts par les GAFA qui veulent enseigner le code ne contribuent qu’à codifier encore plus les visions.

Comment ne pas penser au journaliste Sidney J. Harris pour qui le vrai danger n’était pas que l’ordinateur pense comme l’homme, mais que l’homme se mette à penser comme un ordinateur. Et si dans un mouvement de balancier, la culture devenait la prochaine disruption ? Pour le coup, ce serait une véritable innovation. La disruption de la disruption, en quelque sorte.

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