Facebook : la bulle de retour sur le Nasdaq ?

© Reuters

Facebook est tombé à 34 dollars pour son deuxième jour de cotation. Sa valorisation n’était-elle qu’un mirage pour investisseurs pigeons? Bonne ou mauvaise nouvelle pour ceux qui craignent le retour de la bulle internet ? Décryptage.

En ces temps d’introduction en Bourse record et de valorisations astronomiques, on est bombardé de signaux contradictoires. D’un côté, l’action Facebook est en baisse, le titre déçoit… était-ce beaucoup de bruit pour rien, à l’image de l’IPO de Groupon? De l’autre, 104 milliards de valorisation, c’est démentiel… la bulle est-elle de retour? Tenez, il n’y a qu’à voir : Pinterest valorisé 1,5 milliard de dollars après la prise de participation du e-commerçant japonais Rakuten alors que l’entreprise commence tout juste à générer du chiffre d’affaires ; Spotify en passe d’obtenir un financement le valorisant 4 milliards ; Quora, l’étoile filante de la Silicon Valley, qui lève 50 millions de dollars… A quoi s’en tenir ?

Bulle

Auteur d’un livre sur la bulle internet de 1999-2000, John Cassidy voit dans l’IPO de Facebook les prémices d’une nouvelle bulle : “En achetant ses actions, comme en achetant les actions des sociétés de la bulle internet, les investisseurs parieront avant tout sur la base d’un espoir et d’un optimisme, plutôt que sur un business plan clairement établi et défini”, écrit-il sur son blog.
D’autres voient les signes de la bulle dans l’appel d’air créé par l’introduction en Bourse de Facebook. Toutes ces levées de fonds dans le domaine des réseaux sociaux, dans l’espoir de miser sur le prochain Facebook, rappelleraient les vagues de “me-too” de la première bulle, qui attiraient autant d’argent que les leaders. Dans cette lignée on trouve d’autres réseaux sociaux (Twitter, Path, Pinterest, Instagram, Tumblr, Posterous) et des sociétés de l’écosystème Facebook (éditeurs de jeux tels que Funzio, par exemple), dont les valorisations grimpent à la faveur de celle de Facebook. “On trouve des gens qui croient à des business plans très agressifs, car Facebook a prouvé que c’était possible”, analyse Jean-David Chamboredon, président exécutif d’ISAI, un fonds qui investit dans des start-up du secteur internet.

Pas bulle

Cependant, malgré les chiffres qui sautent aux yeux, dans les coulisses la situation est bien différente de celle de 1999-2000, et ce pour plusieurs raisons :
-L'”optimisme” des gros investisseurs n’a pas gagné toute l’économie, jusqu’au petit porteur. Les analystes ont mis leurs warnings. Pour l’un d’entre eux cité par Bloomberg, la journée de vendredi a montré que “les investisseurs sont conscients du risque, lié au fait que le modèle économique n’est pas validé, que les coûts d’exploitation sont élevés et augmentent. L’action est largement surévaluée.” Prévenus, les petits investisseurs ne suivent pas. C’est ce qui a fait que Facebook ne s’est pas envolé lors de sa première journée de cotation. Par ricochet, cela empêche la bulle de gonfler, car les banques réajustent les valorisations des futures IPO à l’aune de l’IPO de Facebook.
-Il y a très peu d’IPO, par rapport à 1999-2000, et les sociétés qui s’introduisent en Bourse génèrent des revenus, et souvent des bénéfices. Quand le modèle est bancal, la sanction est immédiate, comme on l’a vu avec Groupon.
-Contrairement à l’ère de la bulle, les clients sont là. Facebook a 900 millions d’utilisateurs qui génèrent un vrai revenu: 3,7 milliards de chiffres d’affaires en 2011, c’est plus que Google au moment de son introduction en bourse. Steve Blank, entrepreneur et professeur à Stanford, réfute ainsi l’hypothèse d’une bulle : “Personne ne questionne la capacité de Facebook à gagner de l’argent. La question, c’est combien ses centaines de millions de membres peuvent lui faire gagner de plus, et à quelle vitesse ils peuvent réaliser cette croissance. C’est un problème d’exécution.”
-L’argent levé dans les tours de table se consume beaucoup moins vite. Le gaspillage, c’est du passé.

Une question de temps

Pour Jean-David Chamboredon, il n’y a pas lieu de s’alarmer d’une nouvelle bulle. Selon lui, Facebook et ses actionnaires ont “sans doute été un peu gourmands” lors de l’IPO, mais cela ne change rien aux perspectives de l’entreprise, dont la valorisation lui paraît justifiée. “Compte tenu du temps passé sur le site et de l’open graph, dire qu’un utilisateur lui rapportera 10 dollars à maturité n’est pas absurde”, juge-t-il (Certains estiment qu’il faudrait que Facebook parvienne à un revenu par utilisateur bien plus élevé pour justifier sa valorisation). “Il faut se rappeler que Google, lors de son introduction, valait huit fois moins qu’aujourd’hui. Tout est une question de durée d’investissement.”
C’est là que, bulle ou pas, Forbes n’est pas d’accord. Pour le site, Facebook n’est pas une valeur d’investissement sur le long terme, c’est une valeur spéculative. Ce qui nous amène quand même à souligner que, si la bulle n’est pas à l’ordre du jour, l’argent coule quand même à flots de manière inhabituelle. On a affaire à pas mal de spéculation. C’est elle qui a produit les volumes d’échanges record sur le titre Facebook le premier jour. Elle qui a fait grimper Groupon artificiellement au départ.

Spéculation

Les spéculateurs ont de bonnes raisons de spéculer. “Avec la génération des réseaux sociaux et des applications mobiles, il y a forcément de grosses opportunités à saisir”, note Jean-David Chamboredon. Il y a aussi beaucoup d’argent à investir. “Les grands fonds n’ont aucun problème à lever de l’argent malgré la crise. La technologie est un secteur anti-crise et anti-récession. A moyen terme, c’est un des rares secteurs où on peut trouver de la croissance et un retour sur investissement.” Certains n’ont pas besoin d’attendre le moyen terme. Grâce à des rentrées d’argent comme celle de Facebook, il y a des chances de voir son poulain racheté par Zuckerberg en moins de temps qu’il n’en faut pour boucler un tour de table. Dans ce contexte un peu euphorique, il faudra être attentif à certains signes. “Quand on commence à utiliser des comparables qui ne sont pas comparables, il y a bulle”, affirme Jean-David Chamboredon. Appliquer par exemple le même objectif de ratio de revenu par utilisateur que celui de Facebook à une start-up qui n’a pas son envergure ? Bulle !

Raphaële Karayan, L’Expansion

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