Etes-vous prêt pour l’iPad, la tablette à 500 euros ?

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Apple lance ce vendredi 28 mai son ardoise magique dans neuf pays, notamment en France et au Royaume-Uni. La presse et l’édition y voient leur planche de salut. Reste à convaincre les consommateurs…

L’iPad, à peine lancé et déjà des soucis

La dernière innovation d’Apple soulève des problèmes. Certains utilisateurs ont vu ainsi apparaître des messages de surchauffe de l’appareil qui se met alors automatiquement en veille. Plus grave, l’iPad peine parfois à se connecter à un réseau Wi-Fi et peut se déconnecter de façon intempestive. Conscient de ces imperfections, le groupe californien a promis d’y remédier rapidement. En attendant, les premiers acheteurs regrettent le poids élevé de la tablette (700 grammes). Difficile de la tenir longtemps à bout de bras pour lire un livre.

Mais ce sont les plus férus de technologies qui se montrent les plus critiques et soulignent les manques de la machine : pas de caméra intégrée pour prendre des photos ou capturer des séquences vidéo, impossibilité de connecter une carte mémoire et de lire des animations Flash. Ce format est pourtant très utilisé par la presse en ligne, la publicité et les sites de vidéo. Mais pour Steve Jobs, cette technologie est inadaptée et démodée. Fermez le ban.

Dieu créa le monde en six jours et se reposa le septième. Steve Jobs a mis un peu plus de temps pour développer l’iPad, ce qui ne l’empêche pas de plagier la parole divine : “Nous l’avons livré le samedi. Et le dimanche, nous nous sommes reposés.”

Le CEO d’Apple ne manque pas d’humour quand il évoque la naissance de son dernier bébé. Surnommé la tablette de la loi ou encore l’ardoise magique, ce nouveau gadget high-tech a suscité des vagues d’enthousiasme quasi-mystique et des avalanches d’écrits laudatifs sur Internet comme dans la presse écrite. Car beaucoup s’attendent à ce que la société réédite le succès de l’iPhone, avec une machine d’un genre nouveau. Les premiers chiffres semblent leur donner raison avec 1 million d’iPad écoulés en moins d’un mois outre-Atlantique et un lancement en Europe retardé au 28 mai pour cause de rupture de stock.

Qui pourrait croire que dans cet écran tactile, légèrement plus petit qu’une feuille de papier et pesant près de 700 grammes, reposent les espoirs de tant d’industries ! Cet appareil permet non seulement d’écouter de la musique, de visionner des films, mais aussi de lire BD, livres, et journaux… Pour accéder à ces contenus, deux types de modèles sont commercialisés: le premier se connecte uniquement en Wi-Fi, tandis que le second, plus cher, inclut également l’accès aux réseaux des opérateurs mobiles.

“J’ai eu un aperçu du futur. C’est une chose merveilleuse. Si nous avons moins de journaux papier et plus de ces tablettes… Voilà peut-être bien le sauveur de l’industrie de la presse”, s’est même enthousiasmé Rupert Murdoch, le magnat des médias, propriétaire, notamment, du Wall Street Journalet du New York Post.

Affectés par l’érosion de la diffusion des journaux, la baisse des revenus publicitaires et la gratuité de l’information sur Internet à laquelle se sont habitués les lecteurs, les éditeurs voient dans l’iPad leur planche de salut. Un moyen de faire payer, enfin, leurs contenus en ligne. Le quotidien économique Wall Street Journal développe déjà une version payante qui a séduit 64.000 abonnés. USA Today a préféré laisser son application gratuite jusqu’au 4 juillet, tandis que leFinancial Times s’est contenté de proposer deux mois d’essai avant de faire passer les utilisateurs à la caisse. En France, Le Figaro, Le Monde ou encore Libération préparent également leurs offres.

Comment convaincre le grand public de débourser 500 euros ?

