Groupon : arnaque ou bonne affaire ?

Clients déçus, commerces mis en difficulté par un afflux incontrôlé de coupons vendus… Groupon lui-même reconnaît des erreurs mais le tableau n’est pas si sombre. Faut-il encore avoir foi dans le modèle de l’achat groupé local ? Enquête.

En mai 2010, les internautes français découvraient Groupon, le site de deals d’achats groupés locaux à la croissance la plus rapide de l’histoire du Web. Le 6 mars 2011, les téléspectateurs de l’émission Capital, sur la chaîne française M6, découvraient qu’il y avait “forcément-une-arnaque-quelque-part” dans ces bons plans. Fin mars, une commerçante belge expliquait sur Facebook comment Groupon avait entraîné la faillite de sa boutique de décoration (lire l’encadré), ce qui a ouvert une brèche à d’autres accusations d’escroquerie. Des attaques qui pourraient remettre en cause le modèle économique de Groupon et son objectif de valorisation en bourse de 25 milliards de dollars. Car, ne l’oublions pas, la bulle guette.

Il n’est pas difficile de trouver des critiques de Groupon sur le Web : des clients insatisfaits ou des commerçants qui se disent floués. Sur les blogs, on trouve des démonstrations mathématiques, qui, à coups de calculs de rentabilité, prouvent soit que Groupon est une bonne affaire pour les marchands, soit une mauvaise… soit que ça dépend. Pas facile donc d’en tirer des conclusions définitives.

Plus intéressante, peut-être, une enquête de l’Université de Rice (Texas), réalisée auprès de 150 commerçants ayant travaillé avec Groupon, a montré que 66 % des opérations étaient rentables mais que 42 % des commerces ne souhaitaient pas renouveler l’expérience. Parmi eux, un cinquième de ceux qui y ont pourtant trouvé leur compte. Mais Groupon conteste ces chiffres et parle plutôt, sur son site vitrine, de 97 % de commerçants voulant renouveler l’expérience.

Chez Groupon France, on explique que “les commerces veulent recommencer mais pas tout de suite, le temps d’absorber la première opération”. Pour y voir plus clair, essayons de démêler l’info et l’intox dans les critiques adressées à Groupon.

“Ce n’est pas rentable pour les commerces”

Groupon prélève une commission de 50 % sur les transactions, et impose des ristournes d’au moins 50% sur les coupons. Il y a au moins une raison à ces commissions élevées : le coût des commerciaux, employés sur le terrain pour aller décrocher des contrats avec les commerces. En France, il y en a 110. Stéphane Cohen, fondateur et PDG de Pricebuzz, un site d’achats groupés qui devrait ouvrir cet été, explique qu’il a réussi à ramener sa commission entre 6 et 15% en fournissant une plateforme permettant aux commerçants de régler eux-mêmes les paramètres de leur deal, sans passer par un commercial.

Les restaurants, qui représentent 20-25% des deals de Groupon France, auraient particulièrement du mal à rentabiliser leurs opérations. C’est ce qui ressort quantitativement de l’étude de l’université de Rice, et qualitativement des témoignages de petits restaurateurs recueillis par le fondateur d’Allobonplan, un comparateur de deals français.

Les principales causes sont que les clients ne dépensent pas plus que la valeur du coupon, et qu’ils ne reviennent pas. Il semble en effet que l’on trouve beaucoup de “chasseurs de bonnes affaires” parmi les internautes de Groupon. Mais le site travaille à une parade : envoyer ses offres uniquement aux membres les plus proches du commerce.

En outre, Romain Boyer, blogueur sur Commercesocial.net, relativise l’aspect rentabilité immédiate. “Quand les commerces font zéro marge, ils ne se rendent pas compte qu’ils font peut-être quand même une bonne affaire.” Ce n’est pas Groupon qui dira le contraire. “Ce sont des opérations de long terme. C’est ce qu’on raconte aujourd’hui à nos partenaires. On leur dit qu’ils investissent pour faire une opération de recrutement, et qu’une fois que le client est là il faut le séduire, le réinviter à venir consommer chez eux”, explique Philippe Jochem, directeur commercial France de Groupon.

C’est particulièrement vrai pour les petits commerces, comme l’expliquait à Lexpansion.com en novembre le PDG de Groupon France, Franck Zorn : “Pour les gros acteurs, l’intérêt c’est un modèle de publicité très axé sur la performance et le retour sur investissement. Pour les petits, c’est un moyen de gagner en notoriété, et de se constituer une base de clients.”

Or, la façon dont le commerçant juge la rentabilité de son partenariat avec Groupon a des conséquences très concrètes pour le client: l’accueil est meilleur chez les commerçants qui y trouvent leur compte. Ceux qui estiment que cela ne leur rapporte rien pouvant en plus être tentés de gonfler artificiellement leurs prix pour retomber sur leurs pieds.

