“Depuis la mort de Steve Jobs, il y a beaucoup de laisser aller”

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Un an après la mort de Steve Jobs, l’entreprise va bien mais la révolution culturelle entamée par Tim Cook ne fait pas que des heureux. Certains employés regrettent la tension créatrice qui régnait avant, et parlent d’un manque de motivation.

Steve Jobs est mort mais Apple continue de battre des records. En un an, la valorisation de la firme de Cupertino est passée de 351 à 625 milliards de dollars, soit un bond de 78%. Ce qui en fait l’entreprise la plus chère du monde devant des firmes pétrolières. Entre temps, les ventes sur neuf mois (jusqu’à fin juin) ont progressé de 50%, à plus de 120 milliards de dollars, et les profits de 75%, à plus de 33 milliards. Conséquence, la trésorerie a continué de gonfler pour atteindre plus de 117 milliards de dollars. De quoi acheter Intel en cash ! Même si personne au sein de la firme n’ose le dire, il semble qu’Apple ronronne aujourd’hui encore mieux que du temps de Steve Jobs.

Sans compter que le nouveau patron, Tim Cook, a cherché à améliorer l’image de l’entreprise. En réponse aux critiques contre les conditions de travail chez ses sous-traitants, il s’est par exemple rendu en Chine au début de cette année, pour inspecter les usines de son fabricant Foxconn. Ce que Steve Jobs n’avait jamais fait. Et il communique désormais sur ses dons à des oeuvres caritatives.

Autre nouveauté, Apple a fait aussi un geste vis-à-vis de ses actionnaires. Et pas un petit : le groupe va en effet dépenser un total de 45 milliards de dollars sur trois ans, pour le rachat de ses propres actions et le versement d’un dividende. Mais ce faisant, Apple se banalise.

“Vu de l’extérieur, Tim Cook a réussi l’exploit de gérer la croissance phénoménale d’Apple et d’en donner une image plus humaine. Mais à l’intérieur, on assiste à une véritable révolution culturelle, où la finance et la gestion prennent le dessus sur la vision et l’innovation”, souligne l’analyste Rob Enderle.

Steve, le tyran bien aimé

“Depuis la mort de Steve, il y a beaucoup de laisser aller, surtout au niveau de la qualité. Les gens n’ont simplement plus peur. Avant, on craignait d’être seul avec lui dans l’ascenseur et qu’il nous pose des questions sur notre travail. On pouvait aussi se faire renvoyer à tout instant, pour seul motif que cela venait de Steve. Ce qui nous forçait à donner le meilleur de nous même”, regrette un ingénieur, chez Apple depuis plus de 12 ans. “Et puis, les nouvelles recrues n’ont pas le même enthousiasme, ni même les anciens d’ailleurs. Avant, on travaillait pour Steve, sa vision. On sentait qu’avec lui on pouvait vraiment changer le monde. Maintenant, il n’y a plus la même pression. C’est comme n’importe quel autre boulot, même si cela reste bien financièrement grâce à l’appréciation de l’action”.

Une nouvelle réalité qui se reflète aussi dans l’équipe de management. En novembre dernier, Tim Cook a distribué plus de 100 millions de dollars en stock-options pour éviter que sa garde rapprochée ne le quitte pas. Selon BusinessWeek, le patron d’Apple a dû offrir cet été plus de 2 millions de dollars par mois à l’ancien responsable de la division matériel, Bob Mansfield, pour qu’il reste et calme une révolte interne. “Jamais on aurait vu ça du temps de Steve. Tout son staff aurait pu partir, mais dès lors que Steve restait, on savait que l’on y arriverait quand même”, ajoute un ingénieur d’Apple qui traduit, adapte et localise les produits de la marque à la pomme. “On était là pour avoir la chance de travailler avec Steve. Malheureusement, personne n’a encore pris sa place”.

Et puis il y a eu le ras le bol des employés des magasins d’Apple, impulsé cet été par des plans de licenciement abusifs. Un malaise qui a eu des répercussions en France. Une stratégie imputable à John Browett, le nouveau responsable de la branche Retail d’Apple venu du distributeur d’électronique britannique Dixons. “C’est comme si vous demandiez au patron de McDonald’s de diriger un 3 étoiles Michelin! Il va tout de suite couper dans le personnel pour améliorer la rentabilité du restaurant, mais aux dépens de la qualité du service”, ajoute Rob Enderle. Un service qui était pourtant sacro-saint du temps de Steve Jobs.

Un groupe plus lent et moins créatif?

Ces turbulences et le changement de leadership ne seraient pas sans freiner la création et l’innovation. “La prise de décision est beaucoup plus lente. Tim Cook préfère le consensus plutôt que le côté tranchant de Steve Jobs. Cela explique par exemple les retards dans le rafraichissement de la gamme Mac et les délais dans la sortie de l’iPhone 5 et de l’iPad mini. Et ce, malgré la concurrence d’Android qui domine désormais le marché des smartphones et des tablettes”, affirme l’analyste.

La sortie entachée de bugs de iOS 6 Maps a également généré des commentaires du type : “cela ne serait pas arrivé du temps de Steve”. Ce qui est sûr, c’est que Jobs ne se serait certainement pas excusé, comme l’a fait Tim Cook. Et qu’il aurait encore moins conseillé à ses clients d’utiliser les produits des concurrents en attendant de réparer les erreurs…

Un an après la mort du co-fondateur emblématique, les questions restent donc entières sur la capacité d’Apple à surmonter vraiment cette perte. Le groupe vit encore sur l’héritage de produits imaginés sous Steve Jobs. La révolution culturelle impulsée par le nouveau management doit encore prouver qu’elle peut donner d’aussi beaux fruits…

Jean-Baptiste Su, dans la Silicon Valley

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