Groupon : la face cachée d’une croissance record

© Bloomberg

Le site d’achat groupé a enfin déposé son dossier d’introduction en bourse. Groupon a toutefois dévoilé des données financières qui jettent une lumière troublante sur son modèle économique.

C’est confirmé. Groupon est bien l’entreprise dont la croissance est la plus rapide du monde. Le site, qui propose des bons de réduction en ligne à valoir dans des commerces et des services, a dévoilé ses données financières en déposant son dossier d’introduction en bourse. Il en ressort que la start-up, créée il y seulement trois ans, avait déjà atteint un chiffre d’affaires de 713 millions de dollars en 2010. Soit une hausse de 2346% sur un an! Bien mieux que Google au même âge. Et pourtant ce chiffre a un peu déçu. Il se situe dans le bas des estimations des analystes qui l’attendaient à plus de un milliard, voire à deux milliards. Heureusement, les performances du premier trimestre 2011 confirment le maintien d’une dynamique exceptionnelle avec des ventes de 646 millions de dollars.

Le vrai chiffre d’affaires de Groupon

En fait, il faut déduire des ventes brutes générées par Groupon ce qu’il reverse aux commerces partenaires, soit environ 60% de ce montant. Le chiffre d’affaires net s’élève ainsi à 280 millions de dollars en 2010 contre 11 millions en 2009. Et à 270 millions au premier trimestre.

De tels chiffres soulignent que Groupon a bien mis au jour une “killer application”, comme on disait au temps de la bulle internet. En moins d’un an, le nombre de ses abonnés à son service d’alerte de bonnes affaires est ainsi passé de 3,4 millions à 83 millions. Et le nombre de commerçants qui font appel à ses services est passé de 2900 à près de 57.000. Une expansion mondiale : le site s’est en effet parallèlement implanté dans 45 pays. Ce qui a amené Groupon à embaucher à tours de bras. Il compte aujourd’hui 7100 salariés. Le problème, c’est qu’une croissance aussi extraordinaire à un coût également très élevé. Et c’est ce qui fait tiquer nombre de commentateurs.

La croissance avant la rentabilité

Car Groupon n’est toujours pas rentable. Après trois ans seulement d’existence, cela n’a rien d’infamant. Le problème, c’est que ses pertes opérationnelles cumulées s’élèvent à 540 millions de dollars et que le site a tendance à en minimiser l’importance. Ce n’est pas que le site manque d’argent, au contraire, mais le “cash burning rate”, la vitesse de consommation du cash inquiète tout de même. La perte nette de la start-up est ainsi passée de 6,9 millions de dollars en 2009 à 450 millions en 2010. Et à 146 millions pour le seul premier trimestre. Or le fondateur de Groupon justifie cette stratégie de croissance effrénée dans une lettre aux investisseurs où il ne se fixe pas d’objectif précis pour atteindre l’équilibre.

“Nous dépensons beaucoup d’argent pour acquérir de nouveaux abonnés car nous pouvons en mesurer les retombées et croyons à la valeur à long terme de la place de marché que nous créons, écrit ainsi Andrew Manson. Dans le passé nous avons fait des investissements de croissance qui ont transformé des prévisions de profits confortables en pertes notables.” Et d’avertir ses investisseurs potentiels qu’il continuera à privilégier à investir pour le long terme “sans tenir compte de certaines conséquences à court terme”.

“C’est tellement ‘1999’ de perdre un demi-milliard de dollars et d’afficher un visage sans complexe à ce sujet” s’amuse Sucharita Mulpuru, analyste spécialisé dans le commerce de détail chez Forrester Research, citée par la blogueuse de Forbes, Maureen Farrell. Sauf que cela ne fait pas rigoler tout le monde.

Des dépenses marketing qui inquiètent

Les dépenses engagées en publicité sur le web et en emailing pour augmenter le nombre d’abonnés commencent à inquiéter : elles se sont élevées à 263 millions de dollars en 2010 et à 208 millions pour le seul premier trimestre. Groupon affirme que ces dépenses sont appelées à se réduire naturellement, l’argument ne convainc pas forcément. Car si le site a 83 millions d’abonnés, il n’a vendu que 28 millions de coupons de bonnes affaires au cours du premier trimestre. Soit un taux de 33% seulement d’utilisateurs actifs sur trois mois.

De plus, si Groupon a inventé et domine le marché, il a suscité un nombre considérable de concurrents avides de creuser le filon. Soit la bagatelle de 482 imitateurs, parmi lesquelles de nombreux petits acteurs, mais également des géants particulièrement dangereux comme Facebook ou Google. Le gâteau de l’achat groupé via des coupons de réduction est peut-être bien réel, un courtier parlant même de ” la chose la plus révolutionnaire qui soit arrivée dans la distribution depuis l’avènement du e-commerce “, il devra être partagé. Le coût de maintien d’une position dominante est donc bel et bien posé.

Sans compter que Groupon n’est pas un site d’intermédiation qui fonctionne entièrement sur internet. A la différence d’un eBay, il a dû développer un réseau de 3500 commerciaux capables de prospecter des commerces partenaires. Des salariés qui apportent des affaires mais doivent également améliorer le service rendu en répondant ainsi aux critiques qui ont été formulées à son encontre. Mais cela coûte là encore beaucoup d’argent.

Face à ces interrogations sur son modèle économique, Groupon n’hésite pas à demander que lui soient appliqués de nouveaux critères financiers, conforme selon lui, à son originalité. Et de mettre ainsi en avant un revenu opérationnel ajusté qui exclut les coûts d’acquisition d’utilisateurs !

Le problème, c’est que le site prétend pouvoir jouer dans la cour des très grands. Certes, il n’a pas précisé quelle portion de capital il entendait mettre sur le marché en échange des 750 millions de dollars qu’il a déclaré vouloir lever en déposant son dossier d’introduction. Mais ce chiffre qui ne serait de toutes façons qu’indicatif croit le blog DealBook du New York Times. Citant des “personnes proches du dossier qui ne veulent pas être citées”, il évoque un objectif de levée de 3 milliards de dollars pour une fourchette de valorisation comprise entre 25 et 30 milliards de dollars. Soit dans les deux cas plus que Google lors de sa première cotation.

Yves Adaken, L’Expansion.com

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