Exclusif : comment Belgacom soigne ses représentants syndicaux

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Les permanents syndicaux les plus fidèles à l’entreprise sont promus au grade de “directeur” par l’administrateur délégué. Un dispositif signé en commission paritaire en 2009. La CGSP assume. La CSC cherche à se distancier.

La paix sociale chez Belgacom a toujours été présentée comme une des grandes réussites de Didier Bellens. En neuf ans à la tête de l’opérateur télécoms, le CEO de Belgacom n’a effectivement pas dû faire face à beaucoup de mouvements de grogne. Malgré les différents plans de restructuration qui se sont succédé, les grèves n’ont jamais fait partie de la culture maison. Le personnel du câble a bien débrayé fin 2010. Un arrêt de travail a également été observé lors de l’annonce de la réintégration (avortée) de Concetta Fagard, protégée du CEO, au sein de l’entreprise après son licenciement faisant suite à une plainte pour harcèlement déposée à son encontre.

Il s’agit toutefois de manifestations épisodiques. Les organisations syndicales ont toujours été associées au dialogue, et les permanents syndicaux n’ont jamais mis de l’huile sur le feu. Les documents dont nous avons pu prendre connaissance lèvent un coin du voile sur les relations particulières entretenues entre la direction de Belgacom et les syndicats. Des privilèges étonnants en faveur des permanents syndicaux sèment le trouble quant à leur indépendance et divisent les organisations syndicales.

Retour en novembre 2009. La commission paritaire, instance réunissant des représentants du personnel et de la direction, met à l’ordre du jour la modification de la convention collective “en matière de gestion des relations sociales et de la politique de gestion du personnel”. Au menu : diverses modifications techniques des règles régissant les relations sociales au sein de l’opérateur télécoms détenu à plus de 50 % par l’Etat fédéral. Le statut des permanents syndicaux est au programme. Ces représentants du personnel, qui travaillent à temps plein au service de leur organisation syndicale, bénéficient de certaines dispositions particulières visant à les protéger et à protéger leur carrière.

Deuxième saut

Un permanent syndical étant amené à s’opposer à la direction de l’entreprise dont il fait partie, il lui sera difficile de prétendre à une promotion s’il quitte son travail syndical pour reprendre son poste dans l’entreprise. Du coup, bon nombre de permanents syndicaux choisissent de rester en poste, sachant que leurs perspectives de carrière sont fort probablement bouchées. Pour ne pas les léser, la convention collective en vigueur chez Belgacom prévoyait jusque fin 2009 une promotion automatique après neuf années prestées en tant que permanent syndical. Une promotion qui permettait au permanent de faire un saut vers une échelle barémique plus avantageuse.

En novembre 2009, la commission paritaire met sur la table une réforme de cette réglementation. Objectif : mettre en place une seconde promotion pour les permanents syndicaux les plus endurants. Après 18 années de service, les permanents pourront faire un “deuxième saut” vers un statut particulier, nouvellement créé, de “directeur syndical en relations sociales”. Une dénomination étrange, puisque le permanent syndical qui accède à cette fonction ne devient en rien titulaire d’un poste de direction : il n’est en charge d’aucune équipe et continue à faire son travail de permanent syndical. Cette nouvelle promotion est également liée à un saut dans les échelles barémiques. Il accède grâce à cette nouvelle règlementation à l’échelle barémique 104, qui procure en fin de carrière un revenu brut d’environ 73.000 euros sur base annuelle. Selon nos informations, cette promotion “sur-mesure” a bénéficié à trois permanents syndicaux, dont deux sont toujours en place.

Conflit d’intérêt

Cette promotion gêne le syndicat chrétien dans ses entournures. Interrogé sur le sujet, Luc Gouppy (CSC-Transcom) estime que cette promotion n’aurait jamais dû être négociée. Chaque fois qu’il est question de cette règle particulière, le permanent syndical quitte la salle. Il n’a d’ailleurs pas signé le document de l’époque. Mais celui-ci est malgré tout entré en vigueur… y compris en faveur du syndicat chrétien. “Le problème, c’est que cette promotion a été négociée par des gens qui ont un intérêt direct à la voir s’appliquer”, explique Luc Gouppy, visant ses confrères socialistes et libéraux. “Je n’ai aucun problème par rapport à cette règle, rétorque Denis Michel, permanent CGSP. Il est tout à fait normal d’avoir la possibilité de prétendre à une promotion, alors qu’on est en opposition avec la direction. Je suis d’autant plus à l’aise que je ne suis pas dans les conditions pour en bénéficier. De toute façon, si mes collègues de la CSC ne veulent pas en bénéficier, il leur suffit de ne pas en faire la demande.”

Pour accéder à la fonction de “directeur syndical en relations sociales”, il faut en effet en faire la demande, et la soumettre à l’administrateur délégué. Outre les conditions d’ancienneté (18 années ininterrompues en tant que permanent syndical chez Belgacom), il faut aussi que l’administrateur délégué “approuve cette nomination”, d’après la convention collective. Le permanent syndical qui souhaite accéder à cette fonction enviée est donc soumis au bon vouloir du CEO auquel il est censé s’opposer. Curieux mélange des genres… “Nous avons prévenu tout de suite nos affiliés, insiste Luc Gouppy (CSC). Et nous nous sommes engagés à ne jamais demander ce deuxième saut en faveur des personnes qui sont aujourd’hui à la manoeuvre en négociations chez Belgacom.” Cette attitude est justifiée par un problème de conflit d’intérêts. Mais elle n’est pas dénuée d’une certaine ambigüité, puisque Luc Gouppy ne ferme pas totalement la porte à d’autres représentants du syndicat chrétien qui entreraient ultérieurement dans les conditions. Ces derniers devraient alors demander l’autorisation de l’assemblée générale de la CSC-Transcom pour prétendre au poste de directeur. Du côté de la CGSP, on estime que ce deuxième saut de fonction “n’est pas un cadeau de la direction” visant à s’assurer les faveurs des permanents syndicaux. Le SLFP (syndicat libéral) n’a pas donné suite à nos appels.

Gilles Quoistiaux

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