DVD Post rame à contrecourant

DVD Post ne se sent pas menacée par le développement de la vidéo à la demande. Son patron, Pierre Demolin, a décidé d’investir de plus belle dans son entreprise sans rien changer à ses fondamentaux. Visionnaire ou “has been” ?

La VOD, concurrente directe de DVD Post

TELENET

Clients : 1,001 million (+ 49 %).

Catalogue : 600 titres.

Tarif nouveauté :à partir de 2,95 euros.

“La VOD remplacera à terme la location de DVD, affirme Anouk Mertens, responsable VOD chez Telenet. Le nombre de transactions est en constante augmentation. Le potentiel est très important. Les studios l’ont bien compris, et ils investissent dans le marché de la VOD. Comme Warner, qui sort désormais ses films à la demande en même temps qu’en DVD, alors que les autres majors attendent 45 jours. La VOD n’est pas le seul facteur qui pousse les consommateurs à choisir notre offre de télévision numérique, mais elle y contribue.”.Clients : 752.000 (+ 48,6 %).

BELGACOM TV

Catalogue : 800 titres.

Tarif nouveauté : 5 euros.

“En 2009, le revenu moyen par utilisateur de Belgacom TV a augmenté : il est désormais supérieur à 20 euros par mois, grâce notamment au succès de la VOD, note Haroun Fenaux, porte-parole. Nous sommes en concurrence directe avec les vidéothèques. Mais même si la VOD est un peu plus chère, le client ne perd pas de temps, ne consomme pas d’essence et ne paye jamais d’amende. De plus, grâce à la VOD, le consommateur ne doit pas réfléchir trois jours à l’avance au film qu’il veut voir, il est immédiatement disponible. Ce n’est pas le cas chez DVD Post.”Clients : 200.000.

VOO

Catalogue : 1.000 titres.

Tarif nouveauté :à partir de 3,50 euros.

“Notre campagne de pub actuelle vise àéduquer le consommateur, à lui démontrer que la VOD est facile à utiliser, signale Patrick Blocry, porte-parole de Voo. Pour nous, c’est un produit d’appel, mais c’est encore quelque chose de balbutiant, qui demande un changement de mentalité de la part du consommateur. Les autres formules ne vont pas pour autant disparaître. En 1989, on avait prédit la mort des vidéoclubs. Ils sont toujours là. Pour nous démarquer de nos concurrents, nous proposerons bientôt à nos abonnés Be Premium, l’accès gratuit à l’intégralité du catalogue VOD.”

DVD Post ne se sent pas menacée par le développement de la vidéo à la demande. Son patron, Pierre Demolin, a décidé d’investir de plus belle dans son entreprise sans rien changer à ses fondamentaux. Visionnaire ou “has been” ?
DVD Post croit en son business model. Le loueur de DVD à domicile, qui déménagera prochainement dans le quartier du Midi avec ses 35 collaborateurs, cherche des finan-cements pour élar- gir son emprise sur le marché. Rentable depuis une bonne année, DVD Post espère convaincre les investisseurs du poten- tiel que représente encore la location de DVD. Pierre Demolin, l’administrateur délégué, a pris son bâton de pèlerin. “Nous sommes en contact avec des investisseurs privés, institutionnels, des venture capitalists. Nous pourrions aussi contracter un emprunt”, avance-t-il. DVD Post, présente sur le marché belge depuis huit ans, ne semble en tout cas pas effrayée par la vidéo à la demande (VOD), qui commence à s’imposer dans les chaumières. La dématérialisation des supports, ce n’est pas pour tout de suite, assure Pierre Demolin. “La VOD ne signe pas la fin du Blu-Ray et du DVD, assène-t-il. Les deux marchés continueront à exister plus longtemps qu’on ne le pense, simplement parce qu’ils occupent des créneaux différents. La VOD mise sur les nouveautés. Nous misons sur le catalogue.” Avec 30.000 titres chez DVD Post, contre 800 environ dans les catalogues VOD de Belgacom TV, Telenet ou VOO, la comparaison est en effet flatteuse pour la PME bruxelloise.

