Comment priver un pays entier d’accès internet

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ll aura suffi de quelques heures à la Syrie pour couper le réseau Internet. Comment les Etats s’y prennent-ils pour réaliser cette opération ? La Syrie est-elle un cas à part ? Est-il possible de contourner le blackout ? Explications.

Dissipons tout de suite un fantasme : il n’existe pas de bouton qui permet “d’éteindre” internet. Cependant, couper le réseau n’est pas très compliqué comme le montre aujourd’hui l’exemple de la Syrie. La méthode la plus brutale, c’est de couper ou débrancher les câbles, qui constituent encore aujourd’hui la colonne vertébrale du réseau. L’internet mondial, en effet, est un énorme réseau de câbles sous-marins qui ressemble à un plan de métro. Sur terre, internet utilise aussi beaucoup les lignes téléphoniques. Pour isoler un pays, il faudrait donc couper en même temps un maximum de câbles et de lignes. C’est beaucoup plus facile à faire en Syrie, qui est reliée au réseau mondial par 3 câbles sous-marins, qu’en France qui dispose de plusieurs points de connexions au Nord, à l’Ouest et au Sud du pays.

Les FAI en première ligne

Cela dit, les régimes autoritaires préfèrent souvent une méthode moins définitive et qui crée moins de chaos : le contrôle des fournisseurs d’accès à internet. Dans ce cas, l’Etat ordonne à tous les opérateurs d’interdire l’accès aux protocoles DNS (Domain name server) et BGP (Border Gateway Protocol). Ces protocoles servent de moyen d’orientation aux données qui circulent sur internet. C’est une sorte de GPS, explique Antoine Drochon, spécialiste chez Akamai. S’ils ne sont pas accessibles, aucun mail ne peut arriver à destination, aucun site web ne peut être consulté. Bref, internet devient un réseau fantôme. C’est exactement ce qui s’est produit en Égypte début 2011. Et c’est ce qui se produit aujourd’hui en Syrie. En quelques heures, les autorités égyptiennes sont parvenues à couper l’accès au réseau en ordonnant aux FAI d’interrompre les fameux protocoles. L’opération était d’autant plus facile que la quasi-totalité du réseau est gérée par un seul opérateur.

Peu de solutions de repli

Y-a-t-il des solutions de secours pour les Syriens? Peuvent-ils contourner la censure? Pas vraiment. Certes, les internautes ont développé plusieurs parades face à la censure du web. La plus connue consiste à passer par un serveur “proxy”. La connexion à internet, au lieu de voyager directement de son fournisseur d’accès au site web désiré, passe par un ordinateur relais qui masque les identifiants de l’internaute, et notamment son adresse IP. Ce procédé permet de consulter des sites théoriquement filtrés. Cependant, dans le cas syrien, cette technique est inefficace.

L’utilisation de serveur proxy est une technique “de rebond”, explique Antoine Drochon. Pour qu’elle fonctionne, l’utilisateur doit avoir accès à l’internet de base. Or ce n’est pas possible avec la coupure des lignes ADSL. Les syriens ne peuvent pas faire comme les Egyptiens en 2011, c’est-à-dire utiliser les lignes téléphoniques et des vieux modems pour accéder au réseau, suppose Antoine Drochon. L’utilisation du logiciel Tor, autre technique bien connue qui multiplie les relais entre l’internaute et le site qu’il souhaite visiter, se heurte à la même contrainte.

Bref, les solutions pour accéder à internet restent a priori peu nombreuses en Syrie. Il y a le Wi-Fi pour ceux qui se situent près d’une frontière, ou l’accès via satellite qui requiert un équipement spécial et coûteux. Dernière solution : les réseaux privés. Il est possible que certaines entreprises se connectent à leurs filiales situées dans un autre pays grâce à un réseau géré par un opérateur privé. Mais cela ne concerne dans le meilleur des cas, que quelques privilégiés.

Pour les autres, il faudra attendre que l’Etat syrien veuille bien rebrancher le réseau. Cela pourrait arriver plus vite qu’on ne le pense. Les coupures générales de réseau sont en effet très coûteuses sur un plan économique. Sans internet, par exemple, point de transactions bancaires. En 2011, l’interruption d’internet pendant cinq jours en Égypte aurait coûté au moins 90 millions de dollars selon l’OCDE.

Sébastien Julian, L’Expansion.com

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