“Trop de coupons peut tuer un business et flouer les clients”

La grande crainte : un deal qui fonctionne trop bien, et le commerçant se retrouve submergé de demandes qu’il est obligé par contrat de satisfaire. Romain Boyer a reçu de nombreux témoignages de commerçants qui ont appelé Groupon au secours afin de trouver une solution mais n’ont pas trouvé le soutien attendu.

C’est un vrai problème, mais pour Groupon, il est réglé. Les contrats peuvent désormais comporter un nombre maximum de coupons. “L’audience du site est passée de 3 millions de visiteurs uniques à 7 millions en quelques mois, explique Barbara Weisz, directrice marketing de Groupon France. Des deals qui avaient 50 clients sont passés à 500, 1.000… Les commerçants, en général, nous disent qu’ils veulent ‘un maximum’ de clients. Mais ni eux, ni nous n’attendions ces ordres de grandeur. Au cas par cas, nous avons donc annulé des coupons, et remboursé intégralement les clients. Nous avons eu une poignée de cas par ville. Maintenant, chaque commercial doit faire des simulations de capacité avec le partenaire, et on fixe une quantité limitée.” Un argument de moins pour les concurrents de Groupon qui avaient déjà instauré des “maxima”, tels KGBdeals.

Pour Romain Boyer, le commerçant a aussi sa part de responsabilité : “Un client mal reçu, c’est un planning mal géré.” Beaucoup font d’ailleurs preuve de souplesse. “Souvent, le commerçant accepte un coupon quand la date est dépassée”, ajoute-t-il.

“Les pratiques des commerciaux sur le terrain sont limite

Avec la croissance du nombre de sites de deals d’achats groupés locaux, les sushis bars et les instituts de beauté doivent crouler sous les sollicitations de daily deals. Certains sont échaudés, et les concurrents de Groupon jouent la fibre relationnelle contre les “commerciaux féroces” du leader. “Ces opérations peuvent être rentables pour les boutiques et les clients à condition de s’adapter aux besoins de l’enseigne”, estime Catherine Barba, fondatrice de Malinea, consultante en stratégies e-commerce. “Les commerciaux vont souvent brusquer le marchand, signer un contrat à la sauvette”, déplore Romain Boyer.

Groupon reconnaît aujourd’hui avoir péché “par déficit de conseil”. Ils ont réagi en mettant en place au siège, pour chaque ville, une équipe de commerciaux chargés spécialement du suivi avec les boutiques. Ils vérifient tous les éléments des contrats, sont en contact avec la boutique au lancement du deal, et les jours suivants. En parallèle, Philippe Jochem indique que le système de rémunération des commerciaux terrain a évolué pour intégrer une composante basée sur la “qualité” du deal.

Quel avenir pour les deals en France ?

Une chose est sûre : il y a eu un gros déficit d’anticipation chez Groupon. Mais les choses semblent s’améliorer. “Jusqu’au début de 2011, Groupon a recherché le volume, juge Romain Boyer. Là, ils commencent à chercher le qualitatif. C’est une bonne chose. Ce qu’il faut, c’est offrir des outils aux commerçants pour les aider à gérer leur activité, et sensibiliser le service client.” Catherine Barba voit quant à elle plus d’avenir dans les deals impliquant des grandes marques : “La valeur perçue par le consommateur est plus importante car ils ont un prix de référence.”

Du côté de chez Pages Jaunes, Julien Ampollini, directeur stratégie de communication du groupe, estime que “Groupon a ouvert une première porte. Les offres vont mûrir progressivement dans les années qui viennent.” Pages Jaunes a cependant jugé plus prudent d’investir dans le secteur côté clients, en rachetant l’agrégateur de deals Top-Deals, devenu 123deal, qui répercute les offres d’une trentaine de concurrents de Groupon. “Côté annonceurs, on se donne le temps de réfléchir. Nous avons une légitimité sur l’accompagnement des clients sur le long terme, mais pour l’instant nous ne sommes pas concurrents de Groupon, qui fait des opérations coup de poing.”

Raphaële Karayan, L’Expansion.com

Groupon : le cas belge

Le témoignage de la commerçante belge – dont Romain Boyer doute de la véracité – qui accuse Groupon de l’avoir mise en faillite est un cas à part. “Cette personne a fait deux deals en février, détaille Barbara Weisz. Elle a été très satisfaite du premier. Les coupons transformés ne représentent que quelques dizaines de milliers d’euros. En aucun cas, nous ne pouvons être la cause de sa faillite. Les acheteurs des coupons non utilisés ont été tous remboursés. Est-ce qu’il faut que nous vérifiions la santé financière de nos partenaires ? C’est une question.”

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