Un “business long tail”

Le consommateur a-t-il pour autant besoin d’une offre si riche ? “Notre business est un business long tail, répond le patron de DVD Post. Nos clients sont moins intéressés par la nouveauté que par la qualité (image et conseil dans le choix du film) et la taille du catalogue. Ils louent d’ailleurs de plus en plus de titres situés en bas de catalogue.” Pour l’instant, les films passant en VOD ne sont disponibles que pour une durée fixe (entre trois et six mois environ). Ce qui explique la taille plus modeste des catalogues à la demande. Les majors ont en fait choisi d’intercaler la VOD entre la diffusion en salle et la vente aux chaînes de télévision. Ce qui laisse une fenêtre assez étroite aux diffuseurs de VOD, qui ne se rouvre que deux ans plus tard, après la diffusion sur le réseau câblé. A l’inverse, une vidéothèque ou un acteur comme DVD Post payent une fois pour toutes leurs droits sur les films qu’ils mettent en location. Mais qui sait si l’industrie du film ne changera pas son fusil d’épaule si la vidéo à la demande connaît l’essor que certains lui prédisent ? Warner a annoncé récemment avoir franchi le cap des 2,5 millions de transactions depuis août 2007. Signe que la firme américaine croit à l’impact de la VOD, elle propose désormais ses films à la demande dès qu’ils sont mis en location ou en vente (les autres majors continuent à sortir leurs DVD quelques semaines avant de les proposer en VOD). Warner, décidément très active sur le créneau, expérimente même d’autres modèles : le film The Blind Side, pour lequel Sandra Bullock vient de recevoir l’Oscar de la meilleure actrice, est passé sur le marché belge directement par la case VOD, avant même toute diffusion dans les salles obscures !

Un marché de niche pourtant “en déclin”

La menace semble donc se préciser pour le segment de marché occupé quasi exclusivement par DVD Post, et sur lequel de rares concurrents comme Dvdplus ou Mydvdnet se sont tour à tour cassé les dents (seul le modeste Netfilm poursuit ses activités). Un horizon dégagé, idéal pour la VOD ? “La transition du DVD vers la VOD va s’effectuer, même si cela prendra du temps”, indique Bertrand Kuentzler, analyste chez ING. Même son de cloche du côté de Nico Melsens, analyste chez KBC Securities : “La VOD remplacera la location de DVD.” Paul Belleflamme, professeur d’économie à l’UCL, spécialisé dans les nouvelles technologies, est plus mesuré : “Au-delà d’une certaine résistance du consommateur à la logique dématérialisée, il faut se demander quelle est l’étendue de la demande pour un produit dont la seule valeur ajoutée est la mise à disposition rapide d’un contenu, permettant ainsi de répondre à une impulsion du consommateur. Ce marché n’est peut-être pas si étendu que cela !” Pour Bertrand Kuentzler, l’analyse coûts/bénéfices fera cependant pencher la balance en faveur de la VOD : “Un des avantages de la vidéo à la demande, c’est qu’elle permet de faire des économies en matière de frais logistiques. Le business de DVD Post va subsister encore quelques années, mais c’est un marché de niche en déclin”, tranche-t-il.

Pierre Demolin, on s’en doute, est loin de partager le pessimisme de Bertrand Kuentzler. Depuis le départ des deux autres cofondateurs de l’enseigne, Cédric Génicot et Bernard Wilmet (qui fait encore partie du conseil d’administration, mais qui n’a plus de fonction opérationnelle), DVD Post a entrepris un travail de refondation. Pierre Demolin a attiré dans ses filets Marc Zaleski, président du conseil d’administration et ancien CEO de Dailymotion, ainsi que Robert Dighero, ancien CFO d’AOL UK et de QXL Ricardo (enchères en ligne). Deux autres partenaires rejoindront prochainement le CA : Dan Gilbert, vice-président chez Cisco et Alexander Veithen, ancien directeur chez PWC, qui sera en charge de la direction financière de DVD Post. L’équipe est chargée de travailler à l’élaboration d’une stratégie pour faire décoller l’activité du loueur de DVD.

Si Netflix cartonne, pourquoi pas DVD Post ?

Si le chiffre d’affaires de DVD Post est en progression constante (2,3 millions en 2009, soit une progression de 35 % en un an), les ambitions de Pierre Demolin sont loin d’être rassasiées.

“Depuis deux ans et demi, nous travaillons sur l’optimisation de notre business model, explique-t-il. Cela nous a permis de grandir à coûts limités. Nous avons désormais 22.000 abonnés en Belgique. Mais le potentiel de marché est beaucoup plus large.” Le modèle absolu du patron reste Netflix. Fin 2009, le géant américain comptait 11,9 millions d’abonnés (+ 34 % en un an) et affichait 1,67 milliard de dollars de chiffre d’affaires, pour un bénéfice de 115,86 millions de dollars. En constante progression depuis 2003, année des premiers gains engrangés, Netflix table sur environ 16 millions d’abonnés fin 2010 et un chiffre d’affaires situé entre 2,05 et 2,11 milliards de dollars.