Mais la presse n’est pas la seule à croire en cette arche qui les sauvera des flots de la crise. Les plus grands éditeurs y voient un moyen de sortir des griffes d’Amazon. Le libraire en ligne a jusqu’ici imposé un prix de 9,99 dollars sur le livre électronique aux Etats-Unis quand la société de Steve Jobs leur a laissé les coudées franches sur son iBook Store. “En peu de temps, les plus grands groupes ont décidé de rejoindre Apple, estime Emmanuel Benoît, vice-président marketing de Jouve, une entreprise française qui numérise les ouvrages. Menacé de perdre les éditeurs, Amazon n’a eu d’autres choix que de s’aligner.”

En Europe, la situation est un peu différente car le marché du livre électronique tarde à décoller. “Alors qu’aux Etats-Unis nous cherchions à faire remonter nos prix, ici nous devons les baisser de 20 à 25 % si nous voulons que le marché démarre sur les tablettes”, souligne Arnaud Nourry, PDG de Hachette Livre.

Si certains industriels sont euphoriques, reste le plus compliqué: convaincre le grand public de débourser 500 euros minimum. Plus tout à fait un smartphone mais pas encore un ordinateur portable, l’iPad tente de créer un nouveau marché, un quatrième écran, à côté du téléviseur, du PC et du téléphone. Pourtant de nombreuses sociétés s’y sont brûlé les ailes. Bill Gates le premier : le cofondateur de Microsoft prédisait déjà, en 2002, que dans les cinq ans, les tablettes se vendraient plus que les ordinateurs traditionnels… Même Apple tenta l’aventure en 1993 avec le Newton. Cet assistant personnel à écran tactile fut un échec : un certain Steve Jobs scella sa disparition lors de son retour aux affaires en 1998. Douze ans plus tard, voici peut-être venu le temps de la résurrection.

“Tous ces produits se limitaient à de simples morceaux de technologies, estime Carolina Milanesi, analyste pour Gartner. L’iPad est bien plus que cela, puisqu’il se combine avec le service iTunes qui permet de télécharger de la musique, des films, des jeux vidéo, des livres, tout un écosystème, avec plus de 5.000 applications.”

Une cannibalisation des autres produits Apple ?

Pourtant, si l’on tend l’oreille, quelques voix impies commencent à se faire entendre. D’abord, une étude menée par Morgan Stanley pointe des risques de cannibalisation des autres produits de la famille Apple. Pour acquérir cette tablette, 44 % des personnes interrogées renonceraient à acheter un ordinateur portable dont le MacBook, et 41 % n’achèteraient plus le baladeur iPod Touch.

Ensuite, la marque à la pomme a fait le plein de ses fans: il lui faut maintenant transformer l’essai. Et là, les choses se compliquent. Difficile pour les particuliers de remettre la main au portefeuille quand la plupart d’entre eux possèdent déjà un ordinateur, un mini-PC et un téléphone multimédia. “Ce produit va devoir trouver sa place, mais il est vrai que son prix élevé est un frein à son adoption”, observe Bertrand Gié, directeur délégué des nouveaux médias au Figaro.

D’autant que la société californienne est connue pour s’accorder de confortables marges. Selon iSuppli, le prix de revient de l’appareil dans sa version la moins chère s’élèverait à 260 dollars (191 euros), ce qui laisse présager une future baisse de tarifs. Ce scénario semble d’autant plus inéluctable que de nombreux concurrents s’apprêtent à commercialiser des alternatives à des prix inférieurs à 200 euros. De Dell à Samsung, en passant par Sony, avec son Dash, Asus, Archos et même Google, en partenariat avec l’opérateur Verizon, il n’y aura jamais eu autant de tablettes lancées sur le marché en 2010.

Même si beaucoup d’industriels sont restés très discrets sur leurs projets, au total 8 millions de machines devraient être commercialisées cette année, selon Morgan Stanley. Une occasion pour Steve Jobs de méditer un autre passage des Ecrits qu’il affectionne tant: celui où une foule affamée se trouve rapidement rassasiée grâce à la multiplication des pains.

Emmanuel Paquette, L’Express.fr

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