Elon Musk, un Martien sur Terre

Elon Musk © Reuters

C’est le nouveau Steve Jobs, en plus ambitieux. Il veut imposer la voiture électrique (Tesla), l’électricité solaire (SolarCity), les fusées pas chères (SpaceX), avec l’objectif de coloniser Mars. Il aime les paillettes et peut se montrer très cassant. Un livre en dessine un portrait passionnant.

Steve Jobs disparu, Bill Gates retraité, les Américains en pincent pour un autre enfant terrible de l’innovation et du business : Elon Musk, 43 ans. L’homme dirige deux entreprises : Tesla et SpaceX. Tesla a rendu les voitures électriques très sexys (notamment avec le Model S) et SpaceX fabrique des fusées et des lanceurs bon marché et collabore avec la Nasa pour approvisionner ISS (la station spatiale internationale). L’intitulé de sa mission de base laisse rêveur : SpaceX a été fondée “pour révolutionner la technologie spatiale, avec le but ultime de permettre aux gens de vivre sur d’autres planètes”.

Tout autre qu’Elon Musk ferait rire s’il affichait cet objectif sur le fronton de son entreprise. Mais ce serial entrepreneur, devenu riche en développant le système de paiement PayPal, fait rêver en ressuscitant des idées qui fleurissaient dans les années 1960 et 1970, au bon temps de la conquête spatiale. Ashlee Vance, journaliste à l’agence Bloomberg, a mené une enquête approfondie sur cet entrepreneur de science-fiction qui pèse aujourd’hui environ 10 milliards de dollars (*).

Mars pour 500.000 dollars par personne ?

Le projet Mars paraît fou, cependant certains y croient. “C’est un projet très faisable”, estime Larry Page, cofondateur de Google et ami d’Elon Musk, interviewé dans le livre. “Il faut peu de ressources pour mettre en place une colonie sur Mars.” Et il ajoute : “Les bonnes idées sont folles jusqu’au moment où elles ne le sont plus”.

Elon Musk lui-même n’est pas avare en détails sur la manière d’aller sur la planète rouge. Pour établir une base autonome sur Mars, “il faudrait, explique-t-il à Ashlee Vance, des millions de tonnes d’équipements et sans doute des millions de gens”. Il estime que cela ne serait possible que si les fusées étaient moins chères et les lancements automatisés, ce qu’il se fait fort de concrétiser avec SpaceX. Et il promet des prix raisonnables par voyage. “Si le trajet coûte 1 milliard de dollars par personne, il n’y aura pas de colonie sur Mars. A environ 1 million ou 500.000 dollars, je pense que l’on pourra y créer une colonie autonome.”

Pour arriver à ce stade, Elon Musk a parcouru un long chemin. Il naît à Pretoria (Afrique du Sud) en 1971 dans une famille aisée. Son père, Errol Musk, est un ingénieur qui gère de grands projets de construction. Sa mère, Maye Musk-Hadelman, est passionnée de maths, nutritionniste et mannequin. Elon a un frère et une soeur, Kimbal et Tosca. Elon Musk est un enfant qui parle peu et lit beaucoup : des romans fantastiques, de science-fiction. Il aurait, dit-il, voulu écrire une saga comme Le Seigneur des Anneaux. Et… l’Encyclopedia Britannica.

Il aimait aussi (déjà) bricoler des petites fusées et manier des explosifs. “C’est fascinant de voir les matières qui peuvent se transformer en explosif”, déclare-t-il à Ashlee Vance. “Le salpêtre, le soufre et le charbon de bois sont les ingrédients de base pour la poudre à canon (…) le granulé de chlore avec du liquide de frein, ça donne des résultats impressionnants. Je suis chanceux, j’ai encore tous mes doigts.”