Mais ce qui fait surtout saliver Pierre Demolin, c’est le taux de pénétration de l’entreprise US dans les ménages américains. “Il atteint 10 % sur l’ensemble du territoire, 20 % rien qu’en Californie, s’enthousiasme l’administrateur délégué. Lovefilm, qui domine le marché britannique, se situe aux alentours de 4 %. De notre côté, si on parvient à grimper à 2 %, on aura réussi notre pari. Aujourd’hui, on n’est nulle part : dans le Benelux, notre taux de pénétration est inférieur à 0,2 %.”

Le but avoué de la PME est de doubler le nombre d’abonnés chaque année, histoire de parvenir d’ici trois ou quatre ans à… 250.000 clients, la “masse critique” dont rêvent Pierre Demolin et ses acolytes. Un objectif plus qu’ambitieux, qui nécessite d’investir massivement. Mais dans quoi ? Les investissements se concentreront sur des actions marketing permettant d’élargir rapidement la clientèle, censée ensuite se multiplier comme des petits pains grâce au bouche à oreille. “Nous devons améliorer notre brand awareness, note Pierre Demolin. C’est un élément important pour le développement de l’entreprise.”

La VOD, mais en mode mineur

DVD Post fait donc le pari de renforcer ses activités traditionnelles, plutôt que de changer radicalement de business model en basculant vers la VOD. Cela dit, DVD Post n’écarte pas la possibilité de proposer un jour une offre de VOD (la PME en parle depuis… 2005), mais si cela se concrétise, ce sera en mode mineur. “La VOD pourrait être un complément à notre catalogue de DVD, note Pierre Demolin. Elle pourrait nous permettre de combler les besoins de nos clients en nouveautés. Mais aussi d’économiser en achats de DVD. Aujourd’hui, nous devons acheter beaucoup de copies, qui ne sont utilisées que pendant trois mois. Ensuite, on n’en utilise plus que 20 % environ.” DVD Post pourrait proposer à ses abonnés l’accès gratuit à la VOD “pour voir s’ils accrochent”. Avoir un pied dans la VOD permettrait à la société bruxelloise d’être prête en cas d’engouement. “Lorsque la vidéo à la demande commencera àêtre plébiscitée par les consommateurs, on pourra mettre le paquet.”

Ne pas louper le coche

Mais DVD Post ne risque-t-elle pas de louper le coche ? Pendant que l’entreprise cherche à attirer le chaland vers la location de DVD, les opérateurs TV ne se croisent pas les bras rayon VOD. “Sur ce marché, les majors ont le contrôle, indique Bertrand Kuentzler. Ensuite, c’est le bras de fer avec les opérateurs télécoms et les fournisseurs de contenus. Plus un opérateur a de clients, mieux il pourra négocier une offre correcte avec le studio.”

A ce petit jeu-là, Telenet (1 million de clients), Belgacom TV (752.000 clients), et, dans une moindre mesure, VOO (200.000 clients) semblent partir avec un avantage certain (lire aussi notre encadré en page 59). D’autant qu’ils peuvent compter sur quantité d’autres services pour remplir leurs caisses. Jusqu’à présent, les opérateurs refusent de communiquer sur les éventuels profits générés par la VOD. Mais on peut imaginer que la rentabilité du produit n’est pas leur priorité.

“La VOD ne dépasse sans doute pas 20 % des revenus TV, estime Bertrand Kuentzler. De toute façon, peu importe pour les grands opérateurs télécoms que les marges soient faibles sur la VOD. Leurs coûts de réseau sont déjà amortis par l’ADSL et la téléphonie fixe.” Un luxe sur lequel DVD Post ne peut pas compter. Pierre Demolin ne se fait d’ailleurs pas d’illusion : “La VOD, aujourd’hui, ce n’est pas un business rentable. Les opérateurs font beaucoup de bruit autour, mais les droits sont trop chers que pour assurer une rentabilité au modèle. Par ailleurs l’engouement du public n’est pas du tout au rendez-vous”, estime-t-il.

DVD Post préfère dès lors miser sur le Blu-Ray, qui représente désormais 10 à 15 % des envois. Malgré une chute sévère dans les ventes de DVD (- 6,9 % entre 2008 et 2009, d’après la Belgian Entertainment Association), le Blu-Ray a tiré son épingle du jeu en doublant ses ventes. Suffisant pour pérenniser l’activité de DVD Post ? Pas sûr. En misant tout sur le disque, Pierre Demolin joue gros. ça passe ou ça casse.

Gilles Quoistiaux

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