L’iPhone est-il vraiment rentable pour les opérateurs ?

L’iPhone 4, qui sort demain en France notamment, est parti pour se vendre comme des petits pains. Est-ce vraiment une bonne nouvelle pour les opérateurs ? L’équation économique est complexe, et les conséquences pour les consommateurs ne sont pas anodines. Explications par l’exemple français.

La quatrième génération du smartphone d’Apple sera disponible jeudi en France. L’iPhone 4 est déjà bien parti, puisque SFR a dû stopper les précommandes au bout de trois jours pour cause de demande supérieure aux stocks. Aux Etats-Unis, l’opérateur AT&T qui le commercialise en exclusivité, ainsi qu’Apple ont fait de même, enregistrant au total 600.000 précommandes en une journée.

3,5 millions d’iPhone ont été vendus en France depuis 2007 (dont plus de 1 million par SFR et 650.000 par Bouygues Telecom) et environ 35 millions dans le monde. Les opérateurs se sont battus pour pouvoir le commercialiser. Pourtant, l’iPhone n’est pas la poule aux oeufs d’or que l’on croit pour les opérateurs.

Un téléphone qui coûte cher aux opérateurs

L’iPhone est un terminal deux fois plus subventionné que les autres smartphones. Il leur en coûte environ 320 euros dans l’Hexagone, ce qui a d’ailleurs fait tiquer l’Autorité française de la concurrence. Vendu dans un forfait, le téléphone est accessible à partir de 199 euros pour les consommateurs. En outre, les opérateurs ont de quoi ruminer le fait qu’ils ne touchent rien sur la vente d’applications, marché qui a atteint 3 milliards à 4 milliards de dollars dans le monde en 2009 selon Booz&Co, alors qu’Apple, lui, prend 30 % de commission sur chaque application vendue.

Apple a fait fort en réussissant à convaincre les opérateurs de mettre le paquet pour écouler des iPhone, tout en faisant tout pour s’affranchir de leur emprise dans l’écosystème mobile. Avec l’iPad, il est arrivé au bout de sa logique en ne les autorisant même pas à commercialiser sa tablette. Encore, lorsque l’exclusivité était tolérée, les opérateurs pouvaient-ils espérer gagner en image de marque et en différenciation. Ce n’est plus le cas en France depuis la fin de 2009.

Autre problème : les propriétaires d’iPhone consomment en moyenne dix fois plus de bande passante que les autres utilisateurs de smartphone , et représente 65 % des pages vues sur mobiles. Ce sont surtout eux qui coûtent cher en gestion d’infrastructure réseau. Certes, l’iPhone a fait décoller la consommation de données. Mais avec des forfaits illimités, le revenu incrémental ne se retrouve pas dans les comptes des opérateurs.

Alors, hypnotisés par Apple, les opérateurs ? Le fait est qu’en septembre 2009, la société de conseil danoise Strand Consult affirmait, sur la base d’une analyse financière, que l’iPhone ne créait de la valeur pour aucun opérateur. Un discours à contre-courant de celui des opérateurs, comme Orange qui se félicitait que l’iPhone ait compté pour 77 % de ses nouveaux forfaits vendus à Noël 2009.

L’analyse de Strand est cependant partagée par d’autres. Dans une note sur les tendances du secteur mobile en 2010, Thomas Husson, analyste chez Forrester, notait en début d’année que les opérateurs commenceraient à remettre en question la rentabilité du terminal, et pointait le risque de plus en plus grand lié à leur dépendance à la marque Apple.

Des abonnés qui consomment beaucoup… mais pas forcément rentables

Selon Booz&Co, l’Arpu (revenu par abonné) des abonnés iPhone est 2,45 fois plus élevé, en Europe, que l’Arpu moyen. D’après les chiffres de l’Arcep, la facture mensuelle d’un abonné mobile moyen en France s’élève à près de 32 euros, contre une soixantaine d’euros pour un abonné iPhone.

Un bon point pour les opérateurs, mais il y a deux bémols. Le premier : “Plus la pénétration de l’iPhone est importante, plus le différentiel entre l’Arpu d’un abonné iPhone et l’Arpu moyen diminue”, explique Pierre Péladeau, vice président Telecoms du cabinet Booz&Co.

Le deuxième : encore faut-il conserver l’abonné… S’il part à la concurrence avec son iPhone sous le bras pour contracter un nouveau forfait sans mobile, c’est le jackpot pour le concurrent. Avec la fin des exclusivités, on se retrouve donc avec une situation surtout favorable à Apple et aux consommateurs, les opérateurs essayant de retenir leurs abonnés avec des forfaits les moins chers possible.

Comme le note Strand Consult, c’est à Apple que les clients sont fidèles, pas à leur opérateur. Le fait que l’iPhone contribue à réduire le taux de désabonnement n’est pas prouvé. Inversement, on ne peut pas affirmer que proposer l’iPhone contribue à augmenter le recrutement de clients, si ce n’est en pratiquant une guerre des prix.

Dans ces conditions, tout l’enjeu pour les opérateurs consiste à rentabiliser la consommation de données par les abonnés iPhone. “70 % à 90 % du volume total des échanges sur les réseaux mobiles correspondent aux données, la voix ne représentant que 10 % à 30 %, indique Pierre Péladeau. En revanche, les données ne rapportent que 10 % à 15 % des revenus des opérateurs. Il y a vraiment un déséquilibre.”

Haro sur les forfaits illimités

Selon un connaisseur du secteur, les forfaits illimités étaient au lancement de l’iPhone une condition réclamée par Apple aux opérateurs pour commercialiser son smartphone. Or, ces forfaits ont du plomb dans l’aile, comme on l’a vu aux Etats-Unis chez AT&T et en Angleterre chez O2.

“Les forfaits illimités ont aidé la pénétration de l’iPhone sur le marché mais la bande passante est devenue une ressource rare, analyse Pierre Péladeau. La question aujourd’hui est : comment gérer la pénurie ?Tous les opérateurs attendent le bon moment pour basculer sur un autre modèle car la situation n’est pas tenable. Il y a plusieurs solutions pour monétiser la consommation de données : différencier les tarifs soit en fonction du volume consommé, soit en fonction de la qualité de service offerte à l’utilisateur final. Les opérateurs peuvent aussi se permettre de faire payer des services comme la VOD en fonction de la qualité de service.”

“Tout l’enjeu pour les opérateurs repose dans le marketing des forfaits illimités, ajoute Thomas Husson. Il faut trouver un équilibre subtil, une générosité suffisante pour ne pas brider les usages.”

Car il ne s’agirait pas d’étouffer les clients des autres terminaux, potentiellement plus rentables que ceux d’Apple. Ce n’est pas pour rien que les opérateurs investissent pour mettre en avant, notamment, les terminaux équipés du système d’exploitation Android.

Raphaële Karayan, L’Expansion.com

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