Premier logiciel à 12 ans

Un point inquiète ses parents : Elon se déconnecte parfois du monde, semble plongé en catalepsie. Il ne répond à personne et ne voit personne. C’est sa manière de se concentrer. Elon bénit ces moments où il concentre son esprit sur un problème. “Je ne peux plus le faire souvent à présent car beaucoup de choses requièrent mon attention. La partie du cerveau qui sert à gérer les images est utilisée pour penser très intensément.”

Le premier coup d’éclat public arrive à l’âge de 12 ans. Elon Musk participe à un concours d’une revue sud-africaine, PC and Office Technology, où il programme un jeu électronique dont le but est de détruire un vaisseau spatial d’extra-terrestres chargé de bombes à hydrogène. Il remporte un prix de 500 dollars : un bon début.

Le goût pour les projets aventureux, un peu démesurés, lui vient de son grand-père maternel, Joshua Norman Hadelman. Sa mère lui en a beaucoup parlé. Joshua Hadelman a longtemps vécu au Canada puis a émigré en Afrique du Sud en 1950. Chiropracteur prospère, il possédait, chose exceptionnelle à l’époque, un petit avion monomoteur. Avec lequel il faisait des excursions. Et même des expéditions, comme un aller-retour vers l’Australie. Il mourra aux commandes de son avion, en manquant un atterrissage en 1974.

Millionnaire à 27 ans

Elon Musk émigre en 1988 au Canada, le pays de son grand-père maternel, et suit des études à l’université de Kingston (Ontario), puis à l’université de Pennsylvanie (Etats-Unis). Il obtient un bachelor en physique et un diplôme en économie. En 1995, il part ensuite à Stanford, dans la Silicon Valley, pour attaquer un doctorat en sciences, mais abandonne très vite : Netscape, Yahoo ! et des centaines d’entreprises se lancent pour monétiser le Web. Pourquoi pas lui ? Il lance la société Zip2 avec son frère Kimbal, un service proposant aux entreprises une présence sur le Web, avec une application cartographique. Trois ou quatre années plus tard, Zip2 est vendue à Compaq. A 27 ans, Elon Musk est déjà millionnaire : il obtient 22 millions de dollars pour ses parts et s’offre une Formule 1 McLaren et un avion.

Après cette entrée en matière, Elon Musk voit plus grand. Il veut créer une banque en ligne et fonde X.com en 1999. Son approche est celle qu’il cultivera plus tard pour l’automobile et les fusées : réinventer le métier, car il en a besoin. “Ce que font les banquiers, c’est copier ce que les autres banquiers font. Si tout le monde saute d’une falaise, ils suivent. S’il y a un tas d’or au milieu d’une pièce et que personne n’y touche, ils l’évitent”, dit-il. Il tire cette leçon d’un stage effectué dans une banque canadienne. Mais X.com se heurte aux murs des réglementations. Une idée, toutefois, décolle vite : un mécanisme de paiement par e-mail, plus rapide que les virements bancaires. Un concurrent s’attaque au même business, Confinity, avec le service PayPal. Pour mettre un terme à une concurrence sanglante, les deux sociétés fusionnent. Dans le deal, X.com, qui a plus de liquidités, prend le dessus. Elon Musk devient CEO. En 2002, eBay rachètera l’entreprise, rebaptisée PayPal. Elon Musk reçoit 250 millions de dollars.

Au lieu de se retirer sur une île et vivre de ses rentes, Elon Musk va risquer ensuite la majeure partie de sa fortune dans des investissements aventureux, plus novateurs — selon lui — que des start-up du Web. Il mise 100 millions de dollars dans SpaceX, 70 millions dans Tesla et 10 millions dans SolarCity, une entreprise active dans l’énergie solaire. Ces coups de poker interviennent après une tragédie personnelle dont il parle peu. Elon Musk est marié à Justine Wilson. Ils perdent leur premier bébé, Nevada Alexander, âgé de 10 semaines, de la mort subite du nourrisson. Juste au moment où la vente de PayPal à eBay vient d’être annoncée. Il aura ensuite cinq autres enfants, des jumeaux et des triplés.

