L’obsolescence programmée ou ces appareils paramètrés pour la panne

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En concevant des équipements fragiles et souvent impossibles à réparer, les industriels nous ont fait entrer dans l’ère du tout jetable. Avec la complicité des consommateurs, toujours prêts à acheter le dernier joujou high-tech à la mode.

“C’était mieux avant.” Bien sûr, le discours est usé jusqu’à la corde, pourtant, il resurgit encore et encore. On l’entend même désormais dans les rayons high-tech des grands magasins. Votre imprimante vient de vous lâcher ? “C’est normal, explique le vendeur. Les constructeurs ne font plus comme avant des produits de qualité.” Vous désirez acheter un ordinateur qui dure dix ans ? “Impossible, jure son collègue. C’est fabriqué en Chine, alors…”

Jamais les vendeurs aux arguments commerciaux millimétrés n’ont tenu de discours aussi décomplexé. Oubliées, la Mère Denis et sa machine à laver increvable. A l’heure du mass market, tout est jetable. Il faut dire que, en quelques années, la durée de vie des produits électroniques et électroménagers s’est réduite comme peau de chagrin. Téléphones, ordinateurs, lave-linge, grille-pain… Aucun produit n’échappe à la tendance.

Panne programmée Aujourd’hui, il ne faut guère espérer faire vrombir son aspirateur flambant neuf plus de cinq cents heures au total. La durée de vie des imprimantes destinées au grand public atteint à peine trois ans et celle des ordinateurs portables est comprise entre deux ans et demi et cinq ans au maximum. Les écrans plats meurent aussi rapidement.

Selon le site spécialisé Les Numériques, leur taux de panne pourrait atteindre 34 % au bout de quatre ans pour certains modèles. Enfin, un grand nombre de batteries de smartphones et de tablettes seraient conçues pour ne pas dépasser de 300 à 400 cycles de charge, affirment les réparateurs, ce qui représente à peine de deux à trois ans d’utilisation. “Il n’existe aucune norme, aucun standard pour mesurer et comparer la durée de vie de tel ou tel appareil”, regrette Jean-Charles Caudron, expert de l’Ademe. Le plus grave ? Une fois en panne, les appareils sont difficilement réparables.

Alors que les achats d’équipements électroniques ont été multipliés par six entre 1990 et 2007, les dépenses de réparation ont chuté de 40 % sur la même période, d’après l’Ademe. Seulement 44 % des appareils tombant en panne seraient réparés. Et le nombre d’entreprises de réparation a chuté de 22 % entre 2006 et 2009. De là à imaginer que certains industriels conçoivent soigneusement la durée de vie de leurs produits, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. “Evidemment, le sujet est tabou chez les industriels, et il faut se battre pour obtenir des informations”, ajoute Thierry Libaert, rapporteur du texte sur l’obsolescence programmée au Comité économique et social européen.

Pris la main dans le sac Il faut dire que certaines grandes marques se sont fait prendre la main dans le sac. Epson est sans doute l’exemple le plus frappant. Le fabricant d’imprimantes avait intégré, il y a quelques années, une puce dans certains de ses modèles afin de limiter le nombre d’impressions à 18 000 pages. En partageant des informations sur les pannes grâce à Internet, les utilisateurs ont fini par découvrir le pot aux roses.

Apple a aussi été piégé : la durée de vie des batteries de ses premiers iPod était limitée à dix-huit mois. Or le constructeur ne proposait pas de batterie de rechange. Il a fallu une action en justice menée par de nombreux consommateurs lésés pour obliger la marque à la pomme à assurer le remplacement des batteries, à étendre la garantie et à dédommager les plaignants.

Aux Etats-Unis, dans les années 20, le cartel Phoebus, réunissant Philips, Osram et General Electric, s’était fait épingler pour avoir limité la durée de vie des lampes à incandescence à mille heures, contre deux mille cinq cents auparavant.

Des pièces de rechange indisponibles ou trop chères La multiplication de pièces en plastique fragilise les appareils. Avant, il était possible de changer facilement les roulements du tambour d’un lave-linge. Aujourd’hui, les cuves sont fabriquées avec des roulements sertis. Si ces derniers cassent, il faut tout changer !

Au bout d’un certain temps, les pièces de rechange ne sont plus disponibles ou sont trop chères. Parfois, les chargeurs des nouveaux appareils ne sont pas compatibles avec les anciens. La batterie peut être collée au lieu d’être vissée…

De manière générale, les constructeurs diffusent peu d’informations sur leurs produits. Pis, ils en suppriment parfois. Toshiba a ainsi fait disparaître l’an dernier un nombre important de manuels de réparation de ses produits sur Internet.

Les produits écologiques boudés Dans ce grand gaspillage high-tech, difficile de n’accuser que les industriels. Les consommateurs, drogués aux bidules dernier cri qui font le buzz chez les geeks, sont aussi complices de cette gabegie. Oubliant les discours sur l’environnement, ils se ruent chaque année sur les nouveaux joujoux d’Apple. Malgré leurs prix prohibitifs !

L’obsolescence liée au marketing et à la mode est très forte. Elle est même si forte qu’elle conduit les consommateurs à bouder les produits les plus écologiques, témoigne Mark Goedkoop, directeur général du cabinet de consultants PRé. En 2008, Nokia avait lancé un téléphone recyclable avec une batterie plus performante. Les consommateurs n’ont pas suivi. Plus récemment, Paul Maher, un entrepreneur irlandais, a commercialisé Iameco, un ordinateur recyclable à 98 % muni d’une coque en bois. L’appareil ne manque pas d’atouts : il est silencieux, consomme peu et, surtout, sa durée de vie dépasse dix ans. Pourtant, il peine à séduire. Et Phone Block, un appareil entièrement composé de pièces que l’on peut remplacer, reste, lui, au stade de projet… faute de gros financeurs.

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