CEO pour toujours

Avec SpaceX et Tesla, Elon Musk n’a pas les soucis qu’il a rencontrés avec Zip2 et X.com. Chez Zip2, le fond de venture capital qui avait financé l’entreprise l’a cantonné au rôle de patron du développement, préférant attirer un CEO de l’extérieur. Chez X.com, après la fusion qui produit PayPal, il sera CEO mais sera mis à l’écart au profit de Peter Thiel. A présent, il est le seul maître à bord chez SpaceX et Tesla.

SpaceX part d’un projet de développer les voyages vers Mars. Passionné par la conquête spatiale, Elon Musk se désole que la Nasa n’ait plus de projet concernant la planète rouge. En 2001, il crée une fondation, Life to Mars, pour étudier la possibilité d’une expédition vers cette planète. Optimiste (il l’est toujours), il pense y arriver avec 30 millions de dollars et se rend en Russie avec des experts pour négocier l’achat de lanceurs bon marché. Les Russes ne le prennent pas au sérieux. Sur le chemin du retour, Musk élabore un plan pour construire lui-même des fusées low cost. Il a analysé le marché : les lanceurs sont chers car les fournisseurs sont peu nombreux (un seul aux Etats-Unis), prisonniers de sous-traitants rares et coûteux. Les clients sont souvent des Etats. Il lance alors la société SpaceX pour mettre au point des lanceurs. Mars recule dans l’agenda : la priorité est le lancement des fusées réutilisables, baptisées Falcon, et la recherche de clients. Ensuite, on verra…

Railleries

Parallèlement, Elon Musk va participer au lancement de Tesla, un constructeur de voitures électriques installées depuis 2003 dans la Silicon Valley. Tesla entend rendre la voiture électrique plus sexy, en utilisant des milliers de batteries lithium-ion (les mêmes qui sont utilisées dans les ordinateurs et les téléphones portables) et en la dotant d’une carrosserie sportive, un roadster Lotus. Le tout produisant une voiture aux accélérations vertigineuses, qui devrait changer l’image de la voiture électrique. Elon Musk participe aussi à SolarCity, un projet lancé par des cousins, qui consiste à vendre en leasing des installations d’électricité solaire à des particuliers. Il en devient le président.

Ses projets subiront pas mal de railleries. L’idée de lancer des fusées bon marché à 6,9 millions de dollars par lancement au lieu de 60 millions (premiers tarifs) paraît folle, surtout de la part d’un entrepreneur étranger au spatial. Celle de concurrencer Detroit fait aussi ricaner : le dernier constructeur automobile lancé avec succès aux Etats-Unis fut Chrysler… en 1925.

Le style Musk va néanmoins s’affirmer. Le serial entrepreneur mise beaucoup sur l’image. Il va faire peindre les bâtiments de ses entreprises en blanc. Ses entreprises deviennent des one-man-shows : Tesla, SpaceX, SolarCity : c’est lui et personne d’autre. Pas évident donc de travailler avec lui. “J’essaye de mettre mon ego de côté”, reconnaît son bras droit chez Tesla, Jeffrey Straubel, dans l’ouvrage d’Ashlee Vance. Musk organise des événements spectaculaires pour “vendre” Tesla et SpaceX aux médias, avec des mises en scène hollywoodiennes. C’est son côté Richard Branson.

Viré pour une faute de grammaire

Le manager Elon Musk a la même réputation détestable que Steve Jobs. “Son pire défaut, de loin, est un complet manque de loyauté ou d’humanité, déclare un de ses anciens employés. Beaucoup d’anciens travailleurs ont été jetés dehors sans ménagement. Sans doute pour que les autres se tiennent tranquilles.” Ses coups de gueule sont fameux. Il lui arrive de licencier pour des fautes de grammaire dans un e-mail.

Il est d’autant plus abrasif que les enjeux sont énormes et que ses entreprises ont plusieurs fois frôlé la faillite. Ses ingénieurs travaillent aisément 16 h par jour. Chez Tesla, lorsque l’entreprise avait du mal à mettre au point la carrosserie du premier modèle, Elon Musk a fait un speech au personnel pour dire qu’il faudrait travailler le samedi, le dimanche et même dormir au bureau jusqu’à ce que le problème soit résolu. Un des participants objectait qu’il travaillait déjà beaucoup et devait voir sa famille. Musk lui a répliqué : “Vous aurez tout le temps de voir votre famille quand on aura fait faillite”.

Habillé en samouraï

Les réunions avec Elon Musk sont redoutées. Les candidats au recrutement sont briefés : l’entretien peut durer entre 30 secondes et 15 minutes. Les relations sont d’autant plus rugueuses que Musk annonce des délais intenables. La première fusée Falcon devait être lancée en 2003, elle fera son premier vol (et s’écrasera) en 2005. Le premier décollage réussi aura lieu en 2008. Même chose pour les Tesla, qui ne sortiront jamais dans les délais promis.

Ses délais manqués sont légendaires. Cuisiné sur le sujet, il répond que c’est sans doute son héritage de la Silicon Valley, où les logiciels sortent plus ou moins à temps, quitte à la corriger ensuite. Pour une fusée ou une voiture, c’est plus délicat. Ils doivent être bons dès les premiers modèles. Le premier divorce d’Elon Musk n’arrange pas son image noire. Justine Wilson, son ex-épouse, a parlé de lui dans un blog de manière pas toujours flatteuse. Elle obtiendra 2 millions de dollars, 80.000 dollars de pension alimentaire et une Tesla Roadster.

Elon Musk a aussi des côtés plus ludiques. Pour son 30e anniversaire, il avait loué un château en Grande-Bretagne pour y organiser une gigantesque partie de cache-cache. Le lendemain, il roulait toute la nuit à vélo dans Paris. Une autre fois, il a fêté son anniversaire dans un château américain déguisé en samouraï. Il aurait servi de modèle aux scénaristes du film Iron Man, dont le héros est un entrepreneur aux super pouvoirs, et il apparaît même dans une scène d’Iron Man 2.

D’autres projets fous

Les réussites de Tesla, de SpaceX et de SolarCity rachètent les échos négatifs qui entourent le personnage. Les dernières idées lancées par Elon Musk rencontrent plutôt la sympathie. Il a fait sensation en proposant son Hyperloop — un système de transport dans un tube permettant de relier Los Angeles à San Francisco à une vitesse supersonique — qui plaît tant à Barack Obama. Elon Musk n’a pas le temps de le développer, mais l’idée est examinée. Dernière annonce en date : un système de batteries Tesla pour la maison, destiné à stocker le courant produit par une installation solaire. Pour Musk, il s’agit d’un maillon essentiel pour rendre la maison autonome par rapport au réseau.

Un grand chemin reste à parcourir. Elon Musk a juste montré que ses idées folles étaient réalisables. Il s’agit à présent de les généraliser. Tesla, qui n’est pas encore rentable et produit des voitures chères (70.000 dollars pour le Model S), doit encore démontrer sa capacité à produire une voiture grand public abordable. SpaceX doit encore passer aux vols habités et réaliser sa promesse de fusées réutilisables. Pour espérer un jour — mais quand ? — arriver sur Mars.

(*) Elon Musk : Tesla, SpaceX and the Quest of a Fantastic Future, Ashlee Vance, éditions HarperCollins.

CV

– Naissance. En 1971 à Pretoria (Afrique du Sud).

– Nationalité. Canadienne et américaine.

– Famille. A été marié à Justine Wilson (qui lui a donné six enfants) et à l’actrice Talulah Riley, dont il a divorcé deux fois.

– Formation. Queen’s University à Kingston (Ontario) et University of Pennsylvania : diplômes en économie et en physique.

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